« Ainsi que le coquelicot et le pissenlit à la fleur de leur âge sont fauchés par l’impitoyable faux de l’impitoyable faucheur …- ainsi le petit Rensky a fait le coquelicot » Alfred Jarry, Ubu Roi
Compte-tenu de l'actualité, il parait important de se pencher sur les enjeux concrets du soin psychique à destination des enfants et des adolescents, en illustrant les tragiques impasses auxquelles nous nous trouvons confrontés.
De facto, la « santé mentale des jeunes » est en plein naufrage, à l’image de l’état actuel de la pédopsychiatrie, délibérément sacrifiée depuis des décennies. Entre autres constats, plus de la moitié des lits de pédopsychiatrie ont fermé depuis 1993 et le nombre de pédopsychiatre est en baisse de 34% sur les 25 dernières années. Actuellement, on dénombre 4 pédopsychiatres pour 100 000 enfants, et 25 départements en sont totalement dépourvus….sur les CMPP, Les temps d'attente ont doublé depuis 2010 d’après la DRESS.
Mais, manifestement, on n’en a rien à braire.

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En France, les pensées suicidaires chez les 11-18 ans ont doublé depuis 2014 ; les passages à l’acte ont augmenté de 60%. Un jeune sur cinq présenterait une détresse psychologique élevée. Selon le dernier baromètre santé d’Ipsos publié en mars 2025, 17% des adolescents présenteraient des symptômes modérés à sévères. Et d’après Santé Publique France, un lycéen sur quatre a eu des pensées suicidaires, une lycéenne sur trois. 20,8 % des 18-24 ans traverseraient des épisodes dépressifs. Les troubles anxieux explosent au lycée, notamment chez les filles, mettant au défi l’ensemble du corps éducatif. Pour les adolescentes de 10 à 19 ans, les passages aux urgences pour TS ont progressé de 570% entre 2007 et 2022. À Nantes, en 2024, 123 enfants de moins de 15 ans admis aux urgences pour des idées ou des gestes suicidaires exigeant une hospitalisation ont été renvoyés chez eux. Les parents ou les professionnels de l’Aide sociale à l’enfance se sont retrouvés avec cette terrible responsabilité, seuls face au désarroi et à l’innommable : le désir de mourir d’un enfant, qu’on néglige abjectement.
Face à la détresse et au manque de soin, on sédate toujours davantage, et le recours à la « camisole chimique » se banalise chez les mineurs. Entre 2019 et 2023, chez les jeunes de 12 à 25 ans, il a été constaté une augmentation de 60% des prescriptions d’antidépresseurs, et de 38% pour les antipsychotiques…
Manifestement, il faut cependant des drames, des actes paroxystiques de violence meurtrière pour que la santé mentale des jeunes soit médiatisée et mobilise tant l’opinion publique que les dirigeants politiques…Mais la réponse se déploie alors soit sur le versant sécuritaire et répressif, avec des cris d’orfraie concernant l’ensauvagement de la jeunesse et cette génération de nouveaux barbares, soit vers une forme de médicalisation systématique des passages à l’acte, qui occulte totalement les dynamiques sociales d’arrière-plan. Quant à la réalité de ce que l’on fait vivre aux enfants et adolescents, on s’en contrefout. Portique de détection, fouilles aléatoires, vidéosurveillance, repérage systématique, signalement, orientation prioritaire pour un diagnostic et une médication…Nonobstant, selon l’historien des violence juvéniles Jean-Jacques Yvorel, la délinquance des mineurs n’augmenterait pas en France, sur le plan quantitatif. Ainsi, depuis 2016, le nombre de mineurs poursuivis par la justice a baissé de 25 % (passant de 64 934 à 48 389 en 2023), de façon quasi continue. On retrouve une baisse similaire dans le nombre de condamnés. Néanmoins, des actes d’homicides, très minoritaires mais largement médiatisés, semblent à la hausse, tendant à faire diffuser collectivement un sentiment inquiétant de rajeunissement de l’ultraviolence. Dès lors, on se méfie toujours plus de l’enfance, de ces hordes de jeunes décérébrés, agressifs et suicidaires…Et on exige alors que l’institution médicale puisse repérer, traiter et neutraliser ces adolescents menaçants.

