Dr BB (avatar)

Dr BB

Pédopsychiatre en CMPP

Abonné·e de Mediapart

197 Billets

0 Édition

Billet de blog 23 mai 2022

Dr BB (avatar)

Dr BB

Pédopsychiatre en CMPP

Abonné·e de Mediapart

Pourquoi des Centre-Médico-Psycho-Pédagogiques ?

Les Centre-Médico-Psycho-Pédagogiques sont désormais une cible directement visée. Mais pourquoi tant de hargne ? Que représentent ces institutions aux yeux de ceux qui s'acharnent à les détruire ? Pour cela, effectuons un petit détour par l'histoire, afin d'envisager les soubassements éthiques, politiques et émancipateurs de ces pratiques clinico-institutionnelles.

Dr BB (avatar)

Dr BB

Pédopsychiatre en CMPP

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Pour comprendre la hargne des mouvements actuels visant à réformer radicalement l’offre de soins en pédopsychiatrie, posons-nous déjà cette question : qu’est-ce qu’un Centre-Médico-Psycho-Pédagogique ? De quoi cette institution est-elle le nom ? Et pourquoi diable mobilise-t-elle de tels assauts itératifs et insatiables ?

Illustration 1

Effectuons déjà un détour par les origines. La création des CMPP fait suite à la Libération, dans le sillage des grands programmes de réformes sociales issues du Conseil National de la Résistance - dont l’instauration de la sécurité sociale est l’exemple le plus emblématique. C’est dans ce contexte d’espoir, de créativité, d’élans vers l’avenir, de souci envers les jeunes générations, etc. qu’émerge en France le projet du Centre Psycho-Pédagogique Claude Bernard, en 1946, qui mobilisera une équipe de psychanalystes engagés (Juliette Favez-Boutonier, Françoise Dolto, puis également Didier Anzieu, Maud Mannoni). L’association des CPP est alors créée en 1947, présidée par Henri Wallon puis par Georges Heuyer, et ensuite par Daniel Lagache. En 1949, naissait également le Centre Claparède, sous la houlette de Henri Sauguet avec une approche plus psychothérapeutique et médicale.

Comme le soulignait Dominique Arnoux, ancien directeur de ce CMPP, « ces centres sont les héritiers d’une conviction, celle de l’écoute et du soin psychique de l’enfant et de sa famille, et d’une révolution politique et sociale : la création de la sécurité sociale ». Ils sont aussi les représentants à la fois de certaines évolutions collectives décisives mais aussi des progrès de la pensée qui se reflétaient dans le développement des sciences humaines, de la psychologie de l’enfant et du développement, des approches psychanalytiques et pédagogiques, etc.

Voici par exemple ce que pouvait écrire Henri Sauguet en 1952 : « L’envisagement à la fois dramatique et dialectique de l’acte de consultation puise ses connaissances dans l’ensemble de notre culture médicale et psychologique, mais aussi et surtout dans l’apport de la psychanalyse qui nous éclaire davantage sur la connaissance des besoins de l’enfant intimement liés à sa croissance et à sa structuration biologique et psychologique, et déterminants dans la relation que l’enfant établit avec le monde et plus particulièrement avec les êtres, notamment son entourage familial, ses parents… L’essentiel est l’étude dynamique et économique des éléments du groupe familial en présence des difficultés de l’un d’eux, ainsi que les modifications qui en résultent en ce qui concerne les relations objectives de chacun. »

Au-delà du soin, ces institutions ont également été d’emblée des lieux de recherche, d’expérimentation, de créativité, de production de savoirs, mobilisant des pionniers dans le domaine du psychisme infantile. Ainsi, Serge Lebovici sera par exemple président du conseil d’administration de l’Association Édouard-Claparède, pendant de nombreuses années, avant de passer le relais à Michel Soulé jusqu’en 2006. Sur ce CMPP, Simone Decobert, directrice médicale, contribuera entre autres à élaborer la technique des psychothérapies familiales analytiques pendant les années 1980, en collaboration avec A. Ruffiot, D. Anzieu et P.C. Racamier. De son côté, Geneviève Haag approfondira de manière décisive le travail clinique en direction des enfants autistes, en précisant notamment les modalités de construction du Moi corporel…Et ce ne sont là que quelques exemples parmi tant d’autres, témoignant du dynamisme, voire de l’effervescence instituante ayant animé ces lieux de soin dès leur origine.

