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Billet de blog 20 décembre 2024

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Le tribunal de l'enfance neuro-troublante (9)

Voilà une session particulière de la Commission chargée de la catégorisation infantile, du tri et de la mise en filière. Aujourd'hui, il s'agira effectivement de se pencher sur la glorieuse filiation de la neuropsychiatrie infantile...A moins que des contre-discours puissent surgir inopinément...

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Didier Salon-Macraud semble particulièrement détendu pour ouvrir cette séance de la « Commission chargée de la catégorisation infantile, du tri et de la mise en filière », avec son chandail rose négligemment jeté sur les épaules et ses mocassins de bateau : "Bon, aujourd'hui, nous ferons une petit pause dans notre travail de condamnation nosographique, afin de rendre hommage à une certaine tradition de la neuropsychiatrie infantile"

Dans son ouvrage "L'adolescence volée", Stanislas Tomkiewicz témoignait par exemple du travail exemplaire accompli dans l'après-guerre par le Pr Léon Michaux à la Salpêtrière. Cet illustre expert fut, dans la continuité de Georges Heuyer, un des fondateurs de l'école française de la Psychiatrie de l'enfant, à laquelle ils donnèrent un prestige international. Ainsi, le Pr Michaux fut élu membre de l'Académie de médecine, en 1969, en récompense de son engagement sans faille pour lutter contre la déviance infantile.

Illustration 1

"Contrairement au docteur Peron, fasciste intégral qui méprisait et détestait tout le monde, le professeur Michaux était un réactionnaire banal, doucement pétainiste sur les bords. Il y avait deux catégories de gens qu'il ne pouvait souffrir : les enfants et les fous. Pour celui qui est devenu le maître de la psychiatrie infantile en France, c'était une caractéristique assez bizarre, mais qu'il admettait lui-même "

Didier Salon-Macraud s'interrompt, visiblement ému. "Tant de probité, j'en ai la larme à l’œil...Je dois avouer que j'ai moi-même du mal à supporter les mioches et les tarés ! Mais continuons avec le témoignage de Tomkiewicz, soulignant le caractère précurseur du travail accompli par ce grand homme..."

"Les présentations de malades avaient lieu une fois par semaine, dans un amphithéâtre d'au moins quatre-vingt personnes. Le professeur Michaux, qui était très grand et très gros, se juchait sur une chaire, faite pour son prédécesseur, qui, lui, était très petit. Avec son mètre quatre-vingt-dix, sur cette chaire, il avait vraiment l'air d'un géant. Beaucoup plus bas, devant une petite table, le chef de clinique ou l'interne lisait l'observation du malade, ce que je fis souvent.
Le professeur Michaux n'avait qu'un seul commentaire : "Plus vite ! Plus vite, le diagnostic !" Si on avait le malheur de faire la biographie du gosse, de parler un peu de ses parents, de ses relations, on était invariablement interrompu par ce : "Dépêchez-vous, le diagnostic !". Il n'était pas question de terminer sa présentation sans dire qu'il s'agissait d'une névrose obsessionnelle ou hystérique. Parfois on avait le droit d'hésiter entre deux diagnostics pour que le maître puisse statuer ; mais il n'était pas question de laisser un patient sans étiquette"

Illustration 2

Et oui, cette époque restait imprégnée d'un certain obscurantisme archaïque ; ils cherchaient des diagnostics ! Désormais, on a dépassé ces vieilleries, car on sait bien qu'il n'y a qu'une seule catégorie nosographique : les Troubles du Neurodéveloppement ! Cependant, les priorités étaient déjà bien définies :

"Notre métier de psychiatre n’est-il pas surtout d’aboutir au diagnostic ? Celui-ci posé, il oubliait complètement le patient et il faisait son topo sur la maladie présumée, dont l’enfant était l’illustration. Mais il fallait quand même présenter l’enfant ou le jeune à cette conférence, puisqu’elle s’appelait « présentation »…Un vieil appariteur gominé, dévoué au patron comme Cerbère à Hadès, poussait sans ménagement le client dans l’arène, et c’était un spectacle inoubliable : sur la chaire, ce géant, comme un ogre de contes de fée, et le petit bout de chou, là, devant…

