Le mal-être des enfants et des adolescents ne cesse de faire l’actualité : rapports et commissions alertant sur le délitement de la santé mentale des jeunes, faits divers tragiques, explosion des passages aux urgences, des tentatives de suicide et des prescriptions de psychotropes, troubles des apprentissages et décrochage scolaire, saturation et délitement du système de soins, etc.
Dans le même temps, les institutions thérapeutiques sont de plus en plus mises à mal, du fait de politiques gouvernementales relayées par les Agences Régionales de Santé. Manifestement, il s’agit définitivement de sacrifier le soin collectif et public, en faveur de dispositifs privés et plateformisés. C’est donc sur la santé mentale des enfants qu’il faut faire des économies, en imposant une cure drastique d’austérité et en essayant tout de même de dégager quelques profits au passage…
On préconise désormais le repérage systématique, l’évaluation, le diagnostic précoce, la mise en filière et le triage…sans accompagnement pérenne, sans prise en compte des situations concrètes, sans considération pour le vécu singulier…
Cependant, les 479 CMPP du territoire, dont plus d'une centaine en Île-de-France, accompagnent 1/3 des enfants bénéficiant de suivis en pédopsychiatrie ambulatoire, soit environ 250 000 usagers et leur famille. Depuis plusieurs décennies, il est d’ailleurs constaté une augmentation des files actives et des listes d’attente, ainsi qu’une aggravation des situations cliniques reçues.
Néanmoins, les directives des instances de tutelle s’avèrent de plus en plus agressives pour démanteler ces institutions soignantes, au nom d’un cadre normatif et idéologique très autoritaire. Les impératifs sont clairs : il faut bilanter, rééduquer, sur des temps de plus en plus courts, et réorienter vers des structures notoirement inexistantes. Les soignants doivent devenir des « coordinateurs » ou des « référents de parcours » et mettre en œuvre des protocoles de remédiations, à la chaîne. Exit le temps de la rencontre, le travail en équipe, le lien avec les partenaires, les échanges pluridisciplinaires. Exit la prise en compte des enjeux psycho-affectifs, sociaux, relationnels, cliniques…Les lieux de soin doivent se transformer en centres experts, via un forçage du cadre réglementaire et des menaces de rétorsion financière, voire de fermeture.
Cette politique se déploie finalement à travers d’authentiques violences managériales. Les acteurs du soin sont malmenés, dénigrés, et méprisés par des technocrates revendiquant une expertise hors-sol et infaillible. Les contraintes gestionnaires ainsi que les procédures obligatoires formatent toujours plus les pratiques sur un mode uniformisé et standardisé. Dorénavant, il ne faut plus se former qu’aux seules méthodes validées, c’est-à-dire aux approches neuro-cognitives et comportementales, ainsi qu’aux prescriptions médicamenteuses. Les prises en charge devraient donc devenir de plus en plus courtes, fragmentées, comptabilisées, ubérisées. Dans une telle logique, les intervenants deviennent d’ailleurs interchangeables et corvéables, en tant que simples prestataires de service.
En arrière-plan, ce sont aussi les familles qui sont délaissées et maltraitées, en particulier celles qui cumulent les vulnérabilités et les adversités, et qui sont toujours plus invisibilisées. Sous prétexte de leur proposer des prestations conformes, il s’agit surtout de faire des économies sur leur dos, tout en leur vendant des mirages. Force est de constater le désarroi suscité par ces politiques de délaissement et de déresponsabilisation, qui ne préconisent finalement que du saupoudrage et de l’éparpillement, dans une spirale de précarisation.
Or, le fondement des CMPP est de recevoir chaque enfant en souffrance, quelles que soient sa situation, son histoire, ses difficultés…Nous nous refusons de trier, de hiérarchiser et de rejeter, comme certaines directives l’exigent. Le soin nécessite du temps, de l’attention, et une forme de liberté pour pouvoir rester disponible à la singularité et aux besoins réels.
Cependant, les tutelles appliquent de plus en plus systématiquement des politiques extrêmement délétères : transformation des lieux de soins en plateformes diagnostiques réservées aux enfants présentant des troubles du neuro-développement, réduction des dotations financières, exigence de rentabilité et de rendement, activités administratives de cotation et d’évaluation au détriment de la clinique, absence de considération vis-à-vis de la complexité des situations et des souffrances psycho-sociales, mise à mal du travail collectif, etc.
Les attaques se déploient à la fois au niveau national (réforme du cadre réglementaire et des conventions collectives, directives et plans gouvernementaux), régional (cahiers des charges imposés par les ARS, contraintes financières), et local (relais des diktats idéologiques par les associations gestionnaires).
En ce qui concerne l’association PAIDEIA, gérant les CMPP historiques, bientôt octogénaires, Claude Bernard et Claparède, une diminution de la dotation financière de 10% a été brutalement décidée par l’ARS cet été, au prétexte d’une insuffisance d’activité au vu des objectifs fixés - notoirement inatteignales-, sans aucune considération des conditions concrètes et du travail réel…En réalité, ces restrictions budgétaires s'intègrent dans un cadre plus élargi, en rapport avec des politiques d'austérité généralisée : dans un souci de maîtrise des dépenses, les orientations gouvernementales ont déjà planifié 770 M€ d'économies via des annulations de financement à l'ensemble des établissement de santé et médico-sociaux...Localement, cette situation pourrait à terme aboutir à la nécessité de licencier du personnel, faute de trésorerie, enclenchant alors un véritable cercle vicieux….