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Mais cette dégradation de la santé psychique de la jeunesse est-elle uniquement un problème médical, un enjeu de dépistage, d’accès aux soins, de traitement ? L’indice d’une faille individuelle, d’une sensibilité exacerbée et d’une incapacité intrinsèque d’adaptation ?
Là s’exhument sans doute les apories qui habitent la pédopsychiatrie depuis ses origines, avec cette tentation de naturaliser les troubles du comportement juvénile et de s’affirmer comme un auxiliaire de l’ordre public, capable de dépister puis de mettre hors d'état de nuire les mineurs prédélinquants.
Rappelons-nous les propos de Georges Heuyer, figure tutélaire de la neuropsychiatrie infantile naissante, en 1914 : « chez l'arriéré scolaire et chez le délinquant juvénile, nous avons trouvé les mêmes troubles de l'intelligence et du caractère. (...) Pour diminuer la délinquance juvénile par des mesures préventives, pour éviter des tentatives de traitement et d'améliorations qui seraient désordonnées, inutiles et coûteuses, il faut faire un diagnostic précoce de l'anomalie mentale » (Georges Heuyer[1]). Dès lors, outre les enjeux concernant l’arriération mentale infantile, la légitimation de la neuropsychiatrie infantile va se déployer dans le champ de la délinquance juvénile, avec la revendication d’une origine et d’un terrain morbide communs.
« Le délinquant qui commet une infraction au code qui régit la vie sociale et qui la commet à cause de ses troubles du caractère est un malade. Tous les psychiatres ou anthropologistes qui ont étudié les adolescents délinquants ont constaté que parmi eux il y avait 80% d’anormaux, débiles ou déséquilibrés du caractère » (Georges Heuyer[2]).

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A partir de là, il deviendra nécessaire de pouvoir expertiser le caractère du mineur délinquant – sa constitution biologique- avant toute orientation ou tentative de rééducation. Les interventions ultérieures devront effectivement être guidées par l’expertise médicale initiale : « chaque anomalie doit être la base de mesure de discipline et de redressement des adolescents placés en maison d’éducation surveillée ». Dans cette optique, les troubles du comportement, la « perversité » et l’inadaptation sociale se voient appréhendés comme la conséquence de tares caractérielles, héritées et propres à l’individu. Ainsi, se rejoignent là une certaine pensée médicale scientiste et une conception politique sécuritaire, à travers le socle idéologique du constitutionnalisme.
« Les enfants pervers sont les agents actifs de précoces de la criminalité juvénile, d’où l’extrême importance de leur détection rapide et de leur mise hors d’état de nuire » soulignait à nouveau Georges Heuyer, fidèle adhérent de la Société française d’eugénique...
En effet, le déterminisme caractériel apparait comme une « tendance de nature affective qui dirige les réactions de l’individu aux conditions du milieu extérieur ». Or, l’influence du milieu élargi, et notamment les dynamiques socio-politiques, ne sont jamais dénoncées. Au contraire, l’ordre social doit systématiquement être préservé. Il convient donc de détecter précocement les anormaux, afin de mettre la main sur de potentiels délinquants et de tenter, par une activité prophylactique de relégation, d’empêcher ces constitutions dégénérées de passer à l’acte. Dans ce programme, l’institution scolaire doit être utiliser comme lieu de dépistage, avant que l’expertise médical puisse établir, définitivement, « diagnostic, pronostic et traitement » en amont de toute conduite délictueuse….
Manifestement, nous ne sommes pas sortis de ce soubassement idéologique pour le moins nauséabond...
De surcroit, alors que les politiques ont démantelé méthodiquement la pédopsychiatrie depuis des décennies, organisant une pénurie instituée de soins, il faudrait désormais intervenir en urgence pour empêcher l’expression de ces symptômes (anti)-sociaux, réaliser une forme de triage en fonction des priorités médiatiques du moment, prioriser les publics accueillis, s’ajuster exclusivement aux drames de l’actualité…Dans un contexte où toutes les mesures de prévention ont été abandonné, en faveur de dispositifs répressifs.