Michaux faisait alors son numéro classique. Il offrait un bonbon à l’enfant ; tout le monde se disait alors : « qu’est-ce qu’il est gentil, ce professeur Michaux ! ». Puis il parlait, il parlait ; il ne posait jamais plus de trois questions, car il n’aimait pas du tout dialoguer avec les gosses. Ceux-ci se divisaient en deux catégories : ceux qui mangeaient le bonbon et ceux que ne le mangeaient pas. Avant de terminer, Michaux regardait de toute sa hauteur le sort du bonbon. Quand le gosse était suffisamment affolé pour se contenter de le passer d’une main à l’autre, Michaux disait : « je vois que tu n’aimes pas les bonbons, alors rends-le. » Il reprenait le bonbon, et une fois le gosse sorti, il s’adressait à la salle en disant : « il n’y a pas de petites économies ». Et la salle éclatait d’un rire complaisant".

Voilà comment il faut traiter les mioches : comme des objets d'expérience, comme des données à extraire, comme des perturbateurs à réguler, comme des emmerdeurs à dresser...

Ces morveux ne sont que des abstractions, ils doivent être dépecés, anéantis par la raison nosographiante. Mettons-les en conserve moderne, surgelée, anonymisée...Comme le soulignait Jean Sandretto, à travers son expérience d'un service asilaire pour enfants "arriérés" , "tout le comportement de l'enfant peut s'objectiver jusqu'à ce qu'ait été dénié à son "Je" une qualité de sujet. Un signe objectif, un symptôme, ça se classe, ça nous fait plaisir. Avec bonheur, l'arriération mentale se prête à ce dépeçage vétérinaire". Certes, cela peut devenir désespérant, et cela "peut à peine servir de perchoir contre l'angoisse". Une telle vision réifiante, catégorisante, quantitative, finit par effacer le visage des mômes et les affres de la rencontre. Mais, "le quotidien insensé de l'asile ne se transcende pas avec des courbes, des graphes, des équations".

Illustration 3

Et puis, ces moutards dégénérés, il faut bien les considérer comme des pervers, des fabulateurs, des fausses victimes....Il faut arrêter de donner du crédit à leur parole. Ils mentent ; il ne faut pas les croire. Par exemple, les violences sexuelles et l'inceste n'existent pas, c'est uniquement l'expression d'un neurodéveloppement troublé.

"Le professeur Michaux était de ceux qui ont le plus théorisé à l’époque la version pédophile de l’attentat sexuel : le seul point sur lequel il était d’accord avec Freud était que l’attentat sexuel d’adulte sur l’enfant n’existe pratiquement pas. Son enseignement était centré non pas sur le viol dont l’enfant pouvait être victime, mais sur les fausses accusations de viol, de séduction, de « contacts sexuels » dont étaient victimes les adultes innocents. Il enseignait que la mythomanie était consubstantielle à la nature de l’enfant qui ne distingue pas le rêve de la réalité et qui, de surcroît, est volontiers malveillant et malfaisant. Même les nombreux témoignages concordants, concernant par exemple un enseignant accusé de pédophilie, étaient issus d’une « contagion psychique » des enfants, qui se montaient mutuellement la tête ; il citait à l’appui de sa thèse les hystéries collectives du XVIIème siècle"

"Il faut savoir que cet homme était à l’époque le seul professeur de psychiatrie infantile en France, éditeur d’un gros traité de psychiatrie de l’enfant. Ses paroles servaient de référence pour l’opinion, les juges, les policiers"...

