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Billet de blog 29 novembre 2024

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Le tribunal de l'enfance neuro-troublante (7)

On continue avec les jeunes filles séditieuses et sacrifiées, Anne Frank, Claudette Colvin. Car il ne faut pas en faire des héroïnes, mais les pathologiser et les traiter. Ne nous laissons pas abuser, et restons intransigeants pour faire taire et séquestrer, au nom de la Science

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

La « Commission chargée de la catégorisation infantile, du tri et de la mise en filière » s'installe dans un silence religieux. Didier Salon-Macraud semble harassé ; mais il grimpe à la tribune avec ferveur, s'agenouille, se signe, et lève les yeux au ciel. Puis il se tourne vers l'audience, pointe un index inflexible, et fait entrer l'accusée, malgré son visage imbibé de larmes caritatives.

Illustration 1

Bon, on a quoi maintenant. Ha, Anne Franck - sourire ironique. Une vraie célébrité celle-là, victime emblématique de la Shoah, autrice d’un des livres les plus lus au monde, avec son propre musée, son effigie partout… Une très belle carrière pour émouvoir et faire pleurer dans les chaumières la ménagère de moins de 50 ans. Bon, mais soyons honnêtes, on en fait tout un pataquès de son journal et de son destin tragique. Mais c’est juste une adolescente délurée, impertinente, dégénérée. Déconstruisons le mythe. Il lui faut un diagnostic ! 

Illustration 2

Alors voilà, au moment où sa sœur aînée, Margot, âgée de 16 ans, reçoit sa convocation de l’Office central pour l’émigration juive en vu d'être transférée dans un camp de travail en Allemagne, la famille Franck préfère désobéir et se confiner. Bel exemple d’incivisme ! Ils se cachent, se terrent dans l’Annexe. Vous appelez cela du courage ! Lâcheté, désobéissance…La jeune Anne Franck, pleine de présomption et d’orgueil, trouve intéressant de raconter cette vie de réclusion et de clandestinité, sans Wifi…Elle lit, elle étudie, elle écrit. La jeunesse doit pourtant courir au grand air, faire des exercices physiques, contribuer à l’effort de guerre et à la productivité ! Des parasites… Outre les événements de sa vie cloitrée - passionnants…-, l’adolescente aborde ses sentiments, ses espoirs et ambitions. 
« Deviendrai-je jamais une journaliste et un écrivain ? Je l’espère tant, car en écrivant je peux tout consigner, mes pensées, mes idéaux et les fruits de mon imagination ». Tik Tok ou Instagram aurait suffi. Au fond, comme tous les jeunes, elle rêve plutôt de devenir youtubeuse et influenceuse. De diffuser des normes consuméristes, de créer du contenu, de faire le buzz. Mais Anne, on ne relance pas la croissance avec du tragique, il faut penser positif ! 
Nonobstant, cette adolescente ose faire preuve de maturité et de lucidité. Elle peut exprimer un point de vue sensible, évoquer son intimité, donner du relief au quotidien de l’enfermement, avec l’occupation nazie en arrière-plan, suite à l’invasion des Pays-Bas. Le gouvernement met en place une politique résolue, innovante et inclusive, avec instauration de lois répressives et discriminatoires, ségrégation et persécution des juifs. Enfin, il s’agit surtout de les mettre au travail, et de les empêcher de profiter du système. Par exemple, les sœurs Franck seront contraintes de s’inscrire dans un lycée juif. On crée des filières, on catégorise, on organise des plateformes de tri, des groupes de niveau, du séparatisme. On réunit les gens en fonction de leur condition. On les désigne par des attributs vestimentaires, fierté communautaire, on leur impose des restrictions. Tout le monde doit participer ! Anne décrit avec ingénuité cette « oppression » au quotidien - tout de suite les grands mots…
L’Annexe devient alors le lieu d’une naissance à l’adolescence, en même temps qu’une geôle, et un piège qui se referme, inexorablement. Captive de ses murs, Anne Franck déploie sa pensée, son imaginaire, affirme sa personnalité, témoigne d’un « paquet de contradictions ». Elle vit, elle palpite, tout en égrenant « ce qui nous appartient et qu’elle a perdu : la lumière du dehors, la brise, l’éblouissement du soleil et la noirceur infinie de ce qu’on ne perçoit pas, entre les étoiles » (Lola Lafon, Quand tu écouteras cette chanson). Mais maintenant, c’est ce que veulent les jeunes : devenir Hikikomori, se couper du monde et des autres. 
Quel intérêt de suivre « ce petit je, soumis à tant d’émotions contradictoires, qui décrète ne pas aimer sa mère et qui sanglote d’être esseulée. Un je d’une drôlerie vacharde, qui n’a aucun scrupule à régler ses comptes avec son entourage. Un je qui sait, à quatorze ans, que la politique n’est pas un sujet pour adultes, mais un intolérable quotidien d’enfant ». 
« Un je qui n’a pas le temps de feindre d’être « comme il faut ». C’est sans fausse pudeur qu’Anne Franck décrit minutieusement son sexe, la masturbation et ses crises d’angoisse ». Ah, voilà, quand on vous disait qu’elle était dérangée ! 
Dans certaines pages dévoilées a posteriori, cette petite perverse s’appesantit sur ses émois, sa puberté, sa féminité et sa sexualité ! Elle revendique des « blagues salaces », elle sent en elle le printemps. 
« Est-ce bien de céder si vite ? (...) Je ne connais qu'une seule réponse, j'en ai tellement envie, depuis si longtemps … ». Elle va jusqu’à décrire ses premières règles, les transformations de son corps d'enfant, la découverte de son clitoris, ses pratiques masturbatoires ! Pornographie…
« Avant d'avoir onze ou douze ans, je ne savais pas qu'il existait en plus les petites lèvres, on ne pouvait absolument pas les voir. (...) Quand j'ai demandé une fois à Maman à quoi servait cette excroissance, elle m'a dit qu'elle ne le savait pas, pas étonnant, elle a toujours de ces réactions stupides ! ». Curiosité mal placée, dénigrement maternel…
Heureusement, certains parents d'élèves d'écoles américaines ont tenté de faire interdire la lecture de ce journal impudique, déluré et pervertissant. Les chrétiens fondamentalistes ont appelé à la censure ! Protégeons nos enfants ! Les livres c'est toxique, par contre les armes....Des mitraillettes, mais pas Anne Franck !