Illustration 2

Ainsi, ces institutions ont été créées avec la conviction de pouvoir intervenir précocement auprès des enfants en difficultés, tout en favorisant leur participation active à un environnement social élargi, dans le maintien des liens, des médiations collectives et des dynamiques d’émancipation.

Les équipes impliquées dans ces structures se sont essentiellement appuyées sur un trépied : la pédopsychiatrie, la psychopédagogie et la psychanalyse. A travers ces références, il s’agissait de pouvoir reconnaitre la singularité de chaque enfant, considéré comme un sujet en développement situé dans un milieu spécifique ; il s’agissait également de pouvoir co-construire du sens par rapport aux entraves rencontrées, en prenant en compte les enjeux relationnels et affectifs ; il s’agissait aussi d’appréhender les apprentissages comme des dynamiques mobilisant le désir, la curiosité, mais aussi des défenses ou des résistances…L’objectif était également de pouvoir maintenir l’inscription de l’enfant dans son environnement familial, social, scolaire, en faisant médiation tout en évitant les catégorisations et les parcours ségrégatifs. Ainsi, dès leur origine, les CMPP ont investi à la fois une fonction soignante, mais aussi un véritable rôle social et politique, en luttant contre les ostracismes, en favorisant la participation collective, en limitant les « empêchements » en rapport avec les difficultés existentielles et instrumentales.

A cette fin, étaient mobilisées des approches pluridisciplinaires (psychothérapeutique, groupale, rééducative), intégratives, ajustées aux singularités, s’intégrant dans un modèle poly-factoriel du développement psychique, à l’interface des déterminants internes et externes. Ainsi, comme le rappelle le document élaboré par la Fédération des CMPP concernant les « Missions socles », il s’agissait de pouvoir « tresser ensemble toutes les composantes écologiques, biologiques, sociales, familiales, culturelles mais aussi relationnelles qui fondent un individu ».

Nonobstant, s’engager dans le soin exige une certaine humilité, bien loin des certitudes d'experts et de l'arrogance des spécialistes. De fait, on ne soigne pas seul, qui plus est dans des situations complexes. L’arrière-plan institutionnel est essentiel, de même que la dimension transdisciplinaire de nos interventions, ainsi que le maillage de liens avec les partenaires extérieurs (établissements scolaires, services socio-éducatifs, spécialistes hospitaliers, etc.). Il faut pouvoir partager les points de vue, se remettre en question, écouter, croiser les regards…De fait, ce sont toujours des interventions multidimensionnelles, intégratives, qui pourront véritablement aider un enfant, dans la prise en compte des différents secteurs de son développement (cognitif, affectif, sensori-moteur, langagier, socio-relationnel), mais aussi dans ses enjeux existentiels spécifiques, sur le plan familial, social, scolaire, etc. Compte-tenu de la complexité de la psychopathologie infantile et des multiples intrications qui président à ses évolutions, on ne peut jamais se suffire à soi-même dans ce type de prise en charge, qui plus est lorsqu'il s'agirait d'appliquer répétitivement une méthode univoque et totalisante. Au contraire, il faut de la diversité dans les approches, dans les rencontres, dans les modalités d'intervention, dans les espaces, dans les références, dans les mises en narration...Tout en tissant une cohérence et une articulation signifiante de toutes ces médiations thérapeutiques ; tout en maintenant la capacité de rassembler, d'élaborer ensemble, à plusieurs, de faire des pas de côté, de s'extraire de l'immuabilité, de rester vivants, de mettre en forme, collectivement, les mouvements affectifs, les défenses, les clivages, les éprouvés de perplexité et de désarroi, de survivre aux attaques du cadre et de la pensée, etc. Là se situe la fibre du travail en CMPP, des origines jusqu'à aujourd'hui, avec une modernité, une acuité, une pertinence toujours aussi vives et nécessaires. 

Au fond, ces institutions pionnières ont été le ferment de tous les dispositifs ambulatoires publics de pédopsychiatrie qui ont pu émerger dans les années 60, notamment via la mise en place des intersecteurs infanto-juvéniles, avec le souci de garantir l’autonomie individuelle et l’implication dans la vie sociale. Sur le plan éthique, la volonté revendiquée était de combattre toute forme de stigmatisation, de désocialisation, en respectant le droit inaliénable à la reconnaissance, à la dignité et à l’écoute.