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En témoignent les orientations contemporaines de la justice des mineurs. Contrairement aux principes de l’ordonnance du 2 février 1945, l’enfant « délinquant » n’est plus considéré en tant que victime potentielle d’injustice sociale et de déprivation, mais est désormais appréhendé comme responsable de sa trajectoire déviante et entrepreneur de sa « carrière » judiciaire. Dès lors, ses délits ne sont plus des symptômes ou des appels, mais des agissements rationnels et assumés, à réprimer. En effet, il faut protéger la société de ces mauvais penchants, en mobilisant un arsenal coercitif et des techniques de ségrégation ou de redressage disciplinaire. Le surinvestissement de la dimension sécuritaire témoigne d’une reproblématisation néolibérale de la notion de risque social, avec des effets de ciblage, de dépistage coercitif, de détection catégorielle. Au final, on constate un élargissement de l’éventail des infractions, un durcissement de la répression et des contrôles, une réduction des recours aux mesures éducatives. Les arbitrages budgétaires favorisent dorénavant la création de centres éducatifs fermés au détriment de mesures individualisées d’accompagnement socio-éducatif et de structures intermédiaires et diversifiées, ce qui va dans le sens d’une véritable politique de désignation, de stigmatisation et d’exclusion précoces.
Voilà manifestement les mots d’ordre prioritaires pour permettre aux nouvelles générations de faire face aux débris qu’on leur laisse en héritage…Là se déploie un véritable processus de « désenfantisation », spécifiquement à l’égard des jeunes issus des quartiers populaires et descendant de l’immigration postcoloniale, tel que le décrit Fatima Ouassak[3]. Ces mineurs sont en effet considérés comme des menaces à l’ordre dominant, en dépit de leur jeune âge, et se voient alors adultifiés prématurément, négligés dans leur statut infantile.
Ces graines de crapule, il faut donc les cibler toujours plus précocement, en oubliant qu’ils sont des enfants, ayant besoin de s'étayer avec confiance sur des adultes impliqués et responsables. Pour autant, on en appelle à la restauration de l'autorité, au redressement voire au dressage de cette jeunesse ensauvagée...On veut des procédures, des rééducations, des remédiations. Il faut corriger, il faut expurger le mal, à coup d'entraves et de médication si besoin.

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Comme l’annonçait Elisabeth Borne suite au drame de Nogent, « d’ici la fin de l’année, tous les établissements devront se doter d’un protocole pour repérer et faire prendre en charge les jeunes présentant des difficultés psychologiques »
A nouveau, il convient prioritairement de repérer, de diagnostiquer, de traiter, de neutraliser, comme si les enjeux étaient en rapport avec des problématiques uniquement individuelles, constitutionnelles, ou alors avec des implications familiales, communautaires ou culturelles.
Envisager exclusivement ce prisme reviendrait à occulter les déterminants socio-politiques largement impliqués dans ce mal-être collectif. Or, les adolescents sont de plain-pied avec la violence du sociale : mépris de classe, relégation, séparatisme, discours paranoïaques, incitations à la haine de l'autre, racisme systémique, polarisations de genre, infusion d’une culture de la domination et de la prédation, encouragements à certaines formes de masculinités, valorisation des conduites anti-sociales et du profit individuel, banalisation des comportements agressifs et exacerbation du rejet, exigences précoces de performance, etc.
Cette détresse psychique des adolescents est sans doute à appréhender comme un symptôme social. Ce qu’éprouvent tant de jeunes aujourd’hui, ce n’est pas seulement la vulnérabilité d’un âge, c’est le délitement d’une société, ses négligences, ses délaissements et ses injonctions insupportables…Dans quel monde introduisons-nous les nouvelles générations ? Et comment le leur présente-t-on ? Dans quelle mesure les adultes, sur un plan collectif, se déchargent-ils de leur responsabilité à l'égard des nouveaux venus, c'est-à-dire des impératifs de soin et de protection ? Les liens intergénérationnels sont tellement distendus, qu'il ne peut plus y avoir d'accompagnement...Dès lors, il ne s'agit plus de laisser une place aux enfants, mais de les contrôler, de les conformer, de les endoctriner, de les exploiter, en les privant de la possibilité de construire un avenir désirable.