Illustration 3


Malgré la terreur, malgré l’extermination, l’enfermement, les menaces, le silence…Sa libido adolescente reste vivace, à la fois dans sa chair, mais aussi dans son imaginaire. 
« Le monde d’Anne Franck s’étend aussi loin que possible, elle en sonde le cœur, elle s’aventure au bord des à-pics. Elle se joue de l’enfermement, son je se cogne au décor. La jeune fille valse furieusement entre les injonctions : pas question d’avoir la même vie que sa mère et toutes ces femmes qui font leur travail puis qu’on oublie » (Lola Lafon). 
Elle représente le caractère indocile d’une adolescence éternelle, en dépit des contraintes et des restrictions. La résistance du désir et des fantaisies. Anne Franck, si pénible, si adorable, qui persiste à s’épanouir face à l’adversité. Pas une sainte, pas un symbole. Elle n’œuvrait pas pour une cause politique, pour la paix ; mais pour vivre, encore, un peu…pour croire, pour rêver, pour créer, dans un quotidien étriqué, tissé de discipline ascétique et d’obligations permanentes. Elle qui se désignait comme une « petite chèvre turbulente qui a arraché ses liens » était effectivement une proie incrédule et perdue ; qui rencontrera inexorablement le loup nazi, malgré sa farouche insurrection et l'impétuosité de son désir d'exister. Une jeune fille victime d’un génocide perpétré dans l’indifférence générale ; loin de tout sentimentalisme, de toute marchandisation, de toute récupération. Elle, contrairement à d'autres enfants préservés, ne pouvait oublier le temps qui passe, car il lui était compté…
Que faire de cette irrévérence, de cette extralucidité adolescente ? …Comme elle nous inquiète, comme elle nous déstabilise, comme elle nous accable ! Anne Franck ignore le respect et le remords ; elle croque, elle pointe. Elle craint de ressembler à ces adultes recroquevillés par la peur et le souci, de devenir comme ces êtres à bout de souffle qui se plaignent qu’elles « ne manquent pas d’air » » ces jeunes filles ! Méfions-nous de ces fulgurances adolescentes, de ces percées qui mettent à nu nos compromissions. Écrasons cette effronterie et ces inconvenances ! 
Car Anne Franck voit « comment le monde se transforme lentement en un désert ». Elle comprend : « il y a tout simplement chez les hommes un besoin de ravager, un besoin de frapper à mort, d’assassiner et de s’enivrer de violence, et tant que l’humanité entière, sans exception n’aura pas subi une grande métamorphose, la guerre fera rage, tout ce qui a été construit, cultivé, tout ce qui s’est développé sera tranché et anéanti, pour recommencer ensuite ! ». 
Elle dénonce les catégorisations, les gradients d’humanité, l’infrahumanisation : « un jour nous pourrons être de nouveau des êtres humains comme les autres et non pas simplement des juifs »...Pourra-t-on s'extraire de « cette manie de trier qu’avaient les nazis » (Stanislas Tomkiewicz) ?