Dans cette optique, l’accueil au sein de CMPP se veut d’emblée généraliste, sans discrimination ni relégation. Chaque famille, chaque enfant, quelle que soit leur situation, doivent pouvoir bénéficier d’un projet de soins spécifique, à la mesure des besoins exprimés, sans a priori ni prédestination, et pris en charge par la solidarité collective.

Et cela suppose évidemment une attention particulière au contexte environnemental, social, familial, culturel, ainsi que le souci de prendre en compte, au-delà des aspects purement médicaux et développementaux, les vulnérabilités situationnelles : traumatismes, violences, abus, maltraitances, précarité, insécurité des conditions de vie, ruptures des liens, accidents de vie, pathologies somatiques, souffrance de l’entourage, troubles de l’attachement précoce etc…

Comme le souligne à nouveau la FDCMPP, une des missions des CMPP « est de déterminer la nature et le sens des symptômes présentés par l’enfant ou l’adolescent, en faisant au mieux la part de chacun des facteurs pouvant contribuer à la survenue de ces troubles, en précisant leur articulation, et en les contextualisant ». « Cette évaluation se fait au sein d’une équipe pluridisciplinaire coordonnée. Elle repose sur une écoute clinique et sur des bilans formalisés

Elle se base sur les concepts transdisciplinaires du développement de l’enfant, faisant référence aux éléments neurobiologiques, culturels, langagiers, qui relèvent des codes sociaux et plus largement du champ symbolique ».

La richesse du travail institutionnel tient pour une large part à cette dynamique collective, pluridisciplinaire, ouverte, « dans un respect des diversités des références théoriques et des savoir-faire ». Là, il ne s’agit pas de catégoriser, de trier sur dossier, mais de rencontrer, de s’interroger, de partager, de dialectiser, de faire émerger, de questionner, de signifier, de raconter, d’entendre, avec humilité et détermination.

Dès lors, toute approche diagnostique ne peut avoir de pertinence qu’en prenant en compte les dynamiques évolutives, les potentialités, les effets d’après-coups, sans chercher à prophétiser ou à enclore d’emblée. En outre, il s’agit toujours d’intégrer cette évaluation clinique au sein même du processus thérapeutique, sans clivage. De fait, la démarche qui consiste à comprendre, à mettre en forme et en sens, à s’impliquer avec la famille et l’enfant dans une forme de réappropriation des « symptômes » permet non seulement de mieux cerner les problématiques en jeu, mais aussi de déployer, déjà, des ouvertures, des pas-de-côtés, du soin.

« Compte tenu de la complexité de la clinique et pour dispenser des soins de qualité, il est nécessaire de prendre en compte la pluralité des approches théoriques pour veiller à l’évaluation diagnostique et aux méthodes thérapeutiques les plus appropriées, singulières, au cas par cas, notamment en articulant au mieux les aspects relationnels et neurodéveloppementaux ».

Mais ceci suppose aussi de pouvoir parfois intervenir concrètement au niveau de l’environnement de l’enfant, de poser des actes à finalité thérapeutique dans la réalité, que ce soit en organisant une réunion avec les partenaires extérieurs (Aide Sociale à l’Enfance, MDPH, école...), que ce soit en s’impliquant pour défendre des Droits auprès des instances concernées, que ce soit en dénonçant des conditions de vie indignes et défavorables et en agissant pour faire évoluer certaines situations entretenant manifestement le mal-être, que ce soit en signalant les maltraitances éventuelles, que ce soit en accompagnant des orientations pédagogiques et thérapeutiques à plus long termes, etc.

Car « considérer l’enfant dans sa globalité permet de penser l’évolution recherchée en termes de reprise de croissance psychique et physique, d’ouverture dynamique vers le monde extérieur, celui des connaissances et des liens aux autres, celui de la gestion des conflits internes et relationnels. Les soins sont orientés vers l’autonomisation de l’enfant et de l’adolescent, son affirmation personnelle, l’apaisement de son vécu lors des passages délicats des étapes de la vie et lors de crises diverses ».

