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Billet de blog 27 mai 2025

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Attention, enfants ! (11) Médicaliser un handicap ou déployer du soin ?

L'extension des diagnostics de troubles attentionnels infantiles conduit à une surenchère hyperactive de prescriptions, avec des effets en miroir. Or, une véritable approche soignante devrait avant tout prendre en compte les enjeux relationnels, et intervenir sur les milieux de l'enfant, dans la durée...

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Comme on l'a déjà mentionné, le Trouble Déficit de l'Attention avec Hyperactivité (TDAH) prend désormais une forme quasi épidémique, qui semble fortement corrélée à certaines évolutions de nos sociétés néolibérales.

Paradoxalement, cette problématique "médicale" se déploie dans un environnement qui offre préférentiellement à l’enfant le registre comportemental de l’agitation et de l'impulsivité comme modalité d’expression d’une souffrance psychique. En effet, les cognitions paraissent modelées depuis le plus jeune âge par des objets culturels et ludiques dans lesquels dominent les stimulations sensorielles et émotionnelles intenses et brèves. Ainsi, plus l’environnement devient discontinu et excitant, plus l’exigence concernant la stabilisation de l’enfant se fait impérative…

Illustration 1

Au fond, le TDAH devient une sorte de révélateur anthropologique, une signification imaginaire sociale venant pointer les contradictions et les attentes à l’égard de l’enfance. « Ce symptôme, par la description qui en est faite, par les champs sémantiques qu’il réveille, marque autant une idéologie qu’une nosographie psychiatrique »[1]. Au-delà des causalités réductrices en rapport avec un modèle biomédical et neurogénétique univoque, l’implication des enjeux relationnels et sociaux ne sont appréhendés qu’en tant que réponses aux symptômes de l’enfant, et non comme éléments déterminants. Dès lors, le trouble observable est défini comme déficit, dans la mesure où le comportement de l’enfant hyperactif est considéré comme dépourvu d’un sens latent, à appréhender au regard de la situation au sein de laquelle il s’actualise, et au-delà. Les logiques intentionnelles de l’acte se voient en effet réduites à leur seule finalité actuelle et « utilitaire », dans une adaptation au contexte immédiat. Cet objectivisme suppose donc un ajustement idéal de l’activité au milieu, et réduit par conséquent l’intentionnalité des conduites à leur motivation adaptative, en mettant de côté la dimension ambiguë et polysémique de l’acte – et notamment sa fonction d’affirmation, de contestation, de révolte…

Au final, l’hyperactivité doit s’inscrire dans le champ du handicap ; ainsi, on naturalise, on essentialise, et on technicise les réponses à apporter : psychotropes, aménagements, remédiation cognitive, rééducation parentale.

A contrario, l’approche psychopathologique persiste à expliquer le « trouble » par son motif, ou par son sens, le symptôme étant finalement appréhendé comme porteur d’une intentionnalité latente, singulière. Comme le souligne N. Georgieff[2], l’interprétation clinique, formulée en termes de finalité et référée à une subjectivité inconsciente, vient se substituer à l’explication mécaniste que privilégiait la conception déficitaire. Là se situe sans doute une forme de clivage entre une « clinique de l’instant » (l’acte considéré dans sa finalité immédiatement adaptative) et une « clinique de l’histoire » (le déploiement de l’activité appréhendé dans un processus de développement interactionnel).

 Or, la tentation d’isoler une hyperactivité « purifiée » de toute psychopathologie, étudiée sans références au fonctionnement psychique ni aux relations intersubjectives, n’est-elle pas un symptôme de l’hyperactivité elle-même, un effet contre-transférentiel suscité par le sujet hyperactif dans son effort pour refuser de penser, et agir sa problématique dans un lien paradoxal à son entourage ?