Le 4 août 1944, l'Annexe est découverte par les services de sécurité de la police allemande. La famille est convoyée vers le camp d'extermination d’Auschwitz : sur les 1 019 passagers du convoi, 549 personnes, dont la totalité des moins de quinze ans, sont envoyés directement dans les chambres à gaz…Éliminer en priorité les enfants, improductifs, dérangeants, inutiles dans ce monde qui n’est pas appelé à se perpétrer. Détruire l’avenir, la transmission et l’amour. « C’était l’idéologie nazie : celui qui ne travaille pas doit mourir » (Stanislas Tomkiewicz, L'adolescence volée).

Illustration 4


Anne Franck, qui a fêté ses quinze ans trois mois plus tôt, est « épargnée ». On la dévêt pour être désinfectée, on la rase, on la tatoue, on l’identifie. 
Le jour, les femmes sont utilisées comme main d’œuvre esclavagisée ; la nuit, elles sont enfermées dans les baraquements bondés et glaciaux, entassées comme du bétail. 
Anne Franck et sa sœur Margot sont finalement transférées au camp de concentration de Bergen-Belsen. Elles vivent dans des conditions de totale abjection et de déshumanisation. Stockées. Promiscuité, dénuement, faim, froid, manque d’hygiène, maladies….
Ce ne sont plus que de « petits oiseaux frigorifiés », chauves, tremblantes, les traits émaciés. 
Une épidémie de typhus se répand. Dans un état d’épuisement extrême, Margot tombe de sa couchette et meurt sur le coup. Quelques jours plus tard, Anne Franck succombe à son tour. Leurs corps sont jetés dans la fosse commune…

Dès lors, le journal d’Anne Franck « bégayé par la voix d'un enfant, incarnera toute la cruauté du fascisme, plus que toutes les preuves que le procès de Nuremberg ait pu réunir » (Jan Romein). Cette voix « parle pour six millions d'autres – la voix non pas d'un sage ou d'un poète mais d'une petite fille ordinaire » (Ilya Ehrenbourg). 
Symbole de la persécution, de l’indifférence et de la folie meurtrière…
Mais aussi, puissance de l’adolescence, de ce processus mystérieux qui persiste et résiste. De cette flamme, vivace, insaisissable, espiègle. Époustouflante d’honnêteté. 
Cela il faut sans doute s’en débarrasser, l’aplanir. 
Certes, Anne Frank appartient désormais à tous ; on l’élève au-delà de la Shoah, du judaïsme, de la féminité, pour en faire une icône du monde moderne - un espoir, un germe d’humanité. L’expression du droit à vivre, quelles qu’en soient les conditions. 

