Dans son adresse aux candidats à l'élection présidentielle, le Collectif des 39 contre la nuit sécuritaire réaffirme son opposition à la loi de juillet 2011 et dénonce «toutes les dérives politiques, techniques, gestionnaires et sociales qui enfermeraient peu à peu les patients dans un carcan déshumanisant».
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Adresse aux candidats à l’élection de la Présidence de la République
La folie n’est concevable qu’irréductiblement liée à la condition humaine.
L’art et les pratiques cliniques psychiatriques prennent en compte la personne dans son ensemble, son histoire : il s’agit de soigner une personne qui souffre et non une maladie.
Engagée dans la réalité sociale, la psychiatrie se doit de préserver la singularité et l’originalité des personnes qui se confient à elles ou lui sont confiées: telle est son éthique. Elle ne se conçoit qu’en relation avec les patients, leurs familles mais aussi avec les acteurs du social et du champ médico-social. Par conséquent, c’est une politique psychiatrique inscrite dans la communauté qui doit être promue.
Nous, soignants en psychiatrie, patients, familles affirmons que :
- Les valeurs républicaines de liberté, égalité et de fraternité sont le socle constitutif de toute pratique.
- L’engagement thérapeutique tient d’abord à la prise en considération de la vulnérabilité mais aussi de la créativité des patients. Il doitconduire à promouvoir tous les lieux nécessaires à une hospitalité pour la folie qui constitue l’enjeu de la pratique. Dans l’hospitalisation, comme dans les lieux ambulatoires, l’accueil doit être mis au centre des projets et des préoccupations thérapeutiques.
- La dimension relationnelle est au cœur de tout processus de prévention et de soins. L’apport de la psychanalyse à la psychiatrie est incontestable; ne peut être nié, voire pire, interdit. Il est un élément important dans la nécessaire pluralité des pratiques qui composent notre discipline.
Aussi refusons-nous avec force :
• L’idéologie sécuritaire qui stigmatise, isole et maltraite les plus démunis des citoyens.
• Toute modification ou interprétation des lois qui confirmerait la ségrégation et la stigmatisation des patients en les assujettissant à des lois spécifiques et aggraverait la tendance à l’enfermement.
• L’idéologie falsificatrice qui ferait croire que soigner sous la contrainte dans la cité serait une avancée pour les patients ou leur famille.
• L’imposture des protocoles standardisés pseudo scientifiques déniant la singularité de chaque acte, de chaque projet soignant, de chaque patient.
• La mainmise de l’appareil gestionnaire tentant d’annihiler, de nier et d’écraser la dimension créative et inventive de tout processus de soin.
Aussi soutenons-nous toute pratique, qu’elle soit publique, en accord avec les acquis du secteur, libérale ou associative, garantissant en particulier la continuité des soins et prônant l’attachement à des valeurs fondamentales telles que : respect du secret professionnel, engagement relationnel, indépendance professionnelle, respect de l’intimité et des droits du patient, la prise en compte de son entourage familial.
Nous défendrons un enseignement reposant en particulier sur la psychopathologie, et nécessitant la réintroduction de formations spécifiques désarrimées de la logique, du cadre théorique et des intérêts hospitalo-universitaires actuels autant que de l’emprise des laboratoires pharmaceutiques et ceci pour tous les professionnels de la psychiatrie.
Avec et pour ces valeurs nous continuerons à dénoncer toutes les dérives politiques, techniques, gestionnaires et sociales qui enfermeraient peu à peu les patients dans un carcan déshumanisant.
Nous affirmons que ce combat est essentiel pour que la psychiatrie ne bascule pas dans la barbarie où rejeter et punir feraient disparaître les pratiques accueillantes de soins désaliénistes.
Cette conception du soin psychique implique une rupture avec les politiques législatives, administratives et idéologiques engagées par les pouvoirs publics depuis des années.
C’est pourquoi nous exigeons :
- L’abrogation de la Loi du 5 juillet 2011 qui fait passer la psychiatrie d’une logique sanitaire à une logique sécuritaire de contrôle policier des populations.
- L’abrogation de toutes les lois organisant depuis des années la gouvernance hospitalière et nous empêchant d’être soignés et de soigner correctement, et en particulier la loi HPST.
- L’abrogation de la loi de février 2008 sur la « rétention de sûreté ».
- L’arrêt immédiat de tous les processus d’accréditation et de certification, des recommandations de “bonne pratique “ et “des conférences de consensus”, validés dirigés et imposés par l’HAS, dont l’objectif d’une mise en normes des pratiques, protocolisées et homogènes, est anti thérapeutique, destructeur des soins et constitue un obstacle majeur à des soins psychiques de qualité..
- La suspension immédiate de toutes les contraintes médico-administratives mettant en péril les principes de confidentialité.
Concernant les moyens
La psychiatrie publique doit avoir les moyens - tant financiers qu’humains (en nombre et en qualification) - de répondre aux besoins de l’ensemble de la population. Elle n’est pas la santé du pauvre. Ce qui implique un renforcement substantiel de ses moyens.
Elle doit pouvoir bénéficier d’une enveloppe budgétaire spécifique.
Concernant l’organisation
Le Secteur Psychiatrique doit être réaffirmé comme étant l’élément central du dispositif de psychiatrie publique.
Les pôles doivent être démantelés, car il s’agit d’un dispositif antinomique de l’organisation sectorielle, qui concerne un territoire à taille humaine.
Un bureau de la psychiatrie doit être rétabli au sein du Ministère de la Santé, afin que les dossiers de la psychiatrie soient traités par des personnes au fait de la discipline
Concernant les formations
La nécessité d’assurer une formation spécifique à tous les intervenants en psychiatrie. Cette formation devant permettre aux futurs professionnels d’appréhender la complexité de la psychopathologie. Dans ce cadre nous exigeons que l’enseignement, pour tous les professionnels soit pluraliste, avec notamment un apport nécessaire en psychopathologie, psychanalyse et sciences humaines, qui enrichissent nos pratiques.
Concernant les internes, tous les Secteurs doivent pouvoir redevenir qualifiants.
Concernant le financement
Ni la T2A, ni la VAP ne doivent s’appliquer à la psychiatrie. Celle-ci doit disposer d’un financement lui permettant de répondre à ses missions tant de soins que de post-cure et de prévention, ainsi qu’à son implantation dans le tissu social de la Cité.