"La censure est illégale, ou tout au moins "alégale", impossible à faire entrer dans le cadre de la loi. C'est pourquoi chaque nouvel acte de censure, parce que injustifiable, réclame chaque fois la promulgation d'un décret ad hoc ; et c'est pourquoi aussi la censure, porteuse d'un scandale intrinsèque au regard de la loi elle-même, déclenche, chaque fois qu'elle s'applique, un scandale plus grand que celui qu'elle prétendait éviter" (Jean-Paul Valabrega)
Ce billet n’intéressera sans doute pas grand monde, mais il aura le mérite d’apaiser une certaine rancœur personnelle à l’égard du club de Mediapart…ce qui est sans doute un usage détourné. Je vous prie d’avance de m’en excuser…
En juin, j’entamai une série de billets intitulés « Arrêtez de Restreindre le Soin! », visant à dénoncer les dérives technocratiques et idéologiques des Agences Régionales de Santé, en ciblant particulièrement la réforme imposée aux CMPP en Nouvelle-Aquitaine.
A cette fin, il me semblait important d’analyser les discours et prises de position officiels de certaines personnalités particulièrement représentatives de ces instances. En l’occurrence, je consacrai deux billets respectivement à Mr Michel Laforcade, directeur général de l’ARS Nouvelle-Aquitaine, et à Saïd Acef, responsable à l’autonomie dans la même administration. Il s’agissait d’une part d’illustrer les fondements idéologiques des politiques sanitaires actuelles tout en revenant d’autre part sur d’éventuels conflits d’intérêts, déjà dénoncés antérieurement, notamment par Mediapart.
Je tiens à préciser que je n’ai aucune animosité personnelle à l’égard de ces personnes, et que je n’aborde évidemment aucun aspect de leur vie privée. Il s’agissait simplement de les considérer comme des représentants archétypiques de certaines tendances actuelles, et de se saisir de leurs positionnements comme des témoignages paradigmatiques de l’air du temps.
Pour ce faire, je me proposai d’étudier des entretiens, auditions, rapports et interventions publiques, en commentant de larges extraits. Je cherchai également à mettre en rapport l’esprit des réformes imposées aux institutions soignantes avec le type de prestations lucratives proposées par l’entreprise privée dirigée par la conjointe de Mr Acef. En l’occurrence, ces articles n’étaient basés que sur des faits, cités de manière explicite, avec des renvois aux textes originaux. Je dois cependant reconnaitre qu’une certaine ironie pouvait infiltrer mes propos mais, naïf, j’ignorais sans doute que cela pouvait être prohibé sur Mediapart…alors même que le fait de tirer à bout portant et à boulets rouges sur telle ou telle personnalité semble pourtant un sport officiel du club, non sans tournures fleuries, et que la violence des échanges dans ce milieu peu tempéré m’avait laissé un peu pantois lorsque je débutai, effarouché, mon activité de blogueur sur ce site…
Le fait est que, compte-tenu de leur longueur et de leur forme - analyse de longues citations-, ces deux textes ont probablement eu une audience très restreinte avec des répercussions pour le moins insignifiantes - ce qui est déjà un euphémisme.… Cependant, il faut croire que, par des voix impénétrables, certains responsables de l’ARS Nouvelle-Aquitaine aient pu en avoir connaissance et se sentir vilipendés voir roulés dans la boue - enfin, ce n’est qu’une hypothèse. Car je ne peux pas penser que Mediapart ait décidé unilatéralement d’exercer une censure aussi abrupte sans avoir été soumis à une certaine pression juridique. En tout cas, un mois après la publication de ces deux textes, je reçois un message laconique du club m’annonçant qu’après avis de leurs avocats il a été nécessaire de dépublier les deux billets, sans autre forme de procès. De surcroit, sur un ton très formel, accusateur et désagréable, il m’était rappelé que je dérogeais aux principes de la charte, sans en donner les motifs….
« Sur conseils de nos avocats, nous avons été conduits à dé-publier 2 billets que vous avez rédigés, au motif du non respect de notre charte de participation, à laquelle vous avez adhéré en vous abonnant à Mediapart ».
« En particulier, je vous rappelle que notre charte, et la législation en vigueur, proscrivent tous "propos injurieux, diffamatoires, portant atteinte à la vie privée, au droit à l'image, ou à la réputation et aux droits d’autrui "».
Franchement, j’aurais vraiment souhaité savoir ce qui dans ces deux billets pouvait être considéré comme tel…Mais, c’est sans doute ainsi que Mediapart lutte avec pugnacité pour défendre la liberté d’expression, en désavouant sèchement les propos considérés comme intempestifs, sans explication ni échange contradictoire.
Immédiatement, plus aucune trace de ces billets, néantisés, même sur mon compte personnel (seul indice, on passe désormais directement du chapitre 1 au chapitre 4 du feuilleton « Arrêtez de Restreindre le Soin! »). Quand on efface quelque chose, il serait sans doute opportun de laisser une empreinte de l’amputation, en annonçant par exemple : « Mediapart a pris la décision de dépublier ces textes car ils étaient considérés comme diffamatoires ». Un peu d’honnêteté et de responsabilité ne peut pas faire de tort…Il fut un temps où seules les partie litigieuses d’un texte polémique étaient éventuellement effacées, sans pour autant tout forclore, en cherchant ainsi à annuler dans le même mouvement le propos contestable et le geste de la censure. Pas de trace, pas de crime…
Toute censure, aussi légitime puisse-telle paraitre du point de vue du censeur, ne peut être considérée comme anodine, et ne devrait surtout pas être banalisée…Même sur quelque chose d’aussi trivial et commun qu’un billet de blog. Ce type de pratique me semble tout à fait préoccupante dans la forme, et suppose en tout cas qu’on ne la laisse pas s’exercer en toute impunité et invisibilité.