Allez, on doit bien pouvoir la récupérer, la vendre et l’éteindre. On peut la vénérer pour mieux la piétiner. S’identifier pour mieux l’oublier. La figer pour mieux la normaliser.
Si elle appartient effectivement à tout le monde, elle n’est plus pour personne, et surtout pour elle-même. Un produit marketing, alimentant notre indignation boursoufflée ; plus jamais ça, ce passé honteux, ces pratiques d’un autre temps. Si on pleure Anne Franck, notre caution morale, notre petite larme d’humanité, c’est qu’on est vraiment des gens bien…
Voilà, on l’a bien affadie, la marchandisation a fait son office. Un bien consommable, édulcoré. Son récit n’est plus qu’un journal de confinement parmi tant d’autres, centré sur les petites affres du moi, sur les tracas du quotidien. Il nous reste du PQ et des pâtes ? Un bel exemple de résilience. 
Dès lors, plus besoin de voir les enfants qui crèvent de froid à la rue, qui sont parqués dans des camps, qui sont exterminés, pour des raisons ethniques ou religieuses. Des dégénérés. On pleure Anne Franck, et on détourne le regard. 

Pourtant, on avait déjà essayé de la faire disparaître, à nouveau, cette jeune fille trop bavarde. On a contesté l’authenticité de son journal ; on s’acharne à la conformer, à la museler. Son témoignage nous dérange toujours autant, comme une épine infectée dans le pied. Comment réhabiliter le fascisme, comment légitimer des politiques d’exclusion, de rejet de l’autre, de xénophobie, comment faire preuve de paresse à l’égard des massacres et des génocides, comment oublier, comment ne pas voir, alors qu’Anne Franck ? …Comment continuer à écraser nos jeunes filles, à les soumettre, à les ranger, à les confiner, à les réduire au silence, alors qu’Anne Franck ? Comment éliminer les indésirables, se protéger des contaminations, laisser des enfants mourir de froid à la rue, alors qu’Anne Franck ? 
Celle-ci « aurait souri de lire qu’un négationniste affirma, comme preuve ultime de falsification, qu’aucune jeune fille de quinze ans n’aurait été capable de penser et encore moins d’écrire ce qu’il avait lu dans le Journal : c’était bien trop intelligent et irrévérencieux, pour une gamine » …

Bon, on doit bien la diagnostiquer Haut Potentiel Intellectuel, Hypersensibilité. Mais n’oublions pas d’ajouter : paraphilie, avec hypersexualité et tendances exhibitionnistes voire masochistes. Symptômes obsessionnels polarisés autour de l’écriture et du savoir. Pulsions épistémophiliques pathologiques. Trop curieuse...A traiter dans un camp de rééducation, par le travail qui rend libre, après passage par une plateforme de triage. Penser également à éliminer ses attributs sexuels et féminins, à réorienter sa libido. Il faut la décérébrer et l’empêcher de penser. Épuisez-la, exterminez-la…Faites-la taire !

Illustration 5

Et toute sa clique avec elle...Ces enfants qui subissent et qui témoignent...ou les multitudes dont les voix sont anéantis. Les enfants de Gaza, contraints de vivre dans la peur, les ruines et la mort...Tous ceux qui sont séquestrés, qui sont discriminés pour leurs origines, pour leur culture, à l'instar des Ouïghours ou des Rohingyas...Et tous les apatrides, les sans-toits, les miséreux....A la rue, sans chez-soi, sans existence, sans reconnaissance...

Mais en attendant, nous interrompons notre programme philanthrope pour un intermède musical.

S’avance alors une saltimbanque déguenillée, avec sa guitare. Elle toise l’assemblée d’un air farouche et grandiloquent ; moi, Mercedes Sosa, La Negra, je vais vous chanter cette chanson, « Canción para un niño en la calle », afin de semer des germes de mépris dans vos cervelles immondes. 