Le travail au sein du CMPP aboutit donc à l’élaboration collective d’une trame et d’une histoire partagée : tissage des liens, ancrage de la continuité, construction d’attaches et de confiances, lutte contre les discontinuités et les ruptures de parcours, émergence de formes signifiantes et narratives. C’est à cette condition que l’on pourra véritablement permettre « à l’enfant et sa famille d’éviter d’accumuler des difficultés, de chroniciser des symptômes et des troubles invalidants, ou de déclencher voire d’aggraver des handicaps ». Dès lors, le processus thérapeutique se construit véritablement autour de la rencontre entre une équipe et un enfant, considéré d’emblée en tant que « sujet exprimant une souffrance non réduite à ses symptômes, comprise dans son environnement familial, social, politique ». Le mal-être infantile est toujours surdéterminé, traversé d’enjeux multiples en interrelation complexe, de conflictualités, à l’interface des processus neurodéveloppementaux et des dynamiques existentielles. Là se situe la spécificité du champ psychique, se manifestant notamment à travers les investissements de l’enfant, ses liens, ses angoisses, ses fantasmes, ses entraves…

Comme le rappelait Tony Lainé, dans le domaine du soin pédopsychiatrique, "être efficace dépend avant tout de la capacité d'un être humain de s'engager avec un enfant, dans un rapport de travail direct, obstiné, patient, parsemé de nombreux moments de désespoir, de doute, de souffrance, intime. Connaître c'est un peu naître ensemble". Dès lors, "l'engagement d'un processus thérapeutique, qui se prévoit dans un long cours, doit toujours échapper à la prégnance négative de la nosographie". "Notre rôle est bien d'introduire le mythe qui donne accès à la parole et à la culture, mais sûrement pas celui qui, pour nous rassurer de nos échecs et de notre impuissance, renvoie incessamment à l'enfant, par la médiation de notre inconscient, une image figée par un diagnostic".

Dans cette approche globale, « l’alliance avec les familles dans un mouvement thérapeutique autour et avec leurs enfants, reste la base de tout travail au CMPP ». De fait, appréhender un enfant uniquement à travers ses processus neuronaux et des approches rééducatives serait un contre-sens absolu : celui-ci n’existe pas indépendamment de son entourage, de son histoire, de son parcours, de sa culture, des mouvements affectifs qui le traversent, des modalités relationnelles au sein desquels il se construit. Ainsi, mobiliser le système familial vers ses ressources, la place de chacun, des charges émotionnelles portées par certains de ses membres, reste un objectif majeur – ce qui, évidemment, ne revient absolument pas à pointer des responsabilités, à attiser de la culpabilité ou à exercer une quelconque forme de jugement…

Par ailleurs, le CMPP s’intègre au sein de réalités locales distinctes, en lien avec tous les partenaires du territoire, entretenant des synergies, des partages, s’inscrivant dans une certaine historicité. Il s’agit donc d’être partie prenante d’une dynamique territoriale interinstitutionnelle, mobilisant des acteurs de champ différents (scolaire, sociale, éducatif, médical, associatif, etc.), partageant des objectifs communs à travers un engagement collectif.

Illustration 3

Comme le rappelle la FDCMPP, « au-delà des actes réalisés par les CMPP directement auprès des enfants et des familles, les temps de coordination, de médiation partenariale, de participation aux travaux engagés dans le champ large de l’enfance au sein du territoire ne sont, à ce jour, que très peu valorisés et devraient justifier d’une reconnaissance institutionnelle et financière complémentaire ». Soutenir les enfants et leurs familles suppose de ne pas se rétracter sur des pratiques isolées, sourdes et aveugles au contexte social, aux enjeux territoriaux, aux dynamiques collectives et politiques. Par ailleurs, cela suppose aussi d’être à-même de mettre au travail, voire de déconstruire ou de subvertir, les injonctions normatives, les présupposés validistes, les contraintes uniquement opératoires, gestionnaires et managériales qui pèsent sur les familles et les professionnels. Comme le souligne de Brahim Hammouche, député de Moselle et psychiatre, il est également impératif de s’extraire de cette « immédiateté pressurisée au seulement maintenant, au risque de diluer l’éthique des soins du temps long du relationnel et de l’existentiel ». En conséquence, « la pertinence des actes et leurs indicateurs doivent être évalués en lien avec une clinique du sujet singulier et non plus seulement en référence à des fins médicoéconomiques ».