Et il faut que cela continue ! Renouons avec cette glorieuse tradition ! La Science doit éclairer les professionnels et la société civile : il n'existe pas de traumatisme, d'abus, de maltraitance...Mais des dégénérescences neuro-génétiques, que les Centres Experts pourront dépister et diagnostiquer, à la chaîne, dans le respect des protocoles validés et des recommandations de bonne pratique.

D'ailleurs, nous accueillons maintenant un interne, qui suite au récent rapport parlementaire sur la situation de la psychiatrie, a souhaité témoigner de son expérience sans doute très formatrice sur un Centre Expert. C'est ainsi que la jeune génération doit apprendre...

"Je suis extrêmement soulagé que la question des centres experts soit abordée. Je suis interne de psychiatrie à Paris, et j'ai eu l'occasion de travailler 6 mois dans un de ces centres experts, en l'occurrence dédié au diagnostic de l'autisme.

Je peux aujourd'hui témoigner de l'extrême maltraitance et de l'inaptitude totale dont font preuve ces centres. Je n'ai jamais vu, en maintenant 9 ans d'études, de médecins aussi incompétent scientifiquement comme sur le plan humain. Ce fameux centre parisien se disait réputé pour ses qualités diagnostics... Je n'en ai rien vu. Entretiens expéditifs, simple échelles à cocher pour poser le diagnostic, aucun suivi, aucune écoute. Leur prise en charge se résumait à changer les psychotropes du jeune patient pour un autre, plus récent, ne possédant pas l'autorisation de mise sur le marché dans cette indication, et toujours le même.

J'ai été témoin de situation extrêmement grave lorsque je travaillais dans leur unité d'hospitalisation. J'ai notamment en tête plusieurs enfants maltraités physiquement par leurs parents, ce que moi et plusieurs soignants tentions de rapporter aux médecins afin qu'ils acceptent de réaliser un signalement ou une IP. Il nous a simplement été répondu que ce n'était "pas notre travail", "que nous avions une mission expertale", et que ce signalement serait réalisé par d'autres professionnels, plus tard. D'autres enfants, atteint de psychose précoce absolument manifeste (hallucinations massives, délirant) était diagnostiqué autiste car la cheffe de service tenait à garder ses statistiques de diagnostic l'autisme bien haute, comme le demande le gouvernement Macron.

J'ai très vite signalé ce stage à la plus haute autorité de pédopsychiatrie de ma région, qui m'a accueillie désolée, me disant qu'elle ne pouvait à vrai dire rien faire...

Ces centres experts sont des gouffres financiers, une imposture totale, et même dangereux pour nos patients. Ils ne font aucune preuve de leur bénéfice pour les patients, et ne viennent que confirmer l'image qu'ils ont de la psychiatrie, celle d'une branche déchue de la médecine, dénuée d'humanité"...

Silence gêné dans l'assemblée... Quelques toussotements...Mais Didier Salon-Macraud se ressaisit aussitôt ; "Ha ces jeunes...Incorrigibles, toujours à critiquer les pratiques de leurs aînés. Et oui, ils ont besoin de se démarquer, de se rebeller. Mais ils y viendront, ils accepteront, et ils deviendront aussi des experts, un jour, rattrapés par le réalisme. Car ils seront fatigués du Soin, de l'engagement et des incertitudes. Ils auront à leur tour la tentation phobique de se protéger derrière des postures de spécialistes, de croire en leur savoir, d'appliquer la Science, de catégoriser, de prescrire, de garder les mains propres...

Vous verrez, vous en aurez vite marre de "ceux qui fraudent et vagabondent, ces racailles de moins de dix-huit ans qui criment, ingratent, assistancepubliquent, et se masturbent l'existence" (Deligny). Et puis, en tant qu'experts taxinomiques, catégorisateurs d'humanités, nous savons bien que nous nous exposerons toujours à l'indignation des révoltés...