Évoquant ma perplexité et mon incompréhension, je demandai donc au club Mediapart quelques éclaircissements, ne serait-ce qu’à titre pédagogique, afin de ne pas reproduire d’ignobles propos calomnieux malgré moi…
Pas de réponse.
J’aurais pourtant tout à fait compris cette intervention, afin d’éviter d’éventuelles complications judiciaires contraignantes, pour peu qu’on m’en ait informé au préalable sans utiliser ce ton accusateur et péremptoire. Une once de dialogue et d’explication ne parait pas superflu lorsqu’on pratique une telle censure. Et j’aurais évidemment accepté de modifier ou de retirer ces textes de ma propre initiative, si l’on avait seulement pris la peine de me faire part des problématiques en question. Mais visiblement, cela n’est pas la politique de Mediapart, en dépit des idéaux participatifs affichés…
Par ailleurs, je souhaiterais rappeler à l’équipe de censeurs du club qu’avant de se draper des principes de la « charte » pour exercer une telle répression, il conviendrait sans doute de ne pas négliger une certaine déontologie professionnelle, de garantir une certaine liberté d’expression et une certaine « transparence » dans leur décision.
« Il faut choisir, se reposer ou être libre » (Thucydide). Visiblement, le Club de Mediapart a choisi…
Au-delà des enjeux interpersonnels, il me semble que l’on aurait toujours intérêt à favoriser l’échange d’arguments, aussi contradictoires et conflictuels soient-ils, plutôt que les passages à l’acte. Je considère effectivement, tout en restant ouvert à une contre-argumentation, que cette décision de censure n’était pas fondée sur la réalité de propos diffamatoires, mais sur d’autres enjeux. Et j’affirme qu’il y a là une forme de dérive tout à fait injustifiée.
"Le rapport de la censure avec la vérité est souligné encore par la considération qu'on ne censure jamais les fausses nouvelles .On les dément ; ce qui ne signifie pas, évidement, qu'on ne dément pas aussi les vraies. De même, on ne censure pratiquement jamais les calomnies" (Jean-Paul Valabrega).
A titre personnel, j’utilise un pseudonyme non pour préserver mon « impunité », mais par souci déontologique de séparer mon exercice professionnel de mes prises de position personnelles. J’estime que les familles dont j’assure le suivi en tant que pédopsychiatre doivent pouvoir bénéficier a priori d’une certaine neutralité, aussi illusoire soit-elle, et qu’elles doivent être « préservées » de la connaissance de mes avis subjectifs sur telle ou telle politique sanitaire. En outre, il s’agit de privilégier le débat d’idées, plutôt que les attaques ad hominem. Je suis prêt à défendre mes engagements, sans aucune ambiguïté, tout en préservant mon intimité et ma pratique professionnelle. J’admets qu’il y a là une certaine « facilité », pour ne pas dire une forme de lâcheté…Néanmoins, j’accepterais sans aucune hésitation d’être remis en cause sur le plan des arguments, d’être contredit et de revoir mes présupposés, en toute humilité. J’aurais même le sentiment de ressortir grandis et d’avoir appris des mes contradicteurs.
Néanmoins, il faut reconnaitre qu’il peut y avoir quelque chose de flatteur à être ainsi censuré ; cela viendrait valider un caractère rebelle et transgressif, voire dangereux…Mais, pour être honnête, la faible charge polémique et la dimension confidentielle de ces textes ne justifiaient sans doute pas tant d’honneur…Je suis presque gêné d’être ainsi surestimé quant à mon potentiel subversif. Les hauts dignitaires de l’ARS Nouvelle Aquitaine sont-ils des colosses aux pieds d’argile pour craindre ainsi la moindre petite remise en cause, et se sentir menacés au point d’exiger la censure - si tant est que cette hypothèse soit vérifiée, ce qui supposerait au minima une explication de la part du Club de Mediapart?…
Les responsables de l’ARS se sentiraient-ils salis de voir leurs propres propos cités et commentés? Ne pourraient-ils supporter de voir les présupposés idéologiques de leurs politiques « réformistes » mis sur le tapis? Il faudrait donc tout effacer?! Pourtant, toute critique n’est pas diffamatoire, à partir du moment où elle est étayée sur des faits objectifs - même si l’interprétation de ces faits peut toujours prêter à caution.
Courageusement, certains m’ont spontanément proposer de republier ces textes, ne comprenant pas les raisons de cette censure de Mediapart. Je les en remercie chaleureusement, tant sur le principe éthique que sur le soutien dont témoigne leur démarche. Par ailleurs, cela permettra également de juger sur pièce…
Au final, je considérerai désormais avec un certain recul les « combats » de Mediapart pour la liberté d’expression, leur dénonciation des politiques iniques et leur revendication d’intransigeance…
J’espère néanmoins que cette bouteille à la mer pourra être l’occasion d’un dialogue, qui me permettra éventuellement de mieux comprendre certains enjeux, de revoir mon jugement, de réviser mon style d’écriture et mes axes de critique. Peut-être que le club de Mediapart pourra même infléchir ses modalités de communication avec ses abonnés?…N’en espérons pas tant.
Que sous le joug des libraires,
On livre encor nos auteurs
Aux censeurs, aux inspecteurs,
Rats-de-cave littéraires ;
Riez-en avec moi.
Ah ! pour rire
Et pour tout dire,
Il n’est besoin, ma foi,
D’un privilége du roi !
"La Censure", Pierre-Jean de Béranger