« A l’heure où il est nécessaire d'assurer une prise en charge ouverte à des pratiques pluridisciplinaires intégratives des données actuelles scientifiques et des expériences du quotidien, à la hauteur des enjeux et des besoins, à l'écoute de toutes les souffrances psychiques, sans restriction ni réduction, à hauteur humaine de la souffrance dans laquelle sont plongés ces familles, « l'objectif n’est pas de repositionner mais de recentrer et de renforcer les CMPP sur leurs missions originelles, sans restriction ni exclusion des enfants souffrant de troubles psychoaffectifs, et d'assurer une prise en charge globale centrée sur les patients, ajustée à leurs caractéristiques évolutives personnelles et contextualisée à l’environnement de vie socio-familial et scolaire » ».

Au fond, les CMPP se réfèrent fondamentalement à une véritable éthique de l’accueil et de la rencontre. Selon Karine Campens, psychologue directrice de CMPP, « l'accueil au CMPP, c'est le traitement de la demande, mais pas seulement. Il s'agit parfois de la susciter, la demande ou de la soutenir, de retrouver la dimension de l'hospitalité qui permet d'accueillir l'autre dans son étrangeté et sa différence : de travailler sa disponibilité à l’altérité ».

« Pour pouvoir éprouver que sa parole compte, encore faut-il avoir l'idée qu'elle puisse être accueillie : une idée qui ne pourra se construire que dans l'expérience réelle d'une offre, d'une invitation, d'un possible parfois insistant, nécessairement : pour que la trace de l'expérience permette à l'idée de s'y loger. Ne pas inviter, c'est exclure d'emblée celui qui ne sait pas faire entendre sa demande, ou qui n'en sait rien ».

La possibilité de la rencontre suppose une capacité vivante de disponibilité, de malléabilité, la possibilité d’être transformé, affecté, altéré, trouvé-créé-déconstruit-réinventé…il faut donc se présenter d’emblée comme un environnement suffisamment bon au sens winnicottien : « la perfection est le propre des machines, et les imperfections, caractéristiques de l’adaptation humaine aux besoins, sont des qualités primordiales dans un environnement facilitant ».

En tant qu’institution soignante, les CMPP doivent aussi mettre en œuvre un travail critique, continu et dynamique, de façon à éviter les « dérives sclérosantes et perverses ». En effet, comme le soulignait déjà Tony Lainé il y a plusieurs décennies, « la tendance spontanée de toute institution psychiatrique est de se mettre à la traine des exigences sociales, d’installer une inertie, des réticences considérables au changement, et, sur cette base, de gérer des rapports normatifs avec les enfants ». Toute institution non reprise par un travail élaboratif est effectivement menacée de venir réenliser les déterminations idéologiques les plus fortes, de se « désencastrer » des réalités concrètes et de la clinique au nom de dogmes figés. Or, ces « cautions perverses » « sont repérables dans le discours et dans la démarche thérapeutique – gestion des différences et contrôle social, nosographie médicale dominante (DSM), primat de la norme, malentendu sur la prévention, coexistence de négligence et d’acharnement thérapeutique ; dominante du traitement symptomatique… ». « Dès lors qu’elle est fondée sur de fausses rationalisations ou des exigences contingentes, la loi de l’institution induit des effets de retrait, de morcellement, d’angoisse, de renoncement et de surdité défensive ».

En définitive, l’enjeu essentiel, en arrière-plan, est toujours de savoir quelle place on accorde au sujet, de façon consciente ou plus implicite. Et, à ce niveau, la référence à la psychanalyse constitue à l’évidence une dimension essentielle pour garantir l’accueil irréductible de la subjectivité et de la parole. Car, sur le plan éthique, c’est véritablement deux conceptions anthropologiques qui peuvent ainsi s’affronter, s’exclure, ou se dialectiser.

D’un côté, on aurait une représentation du développement comme déterminée exclusivement par des mécanismes génétiques, neuronaux et biologiques, réduisant « l’essence de l’être humain à une animalité sophistiquée ». D’un autre côté, il s’agirait de revendiquer l’inscription inaliénable du sujet dans les liens, les affects et le langage.

Comment la dynamique institutionnelle peut-elle prendre en compte ces dimensions du sens, du désir, du conflit ?

