Billet de blog 17 mars 2016

Sycophante

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State of the race after March 15th…

Le deuxième Super Tuesday de mardi dernier marque traditionnellement la fin de la quinzaine la plus intense des primaires pour les deux partis. A ce stade, 30 Etats ont voté et près de la moitié des délégués ont été alloués lors des différents primaires et caucus, et l’on connait normalement les noms des probables futurs nominees. Mais chez les Républicains, la situation est plus aléatoire...

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Hillary Clinton et Donald Trump sont sortis confortés de ce deuxième Super Tuesday qu’ils ont dominé comme ils l’avaient fait lors du premier. Cinq Etats étaient en jeu, par ordre d’importance en nombre de pledged delegates  : Floride, Ohio, Caroline du Nord, Illinois et Missouri (1).

Les résultats du Missouri étant devenus quasi-définitifs, Clinton gagne dans les 5 Etats en jeu hier. Si Bernie avait gagné de 0.2 point au lieu de perdre de 0.2 point, cela n’aurait rien changé, tous les  délégués démocrates étant attribués à la proportionnelle (par circonscription législative). D’ailleurs, Bernie et Hillary remportent tous les deux 34 délégués. Et Bernie n’a remporté que trois délégués de moins dans l’Illinois (73 vs 70) alors qu’il perd l’Etat d’où est issu Obama de 1,8 point. Mais Hillary a gagné très facilement dans les trois autres Etats, y compris dans l'Ohio où Bernie espérait, sinon gagner, du moins réduire l'écart après sa victoire surprise dans le Michigan. Au total, Hillary a accru hier son avance en nombre de délégués de 103 unités exactement, dont 73 pour la seule Floride où elle a écrasé Bernie : 64,5% des voix contre 33,3%

Etant donné cette avance accrue (qui passe de 206 à 309 pledged delegates), il faudrait qu'en moyenne, sur les Etats devant encore voter, Bernie l'emporte de 16 points (58%-42%) pour atteindre la majorité des pledged delegates, ce qui est évidemment très improbable, même si ces  Etats ont des caractéristiques politiques et sociologiques qui lui sont  plus favorables que ceux qui se sont déjà prononcés. Il faudrait donc un changement absolument majeur dans la dynamique de campagne alors qu'Hillary domine les sondages nationaux de 10 à 14 points en moyenne comme on peut le voir sur le graphique ci-dessous. Sauf catastrophe (une éventuelle mais improbable  mise en accusation à la suite de l’enquête en cours du FBI sur son serveur informatique ou une autre révélation dévastatrice),  la nomination ne peut plus échapper à Clinton.

Source : FiveThirtyEight.com

Côté Républicain, ce fût également une très bonne soirée pour Trump (les résultats du Missouri ne sont pas encore officiels et seuls 30 délégués sur 52 ont été alloués, un recomptage est en cours sur deux counties), même s’il a perdu dans l’Ohio contre le Governor Kasich qui a manifestement bénéficié du vote d’électeurs de Rubio que ce dernier avait quasiment appelé à voter pour Kasich afin de barrer la route du Donald puisque Rubio termine à moins de 3% dans l’Etat. Kasich l’a emporté avec  48,6% des voix contre 35,6% à Trump, soit une marge nettement supérieure à celle que reflétait la moyenne des sondages.

Mais, à la différence des Démocrates, tous les délégués républicains ont été attribués mardi à celui qui arrivait en tête (Ohio et Floride) ou bien, au terme d’un mode de scrutin qui revient presque au même quand les voix d’un candidat sont réparties à peu près uniformément au sein de l’Etat, ce qui est le cas de Trump bien davantage que ses concurrents (2) comme on peut le voir sur cette carte des résultats du Missouri  où le vote Cruz est bien davantage concentré géographiquement que celui de Trump alors que les deux candidats ont obtenu presque le même résultat au niveau de l’ensemble de l’Etat.

