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En 2004, j’ai chiné chez un bouquiniste nouvellement installé dans un village savoyard, le livre d’Isabel Allende « Mon pays réinventé ». Une façon de m’imprégner du Chili et d’en connaître un peu plus sur l’histoire du Chili 1973.
Cette terre lointaine bordée, du désert lunaire d’Atacama pourtant « couvert d’un manteau de fleurs au printemps », de la cordillère des Andes au « massif de roches et de neiges éternelles », de l’océan pacifique et de ses « côtes abruptes » et de l’Antarctique « un monde de glace et de solitude ».
Journaliste née au Pérou, de nationalité chilienne et parente du Président Salvador Allende, « devenue étrangère sur sa propre terre », l’auteure et les siens empruntent, quelques temps après le putsch de Pinochet du 11 septembre 1973, la route de l’exil comme beaucoup de chilien.ne.s à l’époque.
En recherche de stabilité, elle s’engage alors sur les sentes de la littérature. Dans ce roman intimiste empreint de réflexions hétéroclites, elle décrit le pays de ses racines, ouvre les fenêtres cachées de ses blessures d’âme et retrace les bons moments et souvenirs vécus mais aussi sa vie brisée lors du coup d’état « où plus rien n’est redevenu comme avant, j’ai perdu mon pays ».
Isabel Allende souligne que pour voir son pays avec cœur, il faut lire Pablo Neruda, poète engagé, « le poète national qui a immortalisé dans ses vers les superbes paysages, les parfums, les aubes, la pluie tenace et la pauvreté digne, le stoïcisme et l’hospitalité. »
« La nuit arrive avec sa coupe
De lierres étoilés, le rêve submerge les hommes
Les entasse dans son sous-sol
Et le monde se lave une fois encore » Pablo Neruda
Au long de son récit, la poésie lyrique, sensuelle et aussi parfois grinçante de Pablo Neruda se faufile dans la trame. Chilien, homme politique, penseur, diplomate, ambassadeur, il conte liberté et fraternité et délivre des mots colorés sur les beautés de la nature, teintés de luttes politiques et de révoltes humaines.
Nobel de Littérature, prix décerné « pour une poésie qui par l’action d’une force élémentaire donne vie à la destinée et aux rêves de tout un continent », Pablo Neruda, homme engagé, pacifiste, antifasciste, ami de Salvador Allende s’est battu pour ses idées malgré diverses persécutions : « Je veux vivre dans un monde où les êtres seront seulement humains, sans autres titres que celui-ci, sans être obsédés par une règle, un mot, par une étiquette ».
Lors du coup d’état du 11 septembre 1973, le Chili est devenu terre de répressions sanglantes de milliers d’opposant.e.s au régime de Pinochet. Beaucoup ont disparu dans des conditions non élucidées. Les résidences de Pablo Neruda ont subi perquisitions et saccages. Le poète mis en résidence surveillée meurt douze jours plus tard, officiellement d’un cancer.
Ses obsèques seront un premier acte de rébellion. L’Internationale résonnera. Le peuple rythmera ces paroles : « Pablo Neruda, présent maintenant et toujours / Salvador Allende, présent maintenant et toujours / Victor Jara*, présent maintenant et toujours. »
La population emmure secrètement livres et bibliothèques pour sauver leurs vies et sauvegarder la mémoire culturelle du pays. Sous les années du régime Pinochet, les écrits du poète Pablo Neruda et de bien d’autres écrivains n’échappent ni à la censure ni aux autodafés. Réprimer et taire poètes, artistes et écrivains… Censurer ouvrages, livres, manuscrits… Imposer le silence aux mots dits, maudits !
« Tout est dans le mot... Une idée entière se modifie parce qu'un mot a changé de place
ou parce qu'un autre mot s'est assis comme un petit roi dans une phrase qui ne l'attendait pas et lui a obéi... »
Pablo Neruda « J'avoue que j'ai vécu » (Mémoires Posthumes 1974)
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*« … Z'ont tué le guitariste, lui ont brisé les doigts
Interdit sa musique, surveillé quelques mois
Mais au fond des mémoires, sur des marteaux-pilons
Les compagnons d'usine ont gravé la chanson »