 En l’occurrence, cette confrontation de « plain-pied » avec le symptôme a en effet tendance à induire une forme de sidération des capacités d’élaboration. Il se produit de fait une saturation du champ perceptif et représentationnel, aboutissant à des phénomènes d’atrophie de la pensée. Les phénomènes attentionnels se trouvent captés et absorbés par l’hyperactivité, dans un processus de polarisation par le symptôme. Ainsi, l’enfant hyperactif semble organiser un complexe particulier qui mobilise le psychisme d’autrui dans un mouvement d’emprise s’opposant à la capacité de penser.

Illustration 2

Nonobstant, la position de clinicien vis-à-vis de l’instabilité psychomotrice n’est pas neutre ; sa présence tisse en effet la scène au sein de laquelle le symptôme hyperactif prend corps. Car toute représentation de l’action est systématiquement partagée : « observer laction dun autre ne consiste pas seulement à analyser une forme visuelle : cest déjà construire une image de soi en train dexécuter la même action » (Marc Jeannerod). Aussi, l’hyperkinésie est d’emblée insérée dans une dimension intersubjective qui sollicite directement l’autre à travers des mécanismes de résonnance affectivo-cognitive. L’enfant hyperactif fait donc directement participer l’observateur, en le rendant captif de cette spirale tourbillonnante qui envahit sa propre pensée. Incontestablement, il peut être particulièrement éprouvant d’être ainsi exposé aux débordements pulsionnels, traversés par les affects que l’enfant hyperactif projette faute de pouvoir les intégrer. La dimension contre-transférentielle est ainsi rudement sollicitée, en dépit des tentations de s’en protéger en évitant la rencontre ou en se réfugiant derrière une posture d’expertise. Or, dès que ces défenses se relâchent, l’attention et la vigilance sont particulièrement sollicitées, la capacité de penser et d’élaborer est mise à l’épreuve, de même que l’activité fantasmatique et de rêverie, la temporalité se voit réduite à une succession d’instantanéité discontinue…L’enfant hyperactif nous fait pénétrer dans cette dimension d’unidimensionnalité qui caractérise partiellement son être-au-monde. Faut-il alors réagir en miroir, dans une forme de surenchère, à travers un suractivisme médical ? Ou, au contraire, faire preuve d’une certaine résistance soignante, en maintenant la possibilité de surseoir et de maintenir une forme de suspension ?

 En l'occurence, le travail du soin se déploie toujours dans le lien, et doit permettre à l’enfant hyperactif d’expérimenter d’autres modalités interactives que celles qui se sont structurées autour du symptôme. Il faut faire un pas-de-côté, plutôt que de s’engouffrer avec l’enfant dans la spirale des passages à l’acte.

La prise en compte de la dimension affective, des mouvements émotionnels qui se mettent en jeu est à ce titre essentielle. Le soignant aide l’enfant à se dégager du recours permanent à l’agir en l’amenant à traduire ce qu’il met en scène, dans une sphère interactive. Progressivement, les actes de l’enfant doivent pouvoir être associés à une intentionnalité, notamment à travers ce qu’ils peuvent susciter en termes de résonance affective. Dans le lien psychothérapeutique, l’enfant acquiert également un sentiment de sécurité interne, du fait de la reconnaissance de l’investissement de l’autre dans la continuité, et dans l’absence. On quitte ainsi le domaine de l’exercice moteur exclusif pour rentrer dans une activité verbalisée qui intègre une dimension ludique et scénarisée.

Ainsi, dans l’échange intersubjectif se construit, pas à pas, une narration commune qui progressivement aide l’enfant à devenir l’acteur de sa propre histoire. On peut alors commencer à penser, à partir du moment où il devient possible de s’extraire de la perception immédiate. Car l’activité de symbolisation naît primitivement de l’absence de stimulations sensori-motrices (venant de l’autre ou de soi-même) ; la vacuité contraint en effet à passer de la perception à la représentation. L’instauration d’une inhibition comportementale autorise par conséquent les activités fantasmatiques, dans la mesure où la pensée et la rêverie peuvent dorénavant s’intercaler entre la pulsion et la décharge motrice. L’enfant peut alors réinvestir l’échange verbal et la mentalisation, puis envisager l’inaction, non pas comme une contrainte extérieure ou une impuissance angoissante, mais bien comme une activité mentale dont le plaisir n’est pas absent.