Dès 1947 ("Les vagabonds efficaces"), Fernand Deligny nous désignait déjà comme des "ennemis de l'enfance", "ennemis souvent inconscients car ils sont d'abord les ennemis d'eux-mêmes, depuis leur prime jeunesse"...Car nous sommes avant tout les agents de l'ordre et de la bienséance, les garants des privilèges et des hiérarchies. "L'adresse de ces gens pour accepter et assimiler apparemment des vérités qu'ils n'osent pas contredire n'a d'égale que l'habileté patiente qu'ils déploient pour éviter la mise en pratique sincère de principes dangereux pour le confort moral et social dont ils sont les représentants patenté et prudents".

Illustration 4

C'est bien cela, il faut s'y résoudre. Voilà ce que nous sommes définitivement : "partisans sournois d'un ordre social pourri et qui s'écroule de partout, ils s'affairent autour des victimes les plus flagrantes des éboulements : les enfants misérables. Importuns et tenaces, ils se rassemblent comme des mouches et leur activité bourdonnante et bienfaitrice camoufle un simple besoin de pondre dans cette viande à peine vivante leurs propres désirs d'obéissance servile, de conformisme avachi et de moralisme de pacotille"

"Ils emploient volontiers un terme magnifique, somptueux de bêtise, perle qui se grossit des sécrétions de mille comités accrochés à la table des administratives réunions comme des huitres sur leur rocher : le redressement moral". Enfin, de nos jours, on parle plutôt de réhabilitation psycho-sociale, de remédiation cognitive, ou de techniques de modification du comportement et de développement de compétences....On est résolument moderne !

"Comme si les enfants avaient quelque part un morceau d'on ne sait quoi, bien droit chez les uns, tordu chez les autres, et qu'on façonnerait en forme d'échine courbée"....

Les naïfs, les ignares, pensent toujours qu'il faut s'intéresser aux enfants, à leur vécu, à leur histoire, à leurs conditions de vie, à leurs intérêts....Balivernes...Car nous, qui sommes "des insuffisants sociaux docilement résignés à un emploi monotone notoirement inefficace", que pouvons-nous "comprendre à des enfants qui ont l'invraisemblable audace de manifester des troubles du comportement ? "....

Mais que se passe-t-il ? Le sol se met à trembler, des sons gutturaux surgissent ; étranges mélopées s’échappant de trompes cuivrées, qui viennent ébranler l’assistance. Des éléphants pénètrent dans l’enceinte, et toute une caravane défile à leur suite. Créatures exotiques, senteurs d’épices, couleurs chatoyantes.

Illustration 5

"Nous sommes les Rois Mages de l’enfant, ceux qui le reconnaissent et l’accueillent. Ceux qui le voient et l’entendent !"

Trois personnages, vêtus d’étoffes précieuses s’avancent.

Je suis Frantz Fanon, venu des lointaines contrées de la Martinique et de l’Algérie. Psychiatre révolutionnaire, défenseur des damnés, des colonisés et de tous les opprimés. Le soin ne peut être que politique !

Je suis Georges Politzer, immigré de l’empire austro-hongrois, résistant mort pour la France ; nourri par les idéaux d’un communisme existentiel, en lutte contre toutes les idéologies asservissantes, engagé dès l’adolescence pour renverser les régimes aliénants. L’éducation doit devenir une lutte contre les illusions mystificatrices, contre la résignation et les soumissions passives !

Je suis Tony Lainé, fils d’un père ouvrier anarcho-syndicaliste et résistant, et d’une mère philosophe, issue d’une famille juive russe. J’ai œuvré toute ma vie pour considérer les enfants « pas comme les autres », pour les accueillir à travers tout une palette institutionnelle permettant d’individualiser la réponse soignante ; pour développer des approches créatives, alternatives, non-stigmatisantes, favorisant la participation à la vie sociale et communautaire. La Politique doit d’abord être du Soin !

Et voici qu’arrive en courant, tout essoufflé, un autre personnage, affublé d’un élégant costume et de plumes, dans le style Mohave.