« A esta hora exactamente hay un


Niño en la calle hay un niño en la calle

Es honra de los hombres proteger lo que crece


Cuidar que no haya infancia


Dispersa por las calles


Evitar que naufrague su corazón de barco


Su increíble aventura de pan y chocolate


Poniéndole una estrella en el


Sitio del hambre de otro modo es inútil


De otro modo es absurdo


Ensayar en la tierra la alegría y el canto


Porque de nada vale si hay


Un niño en la calle »

« A cette heure exactement,
Il y a un enfant dans la rue...Il y a un enfant dans la rue... 
C’est la fierté des hommes de protéger ce qui croît,
De faire attention qu’il n’y ait pas d’enfance 
Dispersée dans les rues
D’éviter que leur cœur vacillant fasse naufrage,
Leur incroyable aventure de pain au chocolat
En leur mettant une étoile 
En lieu de faim.
D’autre part, il est inutile, 
D’autre part il est absurde
De répéter sur terre la joie et le chant
Car cela ne vaut rien 
S’il y a un enfant dans la rue »

Mercedes Sosa - Canción para un Niño en la Calle (Official Video) © MercedesSosaVEVO

Vociférations et grognements dans l’assemblée. 

Subrepticement, se faufile à présent une silhouette éthérée ; une dame toute filiforme, drapée de noire et de mélancolie. Elle s’installe au piano, avec grâce, et entame cette cantilène 


« Pour qui, combien, quand et pourquoi, contre qui, comment, contre quoi
C'en est assez de vos violences
D'où venez-vous, où allez-vous, qui êtes-vous, qui priez-vous
Je vous prie de faire silence
Pour qui, comment, quand et pourquoi, s'il faut absolument qu'on soit
Contre quelqu'un ou quelque chose
Je suis pour le soleil couchant, en haut des collines désertes
Je suis pour les forêts profondes
Car un enfant qui pleure qu'il soit de n'importe où est un enfant qui pleure
Car un enfant qui meurt au bout de vos fusils est un enfant qui meurt
Que c'est abominable d'avoir à choisir entre deux innocences
Que c'est abominable d'avoir pour ennemis, les rires de l’enfance »

Barbara, « Perlimpinpin » 

Barbara - Perlimpinpin (Audio officiel) © Barbara

Assez de ces chansonnettes…La gothique, qu’elle aille plutôt s’encanailler avec des aigles noirs si elle veut jouer aux rebelles. 
Soudainement, une horde d’apaches délinquants fait irruption, en se trémoussant tels des barbares en transe. Ils scandent une mélopée païenne, et foutent le bordel 

"Gee, Officer Krupke

Golly Moses, natcherly we're punks!

Gee, Officer Krupke, we're very upset;
We never had the love that ev'ry child oughta get.
We ain't no delinquents,
We're misunderstood.
Deep down inside us there is good!


Officer Krupke, you're really a square.
This boy don't need a judge, he needs a [sic] analyst's care!
It's just his neurosis that oughta be curbed.
He's psychologically disturbed!

We're disturbed, we're disturbed,
We're the most disturbed,
Like we're psychologically disturbed.

In the opinion on this court, this child is depraved on account he ain't had a normal home.

We are sick, we are sick,
We are sick, sick, sick,
Like we're sociologically sick!

In my opinion, this child don't need to have his head shrunk at all. Juvenile delinquency is purely a social disease"

West Side Story, paroles de Stephen Sondheim, musique de Leonard Bernstein

West Side Story - Gee Officer Krupke! (1961) HD © John Long

Et ils continuent, tous en cœur, ces enfants qui grouillent

"We don't need no education
We dont need no thought control
No dark sarcasm in the classroom
Teachers leave them kids alone
Hey! Teachers! Leave them kids alone!
All in all it's just another brick in the wall.
All in all you're just another brick in the wall"

Pink Floyd, The Wall

Pink Floyd -- The Wall [[ Official Video ]] HQ © Mystic Plug Relics

Mais enfin, faites dégager cette bande de délinquants irrécupérables ! Au trou !
C’est alors que surgit une grave mélodie, jouée par un saxophone au son envoûtant. Ces notes déchirent l’âme, et leurs inflexions rythmiques semblent se développer à la façon d’une harangue solennelle, mêlant la sérénité, l’indignation et la révolte. 
Cette mélodie, c’est « Alabama », interprétée par John Coltrane, et composée en réponse à l’attentat à la bombe perpétré dans une Église de Birmingham par le Ku Klux Klan, ayant tué quatre jeunes filles afro-américaines : Addie Mae Collins, 14 ans, Cynthia Wesley, 14 ans, Carole Robertson, 14 ans, et Carol Denise McNair, 11 ans. Quatre enfants de plus victimes de la haine, dommages collatéraux de la folie destructrice des « grandes personnes » ….

