Mais, avant d’en venir là, pourquoi tant d’histoires au sujet des primaires d’un Etat qui ne compte que 1,3 million d’habitants, soit 0,4% de la population des Etats-Unis ?
Les primaries du New Hampshire (The Granite State - NH) ont lieu depuis 1916 (c’est le 3ème Etat a en avoir organiser) et, depuis 1952, elles jouent un rôle très important dans la campagne des primaires après que le parlement local eut simplifié les règles afin d’augmenter la participation électorale. Ce rôle a encore augmenté à partir de 1972 et les réformes qui suivirent les déboires de la campagne de 1968. Ce petit Etat rural du Nord Est, très peu peuplé, est le premier réel test électoral pour les candidats car si les caucus de l’Iowa se déroulent la semaine précédente, ils attirent moins d’électeurs, ne sont pas réellement des primaires, faisant une large place aux caciques des partis (impossible de savoir par exemple le nombre de voix supposé avoir séparé Clinton de Sanders la semaine dernière) et ne bénéficient pas de la même couverture par les media, alors que les primaires du New Hampshire sont les plus suivies de toute la campagne, et de très loin.
Une partie essentielle de l’intérêt suscité par ces primaires vient de leur réputation à sélectionner ceux qui remporteront la nomination, puis la Présidence. Comme l’a dit un jour John Sununu, ancien Gouverneur du New Hampshire : “The people of Iowa pick corn, the people of New Hampshire pick presidents.” (1). De fait, les caucus de l’Iowa sont un très mauvais indicateur prédictif du résultat final. Au cours des 7 dernières élections, les caucus républicains n’ont désigné qu’une seule fois celui qui remporta ensuite la nomination du parti, GW Bush en 2004, alors candidat à un deuxième mandat. La seule conclusion à tirer de ces caucus du côté républicain est qu’ils indiquent qui est le candidat favori de la droite chrétienne. La réponse est, cette fois-ci : Ted Cruz. Ils n’ont guère d’importance non plus côté démocrate.
En revanche, les primaires du NH ont très souvent pour vainqueur celui qui remportera la nomination et on ne gagne pas la Présidence si l’on ne termine pas premier ou deuxième. Depuis 1980, dans les élections sans Président sortant (comme cette année), les primaires républicaines ont vu la victoire du candidat qui remporte ensuite la nomination trois fois sur cinq et, dans les deux autres cas, il avait terminé en deuxième position (Buchanan en 1996, Mc Cain en 2000).
Au cours des dernières élections, les primaires du NH sont toutefois devenues un moins bon indicateur prédictif du choix du Président : lors des trois derniers scrutins, le futur Président avait terminé 2ème, contrairement aux quatre précédents ou le futur président avait gagné dans le New Hampshire. Mais aucun candidat n’a jamais terminé 3ème (ou plus) et remporté ensuite la Présidence. Clinton fut le premier Président à ne pas gagner dans le New Hampshire mais sa remontée spectaculaire dans les derniers jours précédant le scrutin l’amena à la deuxième place et propulsa la campagne qui devait le conduire à la Présidence en 1992. A un degré bien moindre, c’est ce qui vient d’arriver au Gouvernor de l’Ohio, John Kasich.
Une victoire ou une bonne performance dans le New Hampshire booste la campagne du candidat à la suite des retombées médiatiques positives qui s’ensuivent, lesquelles se traduisent en augmentation de sa cote au plan national, et bien sûr en apports de fonds. W. Mayer a estimé ainsi qu’une victoire dans le New Hamsphire augmentait le score final d’un candidat sur l’ensemble des primaires de près de 27 points en moyenne et qu’une deuxième place l’augmentait de 17 points (2), des augmentations considérables. En 1952, 1968 et 2008, les résultats de la primaire démocrate ont changé la donne politique de façon déterminante pour le reste de la campagne. Dans les deux premiers cas, le Président sortant (Truman et Johnson) renonça à se représenter après un piètre résultat dans le New Hampshire. En 1980, elle joua un rôle déterminant côté républicain, lançant Reagan. En sens inverse, un mauvais résultat conduit souvent un candidat à mettre fin à sa campagne comme le Gouvernor du New jersey, Chris Christie, vient de le faire après être arrivé 6ème chez les républicains avec 7,5% des voix.
Si les primaires du New Hampshire sont très importantes, à la fois parce qu’elles ouvrent véritablement la campagne des primaires et que leurs résultats sont significatifs, cela est dû à plusieurs facteurs :
Tout d’abord, les primaires ne sont pas fermés, c’est-à-dire réservées aux électeurs enregistrés comme démocrates ou républicains, mais sont également ouvertes à ceux qui ne sont pas enregistrés auprès de l’un des deux partis. Ceux-ci peuvent voter dans la primaire de leur choix, républicaine ou démocrate (3). Or, ces électeurs, dit « indépendants », sont cruciaux puisque ce sont essentiellement eux qui, en réalité, désignent le Président en novembre, en faisant pencher la balance d’un côté ou de l’autre puisque les démocrates et les républicains représentent deux blocs d’électeurs fidèles, d’importance comparable, représentant chacun un tiers des électeurs américains (4). Et il se trouve que dans le New Hampshire le nombre d’électeurs non affiliés à un parti est plus important que dans le reste de l’Union puisqu’il représente aujourd’hui 44% des électeurs. Il augmente d’ailleurs depuis 20 ans.