Attendez, j’arrive ! …Je suis Georges Devereux, le quatrième mousquetaire ! Moi, Győrgy Dobó, psychanalyste et anthropologue d’origine hongroise, et de tous les pays ! Je suis là pour témoigner de l’importance de la culture dans la construction du petit d’homme, et pour vous rappeler qu’il n’existe pas de point de vue objectif dans les sciences humaines. Je suis là pour vous rabattre le caquet, et vous rappeler que vos constructions savantes sont avant tout des ethnothéories !

Didier Salon-Macraud s'exaspère ; "Bon, Messieurs, vos traditions folkloriques sont très respectables, mais vous interrompez là un travail très sérieux pour le redressement du pays. Que voulez-vous donc ?"

 Frantz Fanon se dresse, majestueusement, et toise le petit homme ventripotent et dégarni du crâne. Son regard perçant scrute l’assemblée ; immédiatement, les ricanements s’interrompent.

Illustration 6

 Coloniser une personne, c’est la rendre homogène de part en part à un milieu social de type colonial. C’est une négation systématisée de l’autre, une décision forcenée de lui refuser tout attribut d’humanité. L’enfant, ainsi chosifié, transformé en objet, dépersonnalisé, est réduit à une forme d’animalité opprimée ; il ne pourra s’émanciper que dans un processus de libération et de recouvrement de sa dignité. Car l’être humain est une constante insulte à la destinée. Vos nomenclatures et vos orientations mettent en parenthèses tous les cadres géographiques, historiques, culturels, et sociaux : il s’agit tout simplement d’une politique d’assimilation. D’ailleurs, le processus d’infantilisation constitue une stratégie centrale dans vos systèmes de coercition et d’asservissement, similaire à la racialisation ou à l’altérisation infrahumanisante. Pour réduire, coloniser et dominer, vous commencez toujours par objectiver, et par rendre impuissant.

 Au contraire, les soins inspirés par la psychanalyse cherchent à « réintégrer lindividu aliéné au sein du groupe », dans une pratique collective. Vos dispositifs inclusifs, vos plateformes et vos centres experts, s’engagent dans des directions fondamentalement opposées au « caractère ouvert, fécond, global et pourtant nuancé de linstitution », qui devrait rendre possibles « dinterminables et fructueuses rencontres ». Disons-le, il faut « passer du biologique à linstitutionnel, de lexistence naturelle à lexistence culturelle ». « Penser un service comme instrument thérapeutique, cest le structurer, cest lamener à être vécu par le malade comme ce qui « enfin comprend » et non comme ce qui ampute, ce qui châtre ».

Un expert diagnostiqueur qui ne ferait qu’hypostasier des catégories essentialisées de troubles naturalisés se priverait définitivement de rencontrer, d’être affecté, et de soigner. Or, chaque tentative d’explication doit être spécifique à une situation donnée, et de cette rigueur épistémologique dérive une transformation de la clinique.

Je refuse donc de participer à un système dont les bases doctrinales s’opposent à une perspective humaine authentique.

« La fonction dune structure sociale est de mettre en place des institutions traversées par le souci de lhomme. Une société qui accule ses membres à des solutions de désespoir est une société non viable, une société à remplacer » (lettre de démission de Franz Fanon, écrite en 1956).

Un enfant qui crache à la gueule d’un technocrate se libère lui-même, mais aussi toute la société !

S’avance maintenant Georges Politzer qui, de sa colossale posture, semble écraser cette assemblée de nains éberlués.

Illustration 7

 Vous prétendez détacher les faits psychologiques de l’enfant singulier, vous vous situez d’emblée sur le plan des généralités abstraites, ce qui ne peut aboutir qu’à une tautologie absconse. Dès lors, « cest le hasard qui devra remplir le vide créé par l’élimination du concret individuel ». Vous vous condamnez à répéter des généralités, et vos explications seront incapables de se modeler sur les faits à expliquer.

Vous fractionnez la subjectivité en facultés, vous éliminez le « Je » pour le remplacer par des « schémas en troisième personne ».