JOHN COLTRANE Alabama © roger b

Silence dans l’assemblée…

Bon, on va poursuivre notre programme habituel, et s'intéresser à nouveau aux adolescentes déviantes.

Tiens, en parlant d’Alabama, faites venir la jeune Claudette Colvin, adolescente afro-américaine de 15 ans qui a osé s’opposer aux lois Jim Crow imposant la ségrégation raciale dans les transports publics des États américains du Sud.

Illustration 11


Cette jeune fille avait tout pour devenir une opposante caractérielle. Issue d’un milieu instable et miséreux, elle est abandonnée par son géniteur, délaissée par sa mère, et est finalement adoptée par sa tante. Elle grandit alors dans un ghetto paupérisé de la banlieue de Montgomery en Alabama. Alors qu’elle a treize ans, elle perd sa sœur qui décède de la poliomyélite. Misère, carences, négligences…Cette enfant subit en plus les influences séditieuses des mouvements politiques luttant pour les droits civiques, et elle devient membre du NAACP Youth Council (National Association for the Advancement of Colored People). Elle est élève dans une école ségréguée, et toute son existence est marquée d’un séparatisme imposé. Ce qui ne l’empêche pas de manifester des tendances antisociales précoces… Elle reste en marge, se lie peu à ses camarades. ; proteste, conteste, questionne…
En mars 1955, au sortir de son établissement scolaire, elle emprunte le bus qui la ramène quotidiennement dans son quartier communautaire. 
Alors qu’une femme blanche pénètre dans le bus, Claudette Colvin refuse de lui céder sa place, conformément aux lois en vigueur, malgré l’insistance du chauffeur qui fait alors appel aux forces de l’ordre. 
« C'est l'Histoire qui m'a maintenue collée à mon siège. Je sentais la main de Harriet Tubman qui me poussait vers le bas sur une épaule et celle de Sojourner Truth qui me poussait sur l'autre ». 
Ne serait-ce pas plutôt la paresse, l’esprit de provocation et les tendances psychopathiques ? 
Elle se prend donc pour une Antigone moderne, cette petite effrontée, s’affrontant ainsi à l’injustice et à l’absurdité ? Angoissée à l’idée de devenir femme, elle préfère sans doute fuir dans la révolte, l’excès, et le refus…Et elle trouve alors une cause à laquelle s’identifier, pour pallier son propre néant. 
Car, « parmi toutes sortes d’ « échappées » possible, il y a la désobéissance à tel ordre patriarcal inique et le choix de défier tel pouvoir arbitraire des hommes. Une façon de se soustraire et de s’affirmer qui consiste, de la part d’une Jeune Fille, à se dresser, tout à coup, comme l’incarnation sublime de la justice, de la raison, de la bonté humaines, des lois véritables de la cité ou de la volonté des dieux. La voilà, toute seule, contre un ordre inacceptable, ou opposée à la raison d’État » (Pierre Péju, Métamorphose de la jeune fille, p21).