Déjà en maintenant une disposition fondamentale à la subversion, entendue par Tony Lainé comme la « remise en question continue des idées et des valeurs reçues, y compris celles qui résultent de nos formations préalables ». De fait, en tant que soignants, nous devons toujours rester vigilant à accueillir des personnes, au prise avec une histoire singulière, des situations spécifiques, des mots et des silences, des existences…nous ne recevons pas des dossiers, des troubles, des diagnostics, des pronostics, des processus, des catégories, des essences. Chaque rencontre est unique, tissée d’inconnu, d’insolite, auxquels il faut rester ouvert pour faire émerger les « latences cachées ».

« Il s’agit donc de constituer une vraie disposition à l’écoute et de construire des espaces où puisse s’introduire l’ordre du transfert et qui puissent atteindre hors malentendus, une demande, une parole, une « situation de conjonction créative », pour reprendre une expression de Frances Tustin ».

Josep Rafanell i Orra revendique par exemple « des formes de désidentification aux diagnostics, et donc de processus de singularisation de l’expérience inséparables des manières de les accorder avec d’autres expériences ». Il s’agit de pouvoir prendre en compte les résonnances, de pouvoir véritablement accorder son attention à la vulnérabilité, de potentialiser de nouveaux agencements. « La « rencontre » ne se décrétant pas a priori, ce qui compte alors c’est l’attention portée aux situations qui la rendent possible ».

Dès lors, la priorité ne devrait évidemment pas être « de vérifier anxieusement des hypothèses cliniques, mais de susciter des processus non déterminés de co-concernement et de réciprocité », de rendre possible des bifurcations, de fabriquer de nouveaux rapports, de retisser à plusieurs des horizons, de s’altérer dans le lien, de défendre des Communs du soin….

Illustration 4

Ainsi, notre « savoir » de doit pas devenir un écran défensif cherchant systématiquement à catégoriser pour mieux mettre à distance, pour encapsuler toujours plus en s’illusionnant de maîtrise prophétique.

Tony Lainé en appelle ainsi à une certaine aptitude au dessaisissement, à la capacité de rêver, d’accepter l’inattendu et de l’assumer. Car à partir de là peut se déployer une véritable posture clinique, qui peut s’immerger et comprendre, sans se précipiter pour expliquer et clôturer le sens. En outre, cette exigence éthique permet aussi de recevoir, de faire face et de traiter les mouvements de mise à mal institutionnelle. « A défaut de l’analyse du contre-transfert des soignants, ces moments difficiles peuvent se transformer en apparition de sentiments violents, en ennui (la lèpre des institutions psychiatriques), en divers passage à l’acte, en une discontinuité dangereuse dans les rapports avec les enfants, en tarissant l’activité associative. Ce n’est que dans l’analyse des éléments de la crise et des mouvements contre-transférentiels que peuvent se rétablir nos relations thérapeutiques et s’instaurer à nouveau l’attention indispensable qui doit être engagée ».

Évoquant justement la mise à mal programmée du CMPP Tony Lainé, Jean-Jacques Giudicelli affirme également que « la qualité de l'ambiance est un facteur déterminant pour permettre une élaboration collective » et garantir la fonction contenante de l’institution. Or, pour ce faire, il faut évidemment accorder de la confiance et de l’autonomie aux acteurs engagés dans leurs pratiques cliniques, tant sur le plan individuel que collectif - la dimension associative des CMPP permettait justement cette forme "d'autogestion", avant que le siège des organismes gestionnaires ne vienne à exercer de plus en plus d'ingérence, sur un mode managérial et technocratique. Cette autonomie est d’ailleurs exigée par le code de la santé publique relative à la déontologie médicale, rappelant les obligations concernant l’indépendance de l’exercice médical : « Le médecin ne peut aliéner son indépendance professionnelle sous quelque forme que ce soit » (article R4 1127–5), même s’il est employé par une entreprise ou un organisme. La prérogative essentielle est toujours d’agir dans l’intérêt des personnes, de façon située et circonstanciée, et non pas de se conformer à des recommandations obligatoires à l’obscure clarté ou autres procédures standardisées issues de consensus d’experts.

Dès lors, que penser des priorisations actuelles qui imposent la conformité, la mise aux normes, les références exclusives aux « Bonnes pratiques », aux injonctions managériales et gestionnaires, aux protocoles validés, aux évaluations, aux cahiers des charges, aux appels à projet, aux restructurations et mutualisations, aux innovations entrepreneuriales visant à gagner des parts de marché, aux initiatives disruptives et proactives pour répondre à la commande publique, etc.