 A la place des événements humains, vous imposez des processus ; tout cela n’est qu’illusion mythologique, fausseté préscientifique. Votre volonté d’abstraction substitue aux individus concrets, et à leurs situations de drame existentiel, des formalismes impersonnels. « Après avoir transformé en une fausse « nature » les croyances qui étaient nécessaires pour lasservissement des masses, la psychologie sest mise à l’œuvre pour découvrir les moyens permettant lasservissement complet de lindividu à la production ». Et votre psychologie infantile « a été constituée comme sil ny avait au monde que des enfants bourgeois » …

« Si Freud a eu toutes les peines du monde à faire admettre la sexualité infantile, cest précisément parce que médecins et psychologues nont voulu voir dans lenfant que ce quil doit être daprès certaines représentations collectives bien connues ».

Vous devriez pourtant vous intéresser à des enfants particuliers, « qui vivent des vies déterminées dans leurs contenus ». En effet, « la structure densemble de lenfance est incapable dexpliquer les détails individuels dun comportement déterminé chez tel ou tel enfant. Pour pouvoir le faire, on devrait dégager les structures densemble à la suite de recherches effectuées sur des matériaux purement individuels, comme le fait par exemple la psychanalyse ».

Car, « le fait psychologique cest le comportement qui a un sens humain », qui est éclairé par ce qu’en transmet le sujet.

« Lacte de lindividu concret, cest la vie, mais la vie singulière de lindividu singulier, bref, la vie, au sens dramatique du mot ».

 Voilà maintenant qu’approche Tony Lainé, se dodelinant avec un air tellement espiègle qu’il sème une sourde inquiétude tout autour de lui.

Illustration 8

 Chers experts, sachez ceci : « lengagement dun processus thérapeutique, qui se prévoit dans un long cours, doit toujours échapper à la prégnance négative de la nosographie ». Le soin institutionnel ne peut que lutter contre vos préoccupations normatives et ségrégatives, contre votre idéologie de l’utilitarisme, en favorisant l’implication et la tolérance, afin que l’enfant puisse investir des liens avec des personnes engagées auprès de lui. Ceci suppose de dénoncer radicalement votre « politique technocratique dabandon des champs non rentables », ainsi que votre conception des troubles infantiles en tant qu’inaptitude à s’insérer dans le circuit productif. Votre seule visée est le « critère adaptatif imposé par la société de la rentabilité et du profit ». « Sous les pressions directes et subtiles du pouvoir, le projet pédagogique se place de plus en plus à lenseigne de la préparation des enfants à leur futur statut dinstrument de lexploitation ». Or, le symptôme est parfois la dernière forme d’expression, d’existence, ou de résistance pour l’enfant ; une réaction parfois saine et nécessaire à l’oppression ou aux maltraitances… « Le lui retirer, cest nier son existence singulière, le contraindre au silence, opposer résolument notre surdité à ce qui reste capable de porter du sens ».

 Vos centres experts justifient finalement « la technique condamnable de l’écrémage et dun tri susceptible d’accroître la rentabilité de certaines activités et lintroduction en force du capitalisme sanitaire ». De la sorte, vous participez pleinement à un « ordre social attaché à opprimer les potentiels humains et à châtrer le langage ». En effet, « une médecine, et aussi bien une psychologie ou toute autre institution qui semploie à nidentifier la folie quen certains de nous, masque et pervertit cette vérité. Le concept de « santé mentale » participe lui-même de cette corruption en livrant la folie au pouvoir exclusif de savoirs spécialisés et encore trop dominés par des demandes normatives ». Cependant, « le système théorico-pratique de la psychiatrie est, en chaque temps, enchâssé concrètement dans la réalité de lhistoire sociale », avec des déterminations spécifiques pour appréhender la déviance et ses destinées.

