Billet de blog 15 février 2016

Sycophante

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Délégués à la convention démocrate : Hillary : 394, Bernie : 44 !...

Vous pensiez qu’après avoir fait jeu égal avec Clinton aux caucus de l’Iowa et l’avoir sévèrement battue à la primaire du New Hamsphire, Bernie Sanders avait pris un peu d’avance dans le décompte des délégués qui désigneront le candidat démocrate lors de la convention du parti qui se tiendra les 25-28 juillet prochain à Philadelphie ? Et bien, pas du tout, et voici pourquoi….

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Certes, après avoir remporté 21 délégués aux caucus de l’Iowa contre 23 pour Clinton, son très net succès dans le New Hampshire a rapporté 15 délégués à Bernie contre 9 à Hillary, de sorte que son total est de 36  délégués acquis contre 32 pour Hillary, et qu’il la devance donc au nombre de délégués acquis jusqu’à présent, ceux-ci étant répartis à la proportionnelle dans chaque Etat.

Mais Hillary a pourtant 350 délégués d’avance comme on peut le voir sur ce récapitulatif du New York Times, une avance très significative puisque celui qui atteindra 2 382 délégués emportera la nomination du parti démocrate. Par quel miracle ?  Parce qu’à côté des délégués acquis lors des caucus et des primaires (soit 3 636 délégués au total), l’establishment du parti démocrate désigne directement 712 superdélégués, soit 16,3% du total (1), et que sur ces 712 superdélégués, Clinton mène 362 à 8, le solde ne s’étant pas encore prononcé. Un autre décompte, disponible sur Wikipédia donne un avantage plus important encore pour Clinton qui bénéficierait du soutien de 420 superdéléguués contre seulement 14 pour Sanders :

http://www.nytimes.com/interactive/2016/us/elections/primary-calendar-and-results.html?_r=1

https://en.wikipedia.org/wiki/Democratic_Party_presidential_primaries,_2016#Superdelegate_endorsements

On peut remarquer que Sanders démarre avec un handicap trois ou quatre fois plus important que celui d’Obama contre Clinton en 2008. Au moment où les primaires du New Hampshire ont eu lieu, le 8 janvier 2008, Clinton disposait en effet de 154 superdélégués, contre seulement 50 à Obama.

Ces superdélégués sont statutairement les principaux élus démocrates (Governors, représentants au Congrès et sénateurs) une vingtaine de distinguished party leaders (les anciens présidents et vice-présidents, les anciens nominés du parti non élus comme Walter Mondale par exemple),  et plus de 400 autres membres du comité national du parti démocrate, c’est-à-dire l’establishment du parti démocrate. Et comme le montre les chiffres qui précèdent, cet establishment est massivement acquis à Clinton…

Contrairement aux autres délégués qui doivent à la convention du parti qui désigne le candidat impérativement voter pour le candidat qu’ils représentent, les superdélégués ne sont tenus par aucun mandat, peuvent voter pour qui ils veulent et changer d’avis si bon leur semble durant la campagne des primaires, ou lors de la convention du parti si le candidat n’est pas désigné lors du premier tour de scrutin. C’est d’ailleurs ce qui s’est passé en 2008 : au début du mois de mai, Obama avait rejoint Clinton en nombre de superdélégués, puis l’a dépassée, et des dizaines de superdélégués ont changé de camp début juin après que la dernière primaire, celle de Californie, eut lieu et que la victoire d’Obama était acquise comme le montre le graphique ci-dessous ou l’on voit le nombre de superdélégués de Clinton baisser à la fin :

Au moment de la convention du parti, Obama disposait ainsi de deux fois plus de superdélégués que Clinton. Néanmoins, la proportion de superdélégués ayant changé de camp est relativement faible, mais si elle a beaucoup contribué à l’avantage final d’Obama.

Tout ceci n’est évidemment pas une bonne nouvelle pour Bernie Sandres car on peut difficilement tenir pour acquis qu’une proportion importante de superdélégués changera d’avis en sa faveur même s’il devait mener au nombre de délégués obligés de voter, les pledged delegates acquis lors des caucus et des primaires et qu’il part avec un handicap beaucoup plus important qu’Obama en 2008.

Un calcul élémentaire montre qu’un candidat qui ne dispose d’aucun superdélégué doit obtenir 58,6% des pledged delegates pour emporter la nomination du parti, 55% s’il obtient 20% des superdelégués et 52,5% s’il a le soutien de 36% des superdélégués. Comme les pledged delegates sont répartis, dans chaque Etat, à la proportionnelle du résultat du vote populaire, ces pourcentages sont ceux que Bernie devrait attendre selon l’ampleur du soutien (ou plutôt de l’absence de soutien) qu’il obtiendra parmi les superdélégués. La tâche de Bernie qui fait face à l‘hostilité manifeste de l’establishment du parti, même si 40% des superdélégués n’ont pas encore pris position, s’annonce donc considérable…

A quoi sert ce système ?

A ce que la nomination du parti ne tombe entre les mains de n’importe qui du fait du suffrage universel, en l’espèce à empêcher un adhérent récent comme Sanders (il a rejoint le parti démocrate l’année dernière) qui a 74 ans et qui se dit en plus socialist ne vienne compromettre l’avenir du parti en allant se faire laminer lors de l’élection de novembre par le candidat républicain..

Ce système résulte des réformes du parti adoptées à la suite de la sélection de Mc Govern en 1972 qui, comme Sanders, était le candidat le plus à gauche du parti et qui après avoir obtenu la nomination se fit laminer par Nixon, candidat à sa réélection. Mc Govern ne remporta que 37% des voix et ne l’emporta que dans l’Etat du Massachussetts et le district de Columbia. Nixon gagna partout ailleurs, comme on peut le voir sur cette carte représentant chaque countie (en rouge: Nixon, en bleu : Mc Govern)

Après ce naufrage, et quatre ans plus tard la nomination de Carter qui déplaisait également à l’establishment du parti, puis la défaite de ce dernier en 1980 face à Reagan, le parti démocrate  amenda ses statuts à la suite des travaux de la Commission Hunt en 1982 créant les superdélégués qui représentaient en 1984 14% du total, un chiffre qui a donc augmenté depuis pour atteindre près de 20% du total.

Lors de la dernière élection dont la nomination fut disputée, c’est-à-dire 2008, il y eut, côté Obama, des craintes  d’emporter une majorité du vote populaire lors des primaires sans pouvoir emporter la nomination pour autant. Finalement rien de tel ne survint.

Il est clair que si le parti démocrate devait choisir Clinton alors que Sanders aurait emporté une majorité du vote populaire, ceci conduirait à une crise profonde et, très probablement à la défaite de Clinton en novembre.

L’establishment du parti démocrate le sait, et s’abstiendrait probablement de provoquer pareille situation, sauf si le résultat des primaires et des caucus entre les deux concurrents donnait un résultat serré et contestable, par exemple si la majorité du vote populaire désigne l’un, mais que le nombre des pledged delegates de l’autre est néanmoins plus important. C’est aussi pour cela que l’establishment du parti utilise d’autres moyens, comme l’ont montré les résultats des caucus de l’Iowa, officiellement remportés par Clinton, mais sans que le total des votes populaires ne soit rendu public (Sanders n’a d’ailleurs pas reconnu sa « défaite ») ou en apportant un soutien public appuyé à cette dernière, ce que font une grande partie des dirigeants démocrates...

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(1)    En réalité, pour des raisons complexes liées à certaines dispositions des statuts du parti, le poids des superdélégués est plus important encore et représentait 19,6% du total des votes à la convention de 2008.

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