Source : New York Times

La seule exception était  la Caroline du Nord où les délégués étaient attribués à la proportionnelle.  Le résultat fût que, même en gagnant de très peu comme dans le Missouri (0,2 point, comme Clinton) ou de relativement peu comme dans l’Illinois (8,5 point), Trump a néanmoins raflé (Illinois, Floride), ou est en passe de le faire (Missouri) la totalité ou la quasi-totalité des délégués des 3 autres Etats en jeu, et, compte tenu du fait qu’il a également gagné en Caroline du Nord, a finalement réussi à atteindre peu ou prou son objectif de la journée, même en perdant dans l’Ohio où Kasich remporte les 66 délégués (3). En moyenne dans ces 5 Etats, Trump a remporté 40,2% des voix, contre 34,6% dans les Etats disputés auparavant. Certes, la concurrence de Cruz et de Rubio était potentiellement moindre dans la plupart de ces Etats, mais le fait est que Trump remporte de plus en plus de voix. Que Carson, alors qu’il était positionné très à droite et donc en concurrence avec Cruz, se soit rallié à Trump a sans doute joué un rôle en ce sens.  

La perte de l’Ohio a conduit la plus grande partie de la presse à écrire que le jeu demeurait ouvert, ce qui est exact, mais également à écrire que cet échec  diminuait les chances de Trump d’atteindre la barre fatidique des 1 237 délégués. Or cela est douteux et par ailleurs contradictoire avec ce qu’ont jusqu’ici prétendu ses autres concurrents qui ont plaidé pour une unité de candidature pour contrer le Donald. Le fait est que Trump s’est en réalité rapproché un peu plus de la nomination tandis que Rubio, humilié par le magnat chez lui en Floride en étant relégué à 18 points derrière  et battu dans tout l’Etat, sauf à Miami comme on peut le voir sur cette carte, a été contraint de jeter l’éponge.

Source : New York Times

Note : pour avoir les résultats de chaque countie ou d’autres informations pertinentes, cliquer ici : http://www.nytimes.com/elections/results/florida

En effet, ayant gagné dans son Etat, Kasich reste dans la course. Celle-ci va donc continuer à trois, ce qui est très probablement plus favorable à Trump que si Kasich avait été battu et contraint d’abandonner lui aussi car, selon les sondages sortis des urnes, 75 à 80% des électeurs de Kasich préfèrent Cruz à Trump. La victoire de Kasich, compensée par Trump dans les autres Etats, est donc  en définitive sans doute une bonne nouvelle pour celui-ci qui a pleinement bénéficié jusqu’ici de la division de ses adversaires et donc de l’éparpillement des voix de tous les Républicains qui préfèrent un autre candidat, c’est-à-dire la majorité d’entre eux.

Si les leaders républicains ont été quelque peu rassurés par la victoire de Kasich comme écrit dans l’article publié hier par Mediapart (4) (ce dont je doute), ils vont rapidement déchanter. Jusqu’ici, ils se sont surtout caractérisés par leur nullité politique ne parvenant pas à choisir d’emblée leur candidat, se partageant entre Bush et Rubio, et ont à chaque fois misé sur le mauvais cheval pour finir, à l’instar de Romney, par conseiller aux électeurs républicains de voter pour celui qui localement apparaitrait le mieux placé pour battre Trump. Mais le mot d’ordre  NeverTrump  apparait surtout avoir profité au Donald.  

Le fait que cette pluralité de candidatures perdure va d’autant plus jouer à l’avantage de Trump que  si jusqu’au 12 mars, seuls 5% des délégués républicains ont été alloués selon la règle suivant laquelle  le vainqueur du vote populaire rafle tous les délégués de l’Etat  ou presque (winner takes all ou  winner takes most (2)), désormais 64% des délégués restant à alloués vont ainsi l’être. Trump peut dès lors gagner l’ensemble des délégués de certains Etats avec seulement une voix d’avance sur Cruz, sans avoir à remporter la majorité absolue des voix, ce qu’il n’est jusqu’ici parvenu à faire dans aucun Etat. Il a jusqu’ici gagné 47% des délégués en jeu. Pour atteindre les 1 237 délégués, il lui faut remporter 54% de ceux demeurant à allouer, ce qui apparait à sa portée compte tenu de ces changements dans les modes de scrutin à compter du 15 mars.