Claudette Colvin n’en fait qu’à sa tête. L’adolescente opposante s’obstine, refuse de bouger ; on l’expulse violemment, on la menotte et on la met en état d’arrestation. 
En guise de protestation, Claudette Colvin crie que ses droits constitutionnels sont violés. Que de violence de sa part ! On l’accuse de proférer des insultes…
Durant le transfert vers le commissariat, les policiers l’assènent de commentaires désobligeants et sexistes. Il faut dire qu’ils ont remarqué son tour de taille ; en effet, cette petite délurée est enceinte ! Elle aurait, d’après elle, subi des rapports non consentis…On ne te croit pas.
Cette adolescente ingrate veut jouer les rebelles, veut renverser le système, veut contester ! Mais elle ne présente pas bien, elle est instable, elle ne parait pas fiable…Elle porte des tresses africaines, et refuse de se lisser les cheveux ; elle a la peau très noire. De surcroît, elle porte en elle le fruit du péché…Et c’est juste une enfant, revêche, versatile, suggestible. Faible et victime… Une fautrice de trouble, une tête brûlée. Suspecte, vicieuse, indigne de confiance. 
Les leaders locaux du mouvement des droits civiques préfèrent donc l’invisibiliser, et c’est finalement Rosa Parks qui portera sa cause, en se faisant arrêter pour le même délit neuf mois plus tard….
Quant à Claudette Colvin, elle est condamnée pour violation des lois ségrégatives, troubles à l’ordre public et agression d’un officier de police. En appel, les deux premières charges seront finalement abandonnées. 
Quand elle donne naissance à son fils, à 17 ans, elle est renvoyée de l’école, et condamnée aux oubliettes de l’histoire…

« Inférieur car jeune. Imparfait car jeune. Sensuel car jeune. Charnel car jeune. Destructeur car jeune. Et, dans sa jeunesse, méprisable » Witold Gombrowicz, La pornographie

Bon, tout est dit. Probable trouble oppositionnel avec provocation, tendances antisociales, appétences pour le désordre et la débauche. Mais les forces de l’ordre et la justice ont fait un travail exemplaire ! Cependant, la médecine aurait aussi pu lui ligaturer les trompes. Franchement, si on veut vraiment oublier, il faut aussi empêcher toute descendance…

Car, ce genre de provocatrice exerce de désastreuses contagions, elle peut disséminer des germes de révolte. Rappelons-nous par exemple Brenda Travis, cette adolescente noire, militante du mouvement des droits civiques dans le Mississippi qui, dans les années 1960, sera étiquetée comme délinquante et internée dans un centre de redressement pour la dissuader, elle et d’autres jeunes, de s’engager dans la lutte politique. Tant d'autres ont ainsi été étiquetés, diagnostiqués, et placés en institution pour leurs comportements séditieux, par des tribunaux représentants le pouvoir, criminalisant et pathologisant l'opposition et la révolte.

Illustration 12

Dernier avatar en date, l'étudiante iranienne Ahou Daryaei, internée en hôpital psychiatrique par le pouvoir, suite à son geste de protestation : se dévêtir en public, devant l'université Azad de Téhéran. Pour le régime, une telle subversion ne peut être que la marque d'un trouble psychiatrique ; toute dissidence doit être pathologisée, les opposants et les résistants sont des fous ! Ainsi, toute désobéissance à l'ordre patriarcal doit être châtiée par la police des moeurs et sanctionnée par un internement, à travers une instrumentalisation répressive de la psychiatrie.

Femme, Vie, Liberté ? Et puis quoi encore..

Allez, on a d'autres chats à fouetter ! 

Et puis, on va pas trop balayer devant notre porte, et dépoussiérer notre histoire et ses persistances. Pourtant, dans La Ronde des folles, Yannick Ripa soulignait la collusion entre le "traitement moral" des aliénistes, la moralité bourgeoise et la pudibonderie religieuse : contrôle social des conduites sexuelles, délire médical suscité par la jouissance féminine, etc.

« Tout se passe comme si l’intervention de l’asile consistait à culpabiliser les individus en leur attribuant la responsabilité de leurs actes et à transformer en péché la révolte contre l’intolérable. Dès lors, guérir c’est intérioriser cette représentation morale de la folie. En ce sens, la collaboration des médecins et des religieuses au sein de l’institution n’a fait que renforcer l’ancienne morale des désordres de l’âme, dont le poids est sans doute plus lourd pour les femmes que pour les hommes, puisque ce sont elles qui, à l’asile, vivent quotidiennement sous la surveillance des « sœurs » (les gardiens sont réservés aux quartiers d’hommes) et qui, dans la vie quotidienne, doivent pratiquer les dévotions » (Le couvent des fous, Giordana Charuty)

A suivre....

Illustration 13

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