Dans ce premier billet d’une thématique qui se penchera sur quelques délaissements iniques dans le champ de l’enfance, nous aborderons certaines situations de grande précarité en contexte périnatal, et leurs conséquences à plus long terme. Comment devenir mère dans ces conditions de survie, d’isolement et de vulnérabilisation indignes ? Quels impacts pour le développement infantile ?
Selon l’ARS, 11 maternités en Ile de France signalent au moins une sortie de maternité à la rue par semaine. En 2020, ce sont ainsi 3000 femmes qui se sont trouvées dans cette situation en Ile de France. Elles étaient 2000 en 2016.
Par exemple, entre le 1er mai et le 23 juin 2021, le Samu Social de Paris a comptabilisé 2236 demandes d’hébergement et n’a pu en pourvoir que 1025, soit moins de 50% ; parmi ces sollicitations, 439 émanaient de couples avec enfants, 139 de femmes seules et 63 de femmes seules avec enfants.
Ainsi, dans la France du XXIème siècle, il est explicitement documenté que des femmes enceintes ou de jeunes mères sont laissées dans des conditions de survie absolument indignes, occasionnant une détresse psychique évidente (vie à la rue enceinte ou avec un nouveau-né, dans des hôtels sociaux à la nuitée, avec de nombreuses ruptures d’hébergement…). Dans ce contexte, on ne peut que craindre les conséquences de ces délaissements tragiques, tant pour la santé maternelle que pour les conditions de développement infantile. D’une situation d’abandon social et politique, on bascule ainsi rapidement vers un impératif de soins…
Ainsi, les résultats d’une enquête concernant les morts maternelles parus début 2021 révèlent que le suicide serait devenu la première cause de mortalité maternelle, avec une surreprésentation chez les femmes pauvres et immigrées.
De fait, la dépression sévère du post-partum est largement sous diagnostiquée, en particulier chez les femmes en situation de grande précarité. On sait pourtant que cette période périnatale est en soi un moment de grande vulnérabilité, dont les conséquences peuvent être tout à fait déterminantes sur la qualité des premières interactions mère / bébé. Rappelons par ailleurs que ces jeunes mères peuvent cumuler les facteurs de fragilisation, au-delà des enjeux périnataux : par exemple, le stress migratoire peut également être accentué par une « double discrimination », liée au statut de femme et à la situation sociale de migration et /ou de précarité.
Or, les conditions d’environnement sont à cet égard déterminantes, et des interventions « thérapeutiques » ponctuelles, centrées exclusivement sur la « détresse psychique », passent sans doute à côté des enjeux cruciaux, d’autant plus lorsqu’elles prennent la forme de passage à l’acte, voire de séparation et de mise à mal des liens primaires, dans une spirale infernale de répétition traumatique…
Au-delà du caractère inique de cette situation absolument affligeante pour notre démocratie, notre système social et sanitaire ainsi que pour notre décence collective, au-delà des responsabilités politiques en jeu, des insuffisances et des délaissements, au-delà des conséquences très concrètes sur l’état de santé de la dyade mère / enfant, on doit également s’inquiéter des conséquences à long terme d’un tel scandale. En effet, pour les pouvoirs publics, il convient à la limite de garantir la survie des corps de ces femmes et de ces enfants, de façon à ne pas attiser le scandale médiatique. Néanmoins, il ne faudrait surtout pas accueillir, protéger, prendre soin, pour ne pas "créer d'appel d'air" - même si le prix à payer pour cette inhumanité sera sans doute majeur, tant pour les personnes que pour la collectivité....
De fait, outre les aspects matériels, on pourrait définir la précarité périnatale comme une situation dans laquelle les « ancrages » et les « arrière-plans » communautaires nécessaires au processus de « parentalisation » sont absents ou fragilisés. Investir affectivement le lien à un nouveau-né suppose en effet une disponibilité, une sécurité, un portage et une contenance collective en toile de fond ; l’entourage social s’avère ainsi décisif pour faire face à l’expérience significative de la maternité, car il tisse et autorise la rencontre, l’inscription et la mise en sens, car il contient les bouleversements et les organise, car il symbolise les dimensions corporelles. Dès lors, la précarité, l’insécurité matérielle, l’isolement viennent directement mettre à mal le « devenir mère », à la fois sur le plan très concret des conditions effectives du maternage, mais aussi dans les dimensions institutionnelle, collective, rituelle, culturelle et narrative des premiers liens à l’enfant. Cette carence des aspects symboliques et communautaires, des dynamiques de filiation et d’affiliation, des dispositifs de légitimation sociale, constituent donc un aspect non négligeable de cette « précarité périnatale ». Une jeune mère isolée, désinsérée, doit de facto renoncer à l’appareil rituel qui devrait précéder et suivre l’accouchement. Or, l’absence du groupe d’appartenance et des figures de référence dans ces parcours d’errance et d’instabilité entrave la possibilité d’accomplir la totalité ou une partie des pratiques sociales garantes de la reconnaissance du changement de statut, sur le plan intrapsychique et intersubjectif. Même dans nos sociétés contemporaines, une mère a besoin, sur le plan identitaire, de systèmes symboliques de protection et de réassurance, de rites de transition.