Nous savons que de telles situations ont déjà pu se produire dans d’autres CMPP, en Île-de-France sans qu’un mouvement plus global ait pu y faire face. Par ailleurs, sur d’autres lieux, le cadre institutionnel et soignant a pu être directement menacé par des réformes managériales émanant des organismes gestionnaires, comme à Paris, Meudon, ou Athis-Mons…
Dès lors, résister à ces coups de butoir nécessite de pouvoir tisser des liens interinstitutionnels à tous les niveaux, tout en associant les usagers. Seule une mobilisation collective pourra permettre de faire front, pour défendre la qualité du soin à destination des enfants et des adolescents.
Dans plusieurs régions, des collectifs se sont déjà constitués : CMPP Avenir, Collectif de Défense des CMPP de Bretagne, Collectif Grand Est pour la Défense du Secteur Médico-social, Collectif Normand pour les soins psychiques, Collectif Penser/panser les soins psychiques, Collectif vigilance CMPP Franche-Comté, Collectif du Centre Val de Creuse, Collectif de professionnels en lutte pour le maintien de soins psychiques de qualité à la Croix-Rouge française.
Il parait désormais important de mettre une place une organisation spécifique en Île-de-France, pour défendre toutes les structures mises à mal, et fédérer nos luttes.

Agrandissement : Illustration 2

Pour préserver l’accès inconditionnel à des soins psychiques sur-mesure, pérennes et décents
Pour garantir la prise en compte de la singularité des parcours et la réalité spécifique des désarrois
Pour proposer des approches thérapeutiques diversifiées, plurielles et évolutives
Pour maintenir un travail institutionnel et clinique de qualité, sous-tendu par un véritable collectif soignant
Pour que nos missions de prévention restent effectives, au-delà de la seule gestion des crises et des urgences, traduisant un cumul des négligences
Nous refusons le délitement de nos institutions soignantes et du soin public sur l’autel d’une idéologie scientiste et d’impératifs gestionnaires
Nous ne participerons pas à la privatisation lucrative des souffrances infantiles ainsi qu’à l’ubérisation des métiers du soin psychique
Nous ne laisserons pas les familles les plus précaires subir une nouvelle forme d’exclusion méprisante et voir leurs droits bafoués
Nous dénonçons le délaissement inique de plus en plus d’enfants et d’adolescents, trimballés, triés, et finalement réexpédiés vers les limbes
Une société réellement inclusive ne se déploie pas à travers des discours et des déclarations d’intention, mais dans une attention réelle, dans la responsabilité, la confiance et l’engagement auprès des plus vulnérables
Contacts : collectifcmppidf@gmail.com