On peut enfin se demander quel  jeu joue réellement Kasich.

La convention républicaine aura lieu en juillet à Cleveland, chez lui. Officiellement, Kasich se maintient pour empêcher Trump d’atteindre les 1 237 délégués mais il ne peut guère le gêner dans Etats du Nord-Est comme la Pennsylvanie, le New Jersey ou l’Etat de New York ou il arrivera au mieux deuxième derrière Trump. Mais il peut et va certainement aussi gêner Cruz dans les Etats de l’Ouest et permettre à Trump de l’emporter là-bas, ce qui peut rapporter à Trump bien davantage que la perte des 66 délégués de l’Ohio (5). Kasich raconte qu’il peut être nominé si Trump n’atteint pas les 1 237 délégués au premier tour du scrutin à Cleveland, en étant ensuite le candidat de compromis quand les délégués deviendront libres de leur vote dans les tours de scrutin suivants. Mais tant Trump que Cruz ont indiqué qu’il ne saurait être question que Kasich rafle le gros lot alors qu’il n’a que quelques dizaines de délégués et qu’il n’aurait remporté qu’un seul Etat, le sien.

On peut aussi remarquer que Kasich s’est pratiquement abstenu de s’en prendre directement à Trump, comme c’était le cas de Christie et Carson qui se sont, depuis, ralliés à lui. L’Ohio est le swing state le plus important en novembre (avec la Floride) et aucun républicain n’a jamais réussi à se faire élire sans remporter l’Ohio.

Il me parait surtout très douteux que Kasich refuse d’être vice-président si  Trump (ou Cruz) le lui propose. Le maintien dans la course de Kasich est simplement la preuve du fait qu’il cherche à monnayer ses voix le plus cher possible, et en attendant, nuit probablement davantage à Cruz qu’à Trump. Le dernier candidat encore en piste de l’Establishment est donc en train, en réalité, de favoriser la victoire finale du Donald...

Contrairement à l’analyse dominante, il est donc en réalité sans doute devenu plus probable –et non l’inverse- que le Donald réussira à atteindre le seuil fatidique des 1 237 délégués lui garantissant l’investiture du fait de la perte de l’Ohio.

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(1) Il s’agit ici du classement par nombre de délégués républicains. Les Démocrates attribuent eux davantage de délégués à l’Illinois qu’à la Caroline du Nord.

(2) Une partie des délégués est attribuée en totalité à celui qui arrive en tête, les autres délégués sont attribués à celui qui arrive en tête dans une circonscription législative donnée. Dans le cas du Misssouri, Trump a gagné dans 5 circonscriptions, Cruz dans une, chacune valant 5 délégués. Trump a donc remporté 25 délégués et Cruz 5. L’écart des voix (0,2% dans l’Etat) étant inférieur à 0,5%, la loi locale prévoit un recomptage. L’écart est très faible dans 2 circonscriptions ou Trump est arrivé en tête. Si le recomptage confirme son avance, Trump récupérera 10 délégués de plus et si son avance au niveau de l’Etat dans son ensemble est confirmé, récupérera les 12 délégués attribués à celui qui remporte l’Etat. Bien qu’ayant un peu plus de 1 000 voix d’avance seulement, Trump remportera alors 47 délégués contre seulement 5 à Cruz. Ce système est qualifié de winner takes most. A noter que côté républicain, les règles sont fixées, au niveau de chaque Etat, par la direction locale du Parti Républicain.

(3) Dans