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Au fond, le désarroi des jeunes ne serait-il pas l’expression d’une lucidité affectante, la conscience douloureuse d’être projeté dans un monde qui impose l’évaluation permanente, la rivalité, la consommation de soi et d'autrui ? L’omniprésence de la pression pédagogique semble peser lourdement, de même que les exigences de conformité qui s’imposent parfois sous la forme d’un carcan normatif absolument intransigeant.
« Les jeunes d’aujourd’hui (…) sont souvent encouragés à considérer le cours de la vie comme un processus de « réalisation de leur potentiel », c’est-à-dire comme un mouvement de fermeture progressive dans lequel tous les chemins possibles sont progressivement réduits à celui effectivement emprunté – qui lui-même, à la fin de la vie, aboutit à sa conclusion ultime » Tim Ingold
Au fond, qu’est-ce qu’on attend des jeunes : qu’ils s’adaptent, qu’ils soient performants, exploitables, qu’ils acceptent le jeu de la concurrence, de l’évaluation généralisée, de l'orientation précoce, dès la maternelle ? Qu’ils se clivent, qu’ils fonctionnent en faux-self, qu’ils acceptent en mutilant leur être ?
Et puis, d’ailleurs, c’est quoi, « les jeunes » ?
Est-ce qu’on est le même jeune dans une famille urbaine, bourgeoise, nantie ? Ou en placement par la protection de l’Enfance ? D’un côté, les héritiers du capital, économique et culturel, des réseaux, de la domination…Et de l’autre les damnés de l’ASE.
Chez ceux-ci, la prévalence des troubles psychiques est estimée à 49%, et ils représentent jusqu’à la moitié des adolescents hospitalisés à temps complet en psychiatrie…Le taux d’hospitalisation pour gestes auto-infligé des 10-13 ans vivant hors de leur famille atteint 455 pour 100 000 (757 chez les filles), contre 27 pour l’ensemble des enfants de cette classe d’âge…
Rappelons que, dans notre belle société inclusivo-disruptive, les enfants sont massivement exposés à la pauvreté, avec un taux atteignant 20,4% (contre 14,4% pour la population générale). Selon une récente mission d'information parlementaire, cette situation de pauvreté concernerait donc 2,7 millions de mineurs, dont 900 000 âgés de moins de 5 ans. Et la tendance est à l’augmentation de la pauvreté infantile : en 20 ans, ce sont 500 000 enfants de plus qui sont entrés dans cette condition…
Selon Claire Hédon, Défenseure des droits, « il est évident que les conditions de vie des familles jouent un rôle, en particulier s’agissant du logement : je défie quiconque d’éviter toute carence éducative en élevant quatre enfants dans une chambre de bonne ! Je suis effrayée par le lien qu’on pourrait établir entre augmentation de la pauvreté et augmentation des mesures de placements relevant de la protection de l’enfance ». ATD Quart Monde considère en outre que la pauvreté est invisibilisée dans le cadre des rapports des familles avec la justice. Selon Mme Isabelle Toulemonde, « les rapports de l’ASE décriront les désordres familiaux causés par un logement indigne, en insistant sur le manque de sommeil de l’enfant, sur l’absence d’espace pour jouer ou faire ses devoirs, sur les conséquences sur l’atmosphère familiale d’un appartement surpeuplé bien au-delà des critères du droit au logement opposable (DALO). Mais jamais ils ne mentionneront le fait que tout cela est lié à la grande pauvreté de la famille et que celle-ci aurait besoin d’aide pour mieux se loger. C’est caricatural : comment la protection de l’enfance pourrait-elle obtenir des résultats sans reconnaître la pauvreté ou la grande pauvreté des familles ? ».
En l’occurrence, de nombreux enfants sont placés pour des raisons indirectes en rapport avec la paupérisation et la précarité familiale. Des études, montrent que, sur 809 enfants en 2009, seulement 22 % des placements étaient dus à des maltraitances. Outre les préjugés de classe, le mépris social, les malentendus réciproques et les enjeux de domination, les postures éducatives jugées problématiques sont très souvent des conséquences de la misère. Dans cette zone grise, la pauvreté des parents apparaît indéniablement comme un facteur aggravant de l’évaluation de la situation familiale comme de la réponse apportée par les pouvoirs publics, entre incompréhension réciproque, violence sociale et déni de droits. Ainsi, le manque d’accompagnement social et la précarité croissante de la population renforcent le risque de placements motivés par les seules conditions matérielles dans lesquelles évoluent les familles – avec des conséquences parfois tragiques et irréversibles pour les enfants.