Comme le souligne René Kaes, « toute naissance est naissance au groupe ».
De fait, les avatars de la construction du lien parents-enfants trouvent dans l’expérience du groupe social des noyaux de sens qui, en situation de marginalisation, sont plus difficiles à appréhender. Car tout nouveau-né est porteur d’une part d’étrangeté. Il doit donc être reconnu, humanisé et accueilli dans la psyché de ses parents ainsi que dans le réseau des relations familiales. Or, l’absence d’un arrière-plan relationnel et culturel susceptible d’étayer les représentations de la mère conduit au fait que les sensations corporelles puissent être surinvesties, au détriment des dimensions affectives, narratives, fantasmatiques. Cette configuration peut « enclore » le vécu maternel, et contribuer à « automatiser » le maternage, afin de faire simplement face aux besoins physiologiques.
Dès lors, on voit bien à quel point la précarité périnatale vient bouleverser les mécanismes collectifs de régulation autour de l’arrivée d’un bébé. Le groupe n’est plus là pour « filtrer » les stress psycho-sociaux et les intrusions externes, ce qui altère inévitablement la disponibilité parentale, sa capacité à être « obnubilée » par le lien au nouveau-né et à se détacher de l’extérieur. Comme le disait malicieusement D. Winnicott, « un bébé, ça n’existe pas », entendant par là qu’il faut toujours prendre en compte toute la sphère relationnelle, sociale, affective, symbolique qui l’entoure. Mais on pourrait aussi affirmer qu’une maman non plus, ça n’existe pas, indépendamment d’un arrière-plan institutionnel, familial, communautaire, collectif, politique, etc.
Ainsi, la situation de précarité induit une forme de carence de la fonction de « médiation » et de protection vis-à-vis de l’extérieur : une jeune mère à la rue se retrouve de plain-pied avec les contraintes du réel, sans soutien, sans abri, sans havre. En effet, le réseau interpersonnel se trouve fragilisé, instabilisé, les investissements sont toujours menacés de discontinuité et de ruptures, les liens deviennent interchangeables et « jetables ». Cette situation de « non-être social » induit finalement un risque de repli autarcique sur la dyade mère / bébé, sans possibilité d’ouverture vers des espaces tiers, du fait de leur clôture. Les transmissions, les histoires, les pratiques corporelles, les gestes ritualisés, les étayages, font défaut. Dès lors, non sans une certaine violence, la jeune maman doit porter seule la charge de responsabilité, de culpabilité, d’angoisse, inhérente à l’accueil d’un enfant, sans pouvoir en décharger une partie en la confiant et en la diffractant groupalement… Cette violence peut même devenir persécutante, dans la mesure où le contexte sensoriel peut se trouver exacerber du fait du corps à corps avec le bébé, et de l’obligation de lui prodiguer des soins constants.
Comme le souligne Florent Gabarron-Garcia en évoquant la pratique clinique de Wilhem Reich auprès de jeunes mères en situation de grande précarité « aucune des femmes que ses collaborateurs et lui-même recevaient n’était en mesure d’accueillir un enfant. Epuisées, abandonnées, souffrant de névroses graves ou de mélancolies suicidaires, la plupart « haïssaient l’enfant avant même qu’il ne soit né » ». Cependant, nier le poids des déterminismes sociaux dans cette atteinte de la parentalité reviendrait à imputer à la personne elle-même ses difficultés, avec toute la panoplie de jugements subséquents sur « les mauvais parents » contribuant à invisibiliser les responsabilités politiques réelles…
De fait, cette « défaillance à donner le soutien vivant et continu propre au maternage » (D. W. Winnicott) n’est pas inhérente à l’investissement maternel, mais secondaire à la précarité des conditions de holding maternel en arrière-plan.