 En 1988, l’équipe du 19ème secteur Est de l’Essonne promulguait ce manifeste que je vous balance à la gueule :

 « On ne soigne pas quavec des médicaments

On ne soigne pas avec la nosographie

On ne soigne pas avec des méthodes contraignantes

On ne soigne pas avec le comportementalisme

On écoute lenfant comme un sujet désirant, comme acteur de son histoire, dans un lien étroit avec sa famille, ses références culturelles »

 A bon entendeur !

 Et puis voilà maintenant que se présente Georges Devereux, en esquissant une sorte de danse rituelle. Il tape du pied, l’air hagard et sauvage, et désigne le public apeuré, d’un doigt accusateur.

Illustration 9

 Vous autres, drapés de votre suffisance, vous pensez observer et catégoriser objectivement, mais votre prétention est vaine et contre-productive. Car, alors, vous niez votre implication dans la situation, vous refoulez votre propre subjectivité, quand bien même elle est la ressource essentielle pour comprendre une activité humaine quelconque. De fait, les « perturbations » dues à lexistence de lobservateur, lorsquelles sont correctement exploitées, sont les pierres angulaires dune science du comportement authentiquement scientifique et non comme on le croit couramment un fâcheux contretemps dont la meilleure façon de se débarrasser est de lescamoter ».

Au fond, vous êtes rongés par l’angoisse, par la peur d’être pénétré, altéré, de ressentir. En conséquence, votre contre-transfert et vos résistances déforment non seulement l’interprétation mais aussi la perception même des faits. Or, il faut considérer ce qui est réellement, et non ce qui devrait être à travers vos catégories préconçues et vos préjugés défensifs.

Rappelez-vous ceci : la guérison n’est jamais l’adaptation à une société malade ! En tout cas, vous ne savez plus percevoir l’enfantin, c’est-à-dire le « comportement spontané, authentique et positif de lhumain à l’état dimmaturité ». Vous ne voyez que le puéril, soit le comportement que vous inculquez à l’enfant au nom des stéréotypes négatifs élaborés par votre culture.

« De nombreuses recherches sont faussées demblée du fait que les chercheurs, même avertis, ne semblent pas se rendre compte quils prennent pour objet d’étude non pas le comportement puéril que la société, par le truchement de ses psychologues et pédagogues inculque aux enfants pour les rendre conformes à ce stéréotype : cest ce stéréotype qui est ensuite étudié comme authentique produit de la « nature » des enfants. Cercle vicieux sil en est ! ».

Or, cet enfant puérilisé peut être un « spécimen » tout à fait déformé, tout en étant adapté à vos normes. Par conditionnement culturel, cette pseudo-adaptation normative entrave la subjectivation, la créativité, l’autonomie.

« Les malentendus volontairement entretenus sur la vraie nature de lenfant oscillent habituellement entre le stéréotype de la petite brute vicieuse, dominée par ses pulsions, et celui du chérubin asexué, dépourvu de toute pulsion agressive ». Vos discours à prétention scientifique ne sont finalement que des fantasmes auto-justificatifs concernant le type d’enfants que vous contribuez à fabriquer.

Mais « peut-être parviendrons nous avec le temps à constituer une psychologie de lenfant, libre de tout stéréotype, cest-à-dire une science véritable qui nous permette d’élever des enfants capables d’édifier un monde meilleur que celui quils tiennent de nous ? »…

Néanmoins, avec des idéologues crétinisés de votre trempe, c’est mal barré…

Rumeur d'indignation dans la salle. Didier Salon-Macraud arbore un air outré....

Soudain, fumigènes, gaz lacrymogènes, canon à eau anti-émeute ; les forces de l'ordre envahissent l'assemblée, tabassent, désencerclent. Coups de matraques, grenades, lanceurs de balles de défense. On éparpille, on massacre....

Et Didier Salon-Macraud qui jubile, au milieu du fracas : "Voilà comment on mâte les irréductibles ! "

"Joyeux Noël mes petits!"

Illustration 10

A suivre...

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