Comme le souligne Marion Minari « ce travail de longue haleine qui revendique de prendre le risque de penser la singularité de chaque sujet accueilli est détricoté au nom de la qualité et de la gestion des risques ». Or, « s'il semble que ce mouvement de rationalisation, d'objectivation et de maîtrise soit en quête de responsables (potentiellement celui qui n'aura pas suivi à la lettre le protocole ou qui n'aura pas tracé ses actes pour le prouver), il enlève la dimension de responsabilisation du sujet ».

De fait, si les CMPP témoignent d’une forme d’engagement, c’est bien de porter la responsabilité de l’accueil, de la rencontre, du respect, de l’écoute, de l’implication clinique et thérapeutique et non celle d’une normativité uniformisée et asséchante.

A ce niveau, il s’agit évidemment d’un impératif éthique, mais aussi - et les instances décisionnaires ne devraient pas l’oublier - réglementaire.

En effet, l’Annexe XXXII du Décret n°56–284 du 9 mars 1956/ décret n° 63–146 du 18 février 1963 précise le cadre légal de fonctionnement des CMPP. Ainsi, ces structures ont pour but de de « maintenir l’enfant dans son milieu familial, scolaire ou professionnel et social ». Par ailleurs, « le traitement comprend une action sur la famille qui peut recevoir au centre toutes les indications nécessaires à la réadaptation de l’enfant et éventuellement toutes les thérapeutiques lorsque dans l’intérêt de l’enfant elles ne peuvent être dispensé ailleurs. Les soins s’étendent à la poste-cure ». Ou bien : « Lorsque le centre dispense sous l’autorité et la responsabilité des médecins agréés, aux enfants dont l’état le requiert une psychanalyse, une rééducation psychothérapique, une rééducation de la parole, une rééducation de la psychomotricité, il doit s’assurer le concours d’un personnel compétent. »

On le voit bien : au-delà même des pratiques concrètes, les CMPP représentent des insularités de résistance, à travers la défense de l’intime, de la subjectivité, de l’histoire, du collectif, de l’instituant, etc.  En définitive, il n’est pas étonnant que ces espaces de résistance puissent constituer des symboles et des cibles de ce qui reste à détruire dans un contexte idéologique où l’être humain ne doit plus être à considérer que comme un programme à exploiter, à rendre performant, rentable, marchandisable. Ainsi, cet acharnement dit sans doute quelque chose d’une certaine haine à l’égard tant de l’enfance que du psychisme en soi. De fait, l’enfant n’est pas d’emblée formaté aux exigences normatives que lui imposent cette anthropologie utilitariste et validiste actuellement hégémonique, celle de l’autoentrepreneur néolibéral, de la ressource humaine, de la profitabilité étendue à toutes les sphères de l’existence.  

Dès lors, les modalités expressives infantiles, tant du côté du mal-être que de l’affirmation subversive, devraient désormais être appréhendées comme des « comportements à problème » devant être définitivement rééduqués.

Selon Pierre Dardot, cette nouvelle antipsychiatrie « s’en prend à l’existence même du psychique (la psuchè de psychiatrie) au nom même des prétentions de la médecine scientifique. Loin de contester le savoir médical, elle entend le réinstaller en position de maîtrise. Au psychique elle substitue volontiers le mental qui présente l’avantage d’autoriser le glissement du mental au neuronal. Ce qu’elle ne supporte pas, c’est que le psychique déjoue radicalement tout projet de maîtrise. Nous avons affaire, à la lettre, à une véritable « psychophobie » », dont la vindicte à l’égard des CMPP ne serait que la partie émergée.

Afin de pouvoir résister à cette déferlante, encore faut-il comprendre les stratégies et les méthodes à l’œuvre. Connaître pour lutter….

Dans cette perspective, abordons désormais les réformes en cours.

"Le vrai courage c'est, au-delà de soi, de ne pas céder, ne pas plier, ne pas renoncer. Être le grain de sable que les plus lourds engins, écrasant tout sur leur passage, ne réussissent pas à briser" Jean-Pierre Vernant, La Traversée des frontières

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.