Illustration 3

 De surcroit, la prise en compte des dynamiques relationnelles peut amener à se dégager de l’engrenage ayant amené la famille à s’organiser autour des troubles de cet enfant.

Il paraît par ailleurs extrêmement important de pouvoir maintenir activement la reconnaissance de la souffrance respective de l’enfant et de son entourage. Les parents apparaissent fréquemment sinistrés dans leur capacité de représentation du fait de ce qu’ils endurent au quotidien dans la confrontation avec la constellation symptomatique de l’hyperactivité. Il importe ainsi de remettre en mouvement leur propre faculté de mentalisation et d’élaboration par rapport à ce qui déploie singulièrement, dans le lien avec leur enfant.

 En parallèle, il devient possible de faire émerger ce qui peut se signifier autour du symptôme hyperactif, afin de ne pas oblitérer la subjectivité d’un l’enfant qui s’exprime malgré l’emprise des troubles. Petit à petit, on peut interroger la signification que peut prendre ce « recours à l’acte » systématique, que celui-ci se situe du côté de l’enfant, ou de la société, à travers notamment le besoin d’imposer des agirs prescripteurs. Il faut des résultats, tout de suite, un retour sur investissement à très court-terme !

 De fait, l’entourage de l’enfant hyperactif étant épuisé par les attaques subies contre leur capacité de penser et d’élaborer, on tend à leur proposer des explications simplistes, ne nécessitant pas d’investissement psychique trop important, et répondant à une demande de changements immédiats. L’enfant se trouve alors exposé à des formes de passage à l’acte, dans des logiques de surenchères thérapeutiques entrant parfois en résonance avec la propre spirale de ses agirs.

En l'occurence, la « dimension symbolique », voire symptomatique, du traitement par psychostimulant peut facilement basculer dans une forme de pensée magique, s’opposant à la possibilité de faire émerger du sens au niveau intersubjectif. L’usage unidimensionnel d’une telle prescription se présenterait alors comme un symptôme même de l’hyperactivité, entretenant la spirale pathogénique de substitution de la pensée par l’acte. A l’hyperactivité de l’enfant répondrait alors une forme d’hyperactivisme prescripteur en miroir, ne laissant aucun espace où pourrait s’immiscer un mouvement de subjectivation. En effet, la réalité complexe de l’enfant peut véritablement s’effacer face à un tel "traitement" qui viendrait prioritairement l’épingler et l’identifier comme handicapé. 

Certes, l’usage des psychostimulants peut contribuer à réduire la prégnance symptomatique, lorsque celle-ci est telle qu’elle entrave toute capacité de symbolisation et d’investissement du lien ou des soins ; de ce fait, elle constitue, dans certains cas, un étayage potentiel à la mise en place d’un travail psychothérapeutique. Cependant, l’efficacité à plus long terme d’un traitement médicamenteux dépendra toujours de la possibilité d’une mise en mouvement des modalités relationnelles et de réaménagement des défenses intrapsychiques.

Illustration 4

Penser une intervention thérapeutique qui ferait abstraction des conditions d’environnement, des enjeux de contenance relationnelle, de partage, de mise en sens, est donc un contre-sens absolu. Plutôt que de « traiter » pharmacologiquement le trouble de l’enfant, ne faudrait-il pas, en priorité, prendre soin de ses milieux ? 

Et peut-être, plus globalement, s’interroger sur l’écosystème dans lequel on élève nos enfants ? ...

A suivre….

[1] G.levet, L’enfant hyperactif : un dépressif tonique, Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence, 55 (2007) 174-179

[2] Hyperactivité de l’enfant avec déficit d’attention et pathologie de l’action : de nouvelles perspectives en psychopathologie, in « L’hyperactivité infantile. Débats et enjeux », sous la direction de J. Ménéchal, Paris, Dunod, 2002

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