Un autre facteur est lié au fait qu’il s’agit d’un Etat très politisé ou la participation électorale, même aux primaires, est forte. Compte tenu du faible nombre d’habitants et du fait qu’il s’agit de la primaire dont la campagne est la plus longue (puisque étant la première à ouvrir le bal), les électeurs peuvent rencontrer les candidats, assister aux meetings, parfois plusieurs fois, et se faire une opinion directe à leur sujet. On estime qu’un candidat qui mène une campagne intense dans le New Hampshire peut serrer les mains de plus de 15% des électeurs. Les habitants sont très attachés au fait d’ouvrir la campagne des primaires, au point qu’une loi locale impose de faire en sorte que le NH conserve son statut d’Etat organisant la première primaire qu’il détient sans discontinuer depuis 1920 (5). Du fait de la taille réduite de l’Etat, un candidat sans beaucoup de moyens financiers peut néanmoins mener une campagne efficace : les spots TV ne coutent pas (trop) chers, et le porte-à-porte, le démarchage téléphonique ou par courriels sont plus aisés et ceux qui disposent d’une organisation de terrain valable -tout ce qui fait le ground game- peuvent se distinguer plus aisément. En 70 jours passés dans le New Hampshire, John Kasich a participé à 106 meetings et était encore là lors de l’ouverture traditionnelle du premier bureau de vote, à minuit à Dixville Notch, dans l’extrême nord de l’Etat (6), un événement toujours très médiatisé, permettant à ceux qui ne le connaissaient pas encore de voir sa tête aux journaux télévisés du matin avant d’aller voter dans la journée et de donner l’impression qu’il était décidément prêt à donner de sa personne pour ramasser les voix une à une. Le Gouverneur de l’Ohio avait obtenu 1,9% des voix dans l’Iowa, il est second dans le NH avec 15,7% des suffrages, loin devant Cruz (11,7%), Bush (11,0%) et Rubio (10,5%), un très bon résultat pour un candidat républicain modéré (davantage sur la forme que sur le fond) qui ne pesait en moyenne que 4% dans les sondages nationaux, et considéré, par certains en France, comme un dinosaure (7)…
Enfin, le New Hampshire, notamment en raison du poids des électeurs « indépendants », est l’un des swing states, c’est-à-dire un Etat susceptible de basculer côté républicain ou côté démocrate selon les circonstances et la personnalité des candidats, l’un des Etats qui fait donc la décision finale puisque, comme ailleurs, celui qui obtiendra la majorité des suffrages le 8 novembre, gagnera l’ensemble des délégués qui élisent ensuite le Président. Les résultats des primaires sont donc vus comme un indicateur des résultats à attendre dans d’autres swing states. Bien qu’ayant voté Obama tant en 2008 qu’en 2012, le New Hampshire peut voter républicain bien qu’étant légèrement plus démocrate que la moyenne de l’Union. En 2000, il fût le seul Etat de la Nouvelle Angleterre à voter GW Bush.
Le statut des primaires du New Hampshire est l’objet de critiques venant généralement de démocrates en raison du fait que l’Etat n’est pas représentatif de la composition ethnique de l’Union, les minorités y étant cinq fois moins présentes que sur l’ensemble des Etats-Unis. Le recensement de 2010 indique en effet que 92% de la population est non-Hispanic White contre seulement 64% de la population des Etats Unis, une considération particulièrement importante pour les démocrates puisque les minorités votent largement, voire massivement, démocrate. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle la très nette victoire de Sanders sur Clinton (60,1%-38,2%) ne doit pas être surestimée puisque cette dernière, jusqu’à preuve du contraire, est considérée comme bénéficiant de l’appui massif des minorités au plan national, en particulier chez les African Americans, autrement dit les Noirs. New Hampshire is not South Carolina et Clinton mène là-bas de 30 points en moyenne. Pour Bernie, le plus dur commence…
(1) « L’Iowa ramasse du maïs, le New Hampshire choisit les Présidents »
(2) William Mayer : “The Making of the Presidential Candidates” (Rowman and Littlefield, 2008)”
(3) La primaire n’est pas non plus complètement ouverte car un électeur affilié à un parti ne peut pas choisir d’aller voter à la primaire du parti opposé. Dans le New Hampshire, une fois qu’un électeur a participé à la primaire d’un parti, il est automatiquement enregistré comme affilié à ce parti pour la prochaine élection. Mais on peut redevenir électeur non affilié dès la sortie du bureau de vote en signant un papier à cet effet...
(4) Il y a un peu plus d’électeurs enregistrés comme démocrates que républicains sur l’ensemble des Etats Unis. C’est l’inverse dans le New Hampshire. On reviendra dans un autre billet sur cette notion quelque peu mythique d’électeurs indépendants.
(5) La date des primaires a été avancé dans d’autres Etats afin de gagner de l’influence et minorer celle du New Hampshire mais The Granite State a à chaque fois avancé la date de la sienne. En conséquence, alors qu’elle se déroulait jusqu’en 1968 le 2ème mardi de mars, elle se déroule désormais le 2ème mardi de février.
(6) Depuis 1960, la tradition veut qu’à Dixville Notch, l’on vote en premier, à minuit. Sur 12 habitants, 9 étaient enregistrés. Sanders l’a emporté avec 4 voix contre 0 à Clinton, tandis que côté républicain, Kasich l’a emporté avec 3 voix contre 2 à Trump. Deux autres petits villages en ont fait autant cette année.
(7) Thomas Cantaloube a usé de cette expression pour le décrire, ainsi que les deux autres gouverneurs ou ex-gouverneurs, Christie et Bush : https://www.mediapart.fr/journal/international/080216/etats-unis-le-crepuscule-des-dinosaures-republicains