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Par ailleurs, les disparités en termes de santé mentale des jeunes sont aussi socio-géographiques. D’après une enquête réalisée en 2024, 76% des jeunes ruraux disent avoir connu des épisodes de stress intense, 49% parlent d’épisodes dépressifs, 35% de pensées suicidaires. Selon l’OFDT, l’usage régulier d’alcool est deux fois plus important en zone rurale qu’en ville (10% contre 5,2%), ce qui semble corrélé à une tendance grandissante à la claustration au domicile des jeunes ruraux….
Alors, les gouvernants vont évidemment envisager un vaste programme de lutte contre la précarité et les inégalités sociales, mettre en place des politiques ambitieuses à l’égard de l’enfance, lutter contre les injustices et les discriminations, redonner de l’espoir et des perspectives à la jeunesse, mener des programmes de prévention et d’accompagnement, retisser de la solidarité collective et intergénérationnelle, faire germer des liens et des espérances, etc...Et ils vont, évidemment, suite à la mission parlementaire sur la pauvreté infantile, se saisir de certains impératifs éthiques : « garantir à chaque enfant des conditions de vie dignes devrait être une priorité absolue de toute société qui prétend préparer un avenir juste et cohérent. Un enfant qui grandit dans la précarité, sans logement stable, sans accès à des soins ou à une éducation de qualité, voit ses chances compromises dès le départ » ?...Évidemment....
Suite au drame de Nogent, la ministre de l’Éducation Nationale l’affirmait vigoureusement : « il faut agir sur la santé mentale des jeunes » !
Comment ? Par le repérage systématique des menaces de passage à l’acte, avec un accès « coupe-file » vers les CMP…De la ségrégation et du triage...
Donc, les jeunes qui présentent des troubles des conduites à l’école devront prendre la place des enfants abusés et traumatisés, de tous ceux qui présentent des troubles complexes du développement, des autistes, des suicidaires…Sans moyen de pouvoir véritablement agir sur les causes, profondes et surdéterminées, de la violence juvénile – ce qui contribuera sans doute à attiser la médisance et le désaveu à l'égard d'équipes déjà exsangues et laminées…. Quant à toutes les souffrances plus insidieuses, on devra attendre qu’elles décompensent avant d’intervenir en urgence.
Et puis, quel étrange fantasme : il suffirait de mettre un « prédélinquant » devant un psy pour qu’il soit traité et neutralisé ? …. Il faut savoir que, lorsque un adolescent est sur le point de "passer à l'acte", il est déjà quasiment trop tard, et on arrive après la bataille...En général, des appels itératifs non pas été entendus et pris en compte, depuis l'enfance, et sont restés en souffrance. Ce qui a sans doute contribué à inscrire une forme de résignation ou de désespoir chez le jeune : tout le monde s'en fout, personne n'entend, à quoi bon...ou alors, nous recevons aussi des enfants qui ont "bénéficié" d'interventions disséminées, ponctuelles, discontinues, sans possibilité de s'inscrire dans la confiance et la durée. Eux-aussi sont désabusés...De toute façon, ça va lâcher, vous allez me laisser, alors pourquoi prendre le risque de s'attacher ?
Heureusement, le ministre de la Santé, Yannick Neuder, a également présenté un « plan ambitieux » pour la psychiatrie, sans aucuns crédits alloués.
« Un kit de repérage » sera distribué à tous les personnels de l’Éducation nationale. Et tous les professionnel·les de la santé seront formé·es au « repérage précoce ». Par ailleurs, il s’agira de favoriser la privatisation et l’ubérisation des pratiques, de former 300 000 « secouristes en santé mentale », d’imposer des dispositifs innovants, mobiles, plateformisés, et éphémères, etc.
Ouf, les jeunes sont définitivement considérés et sauvés !

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[1] Enfants anormaux et délinquants juvéniles, Nécessité de l’examen psychiatrique des écoliers, 1914
[2] « Délinquance et troubles du caractère chez les adolescents », Revue de l’éducation surveillée, n°2, mai-juin 1946, p 40.
[3] La puissance des mères, Ed. La Découverte, 2020