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Les promesses de barricades de nos ainés nous laissaient songeurs quant à une postérité plus enjouée et plus radieuse, teintée de ce parfum d’optimisme à toute épreuve. C’était sans compter sur les évènements secouant le proche Moyen Orient, à l’heure où le premier grand choc pétrolier de l'histoire ébranlait le monde. 1973, l’année de tous les périls.
Coup de froid sur les Trente Glorieuses. Pom-pom-pidou au pouvoir, Debré dans le viseur. Au printemps nouveau, mobilisée contre la suppression des sursis militaires, la jeunesse descendait dans la rue. Contestation massive à grand renfort de slogans contestataires. Une première depuis mai 1968.
L’ébauche d’un sens moral. Manifestation, occupation des lieux, sit-in, grève des cours, jours de liesse collective. Faute de pouvoir s’arracher le restant d’une chevelure dégarnie, le proviseur à la main de fer en perdait son latin. La situation échappait à tout contrôle. Conscience politique et devoir de mémoire. En ces lieux de dissidence, sur la trace de la grande grève des ouvriers délaineurs de 1909, dans les pas du tribun local, Jean Jaurès.

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Mes années collège, le Brevet en ligne de mire, juste avant le grand saut vers le lycée. Promesse d’émancipation. Le bruit et l’odeur des mobylettes, le tournis des jupes des filles, les boums improvisées dans les garages. La musique, aussi contestataire que nos idées mineures. Premiers flirts et tout premier baiser, les sens émoustillés par l’éclosion de ces belles fleurs au printemps de leur innocence.
Au café des promenades, sur le jukebox au fond de la salle, dans un tourbillon d’émotions se jouait l’avenir d’un autre monde. Avec pour moteur cette insouciance fanfaronne, trajectoire débordante de déflagrations inattendues. Boule de flipper. On te donne trois balles !

De ce côté ci du bout du monde, en ces contrées reculées où pas grand-chose ne se passait, la vie rythmée par les toquades de l’Autan. Au pied de la Montagne Noire, la petite cité ne brillait plus sous les fastes d’un temps désormais décati. Jadis cité mondiale du délainage, à présent elle somnolait sur ses lauriers, en proie à cette influence nostalgique.
Par un étonnant concours de circonstance, la cité lainière fut l'épicentre d'un véritable séisme médiatique. Sous le feu des projecteurs, au sortir de sa torpeur. Le poids des maux, le choc des clichés, pari d’un match à la Une. Prise ou crise de conscience ? Pour ceux qui se souviennent, pour ceux qui ont déjà oublié et pour ceux qui ne savent pas encore.

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Au cours de l’année 1972, 16.610 personnes ont perdu la vie sur les routes de France et de Navarre, soit l'équivalent de la population d'une petite ville de province, recluse en ses replis.Pour que le symbole soit fort et provoque un électrochoc, Michel Tauriac, reporter à l’ORTF, eut l'idée de cette mise en scène marquante, comme si la ville Tarnaise était rayée de la carte. « Mazamet, ville morte »
Ce 17 mai 1973, les sirènes de l’Apocalypse retentissent à travers la ville. Tous les véhicules sont à l'arrêt au milieu des rues balayées par le vent. Hommes, femmes et enfants gisent, inanimés sur la chaussée, comme morts, frappés d’une terrible catastrophe. Plongée dans un silence assourdissant, son cœur ne bat plus, elle a rendu l’âme. Elle n’est plus qu’une cité fantôme, réduite au chatoiement du néant, balayée par un souffle d'effroi. Le temps d'une homélie, la camarde s'est invitée au champ de foire, se faufilant entre les encombres. L'écho de sa symphonie recouvrant la douceur de vivre.
Les images restent terrifiantes. Entre les décombres, seuls rôdent journalistes et caméramans qui couvrent l’évènement. Le reportage diffusé à la télévision nationale eut un grand retentissement. On ne saura jamais le nombre de vies sauvées à l’issue de ce happening. Cet épisode unique en son genre fut l’occasion de sécher les cours avec l’approbation de l’académie !

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À l’aube du cinquantenaire de l’évènement majeur, les routes seront-elles moins enclines à faucher des vies dans la traversée de ces abîmes au cœur de paysages inconnus? Au fil des jours qui se faufilent, j'en viens à songer à ces longs voyages solitaires, défiant le temps à travers l’asphalte. La vie, sans arrêt qui défile…