De surcroit, sur le plan social, relationnel et intrapsychique, le devenir parent impose une transformation de l'identité sans équivalent. La naissance d’un nouveau-né vient donc mettre en branle l’équilibre entre les assises narcissiques-identitaires des parents et la qualité concrète de leur environnement social. Ainsi, une jeune mère en situation de précarité pourra plus facilement être fragilisée par ces remaniements imposés à l’occasion de la naissance, car ne pouvant faire appel qu’à ses « ressources internes ». Le risque d’une dysphorie accentuée, d’un baby blues prolongé, voire d’une authentique dépression du post-partum n’en est que plus effectif. Isolement, repli, désarroi, impuissance, illégitimité, inquiétude…tous ses affects éprouvants ne sont plus métabolisés par l’entourage, ne sont plus transformés par les mises en sens et les rituels collectifs de protection.
En conséquence, cette situation peut manifestement aboutir à une altération des interactions primaires au sein de la dyade mère/bébé. Une mère empêchée dans sa disponibilité ne peut plus répondre adéquatement aux besoins émotionnels de son enfant, car elle n’est pas suffisamment sécurisée pour déployer sa capacité de rêverie, pour tisser des significations dans les échanges, etc. Ses représentations cognitivo-émotionnelles ne sont plus modulées par le contexte socio-culturel, ne sont plus contextualisées par des récits, ne sont plus tiercéisées. Dès lors, le bébé peut se trouver en difficulté pour comprendre son environnement, pour investir sereinement les microévénements interactifs qui tissent des séquences successives à travers une forme de trame narrative. Or, les représentations de l’enfant sont fondées sur ses expériences interactives d’accordage, d’harmonisation, sur toutes ces petites chorégraphies intimes qui supposent une contenance d’arrière-plan suffisamment bonne et protectrice.
Ainsi, on peut craindre que la précarité sociale favorise une précarisation des liens, avec des effets carentiels cumulatifs, vecteurs de conséquences problématiques pour le développement infantile, tant sur le plan affectif que cognitif. D’une part, les défauts d’inscription symbolique, le manque d’affiliation et de triangulation peuvent induire d’authentiques troubles de l’individuation et de la subjectivation. En l’absence d’une « constellation maternelle » (D. Stern) structurante, « le déni de la dette à la génération antérieure conduit à élever son bébé comme un nouveau soi-même idéalisé, ce qui est souvent peu propice à son autonomisation » (Véronique Lemaitre).
Le bébé peut donc souffrir, dans son devenir, de cette carence d’enracinement générationnel et communautaire, de ce défaut d’histoire. De fait, le cerveau se développe essentiellement dans le rapport à l’autre et dans le rapport au social.
D’autre part, il est désormais clairement établi que les situations de stress primaire exercent des effets préjudiciables sur le développement neurologique, à travers des processus épigénétiques. Ainsi, le stress et l’anxiété anténatale augmentent déjà le risque de prématurité, mais aussi la vulnérabilité ultérieure aux événements stressants. Lorsque les conditions d’accueil du nouveau-né sont préservées, les parents et l’entourage viennent effectivement « tamponner » les systèmes neuro-hormonaux activés par le stress (en particulier au niveau hypothalamo-hypophyso-surrénalien). Ainsi, la réceptivité, la disponibilité et la préoccupation des donneurs de soins sont primordiales pour maintenir une faible activité du cortisol durant la période périnatale. Ce sont effectivement les modalités interactives avec le bébé qui vont réguler son état émotionnel et son sentiment de sécurité, favorisant par exemple la sécrétion d’ocytocine capable de limiter la libération précoce de corticoïdes. Le comportement de maternage induit donc des changements neuro-endocriniens qui influencent directement le développement cérébral. « La perception par l’enfant de l’expression émotionnelle faciale positive de la mère provoque également une élévation des peptides opioïdes et ces mêmes endorphines activent physiologiquement les neurones dopaminergiques qui régulent le développement du cortex orbito-frontal » (A Moureau et V. Delvenne).
A contrario, un stress précoce intense chez le nouveau-né va provoquer une hyperréactivité neuro-endocrinienne ultérieure à travers « une trace somatique mnésique au niveau des structures sous-cortical (noyau amygdalien) ». A terme, une exposition prolongée à des situations stressantes peut induire une « atrophie du cortex préfrontal susceptible d’entraver les fonctions exécutives et attentionnelles, et d’induire des difficultés de symbolisation et de mentalisation ». Il peut également être observé une difficulté dans l’instauration de certaines fonctions « comme la possibilité d’éprouver de l’empathie, de nouer un attachement sécure avec autrui ainsi que la capacité à réguler ses affects ».
Du fait de l’extrême sensibilité du cerveau pour percevoir les signaux en provenance de l’environnement, il faut donc comprendre que les conditions concrètes du lien primaire au nouveau-né peuvent avoir des répercussions très significatives sur le devenir à long terme, à travers une forme de mémoire environnementale précoce. Dès lors, « l’impact d’un stress précoce peut influer sur l’organisation structurelle du cerveau, et notamment sur le système limbique, lieu de la mémoire et de la réactivité émotionnelle ».
Ainsi, au-delà des aspects éthiques, sociaux et des conséquences médicales immédiates pour la santé de la mère et du bébé, la précarité périnatale peut favoriser des troubles très pérennes et « coûteux » pour la collectivité sur le long terme.
En pratique, nous recevons régulièrement, sur les institutions pédopsychiatriques, des enfants ayant subi une forme de précarité périnatale, avec des conséquences parfois préoccupantes dans l’après coup :
- Attachement insécure, avec angoisse abandonnique et vulnérabilité dépressive
- Difficultés de séparation/individuation voire manifestations symbiotiques du fait de l’absence de triangulation fonctionnelle et d’un fonctionnement très fusionnel de la dyade mère/enfant
- Évitement relationnel avec défenses autistiques et troubles envahissants du développement, conséquences d’un retrait précoce et des entraves à la socialisation primaire
- Instabilité psychomotrice, avec troubles de la régulation tonico-émotionnelle et hyperkinésie, en rapport avec les ratés dans le dialogue tonique et les interactions corporelles primaires
- Retard de langage, voire mutisme extra-familiale, conséquence d’un désinvestissement précoce des interactions linguistiques
- Troubles de la symbolisation et des apprentissages, du fait notamment des aspects carentiels ayant entravés l’émergence de la pensée et des fonctions cognitives

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- Troubles attentionnels et des fonctions exécutives, en rapport avec certaines répercussions sur le développement cérébrale
- Fragilités identitaires en lien avec des carences précoces d’ancrages générationnels, communautaires, sociaux, narratifs
Ainsi, ce qui était initialement une problématique sociale peut devenir assez rapidement un authentique trouble psychiatrique, nécessitant des soins préventifs et curatifs. De surcroit, une fois les difficultés développementales installées, le maintien de la précarité contribuent non seulement à la chronicisation des troubles mais aussi à entraver les interventions thérapeutiques.
En effet, les dispositifs pédopsychiatriques sont confrontés à des impasses face à ces situations d’errance territoriale et institutionnelle, avec une discontinuité des suivis et le sentiment parfois amer que la médicalisation est une façon de ne pas prendre en compte la réalité inadmissible de la situation sociale concrète. En effet, ces familles peuvent subir pendant des années des situations d’errance, de relogements multiples et d’instabilité des investissements relationnels et institutionnels.
Ainsi, il ne faut surtout pas oublier que la problématique de la précarité est avant tout sociale, et que les réponses doivent essentiellement être politiques…Le recours ultérieur à une médicalisation signe déjà l’échec des stratégies préventives en termes de solidarité collective et de santé publique, qui devraient avant tout exercer une véritable volonté de déployer des conditions d’accueil dignes, décentes, pérennes.
Il est un peu facile, voire carrément lâche, de se dégager de nos responsabilités concrètes par rapport à ces trajectoires existentielles parfois tragiques, en pointant l’irresponsabilité parentale ou en conceptualisant des troubles neurodéveloppementaux à déterminisme génétique exclusif…
Cependant, une fois que des distorsions primaires se sont inscrites dans les interactions avec le bébé, il convient non seulement de stabiliser prioritairement la situation sociale et les ancrages de la famille, mais aussi de pouvoir intervenir le plus précocement possible pour limiter les conséquences à plus long terme de cette précarisation des liens.
Dès lors, il convient avant tout de permettre un tissage pérenne des investissements relationnels, dans la continuité - à l’inverse des « liens jetables », éphémères, instables -, et de créer les conditions d’un « holding » étayant. Cette contenance d’arrière-plan peut secondairement favoriser le déploiement d’espaces de « médiation » et la relance d’une « fonction tierce » mise à mal par la précarisation de la relation.
De fait, on constate très régulièrement que quelque chose n’a pas pu se raconter, dans la mesure où ces parcours d’errance mobilisent des postures de "survie", un fonctionnement opératoire avec une mise à distance défensive des affects et des mots. La continuité narrative des expériences et des vécus relationnels au sein de la dyade peut ainsi se trouver sidérée par l’impact traumatique des situations de précarité extrême et d'errance. Dès lors, les capacités de rêverie de la mère sont susceptibles d’avoir été mises à mal, avec un empêchement à l’émergence d’une authentique préoccupation maternelle primaire.
En conséquence, il parait essentiel de pouvoir relancer une mise en récit du lien mère/enfant, d’inscrire la dyade dans une histoire et une transmission. Dans l’après-coup, il s’agira donc de restaurer, autant que faire se peut, la dynamique d’un investissement fantasmatique de l’enfant, à travers la relance d’une narration commune et partagée, non seulement en ce qui concerne les avatars de la petite enfance, mais aussi dans une dimension généalogique, transgénérationnelle, socio-culturelle, etc.
Au sein d’un parcours troué par les discontinuités, les ruptures, les délaissements, les relégations, la restauration d’une trame narrative peut contribuer à redonner de la cohérence, de l’estime, de la « capabilité », du plaisir à penser le lien, du côté maternel.
Et, du côté de l’enfant, il sera sans doute déterminant de soutenir la possibilité de se réapproprier une histoire, une inscription, un lignage, une affiliation, là où n’apparait de prime abord que du vide, du manque et de la déshérence. En effet, la subjectivation entravée de l’enfant doit pouvoir à nouveau s’étayer sur un discours vivant, et la médiation par un tiers peut soutenir une telle relance de processus restés en suspens.
Mais, pour qu’un tel récit puisse petit à petit se retisser, encore faut-il avoir pu au préalable nouer une forme de constellation institutionnelle avec les différents acteurs de l’accompagnement (au niveau social, médical, scolaire, éducatif, etc.). Cet « accueil » à plusieurs favorise effectivement les conditions qui vont permettent qu’adviennent ou que réapparaissent les potentialités de réappropriation narrative éventuellement figées par l’expérience de la précarité.
Dans l’après-coup, il faudra également envisager des interventions multifocales, en fonction des difficultés singulières traversées par l’enfant et sa famille.
Il s’agit évidemment de proposer une prise en charge adaptée aux troubles constitués chez l’enfant, à la fois sur les versants rééducatifs (orthophonie, psychomotricité, etc.) et psychothérapeutique, en individuel ou en groupe. Mais les soins à destination de l’enfant devraient systématiquement être accompagnés de consultations mère/enfant régulières, ayant non seulement comme finalité d’élaborer les problématiques actuelles, mais aussi de réinscrire la dyade dans une histoire partagée. Il conviendrait également de s’extraire de la « culpabilisation », en rappelant que les écueils traversés sont subséquents à des conditions sociales induites par des décisions politiques. A ce titre, la responsabilité est véritablement collective, et ne doit donc surtout pas être imputée individuellement, ou alors être tout simplement invisibilisée à travers l’accentuation mise sur de pseudo déterminismes génétiques et biologiques - classique ruse du discours néolibéral qui désigne les individus comme responsables de "leurs choix" et de leurs investissements, pour mieux dédouaner des décisions politiques tout à fait conscientes d'abandons et de profitabilité.
Malheureusement, dans ces situations tragiques, l’intervention de la pédopsychiatrie suppose déjà la constitution de troubles plus ou moins réversibles, avec des symptômes à effet développemental « différé »…On vient donc essayer de traiter après-coup des problématiques précoces qui ont été sciemment négligées, jusqu’à en créer une authentique psychopathologie a posteriori.
Sur le plan très pratique, on pourrait évidemment souhaiter une meilleure articulation entre les services de maternité, de Protection Maternelle et Infantile, les acteurs du social et de l’éducatif, ainsi qu’avec les équipes de psychiatrie périnatale, de façon à pouvoir proposer des interventions coordonnées et ajustées de prévention précoce.
De fait, il est souvent noté une mauvaise harmonisation entre les interventions socio-éducatives et médicales, induisant des discontinuités, des rigidités, et des clivages parfois très délétères.
Cependant, ne l’oublions pas : la stratégie la plus efficiente ne pourra être que politique. A savoir, permettre à chaque femme d’être protégée et accompagnée dignement dans son devenir « mère », à chaque enfant d’être accueilli au monde dans des conditions décentes et collectivement instituantes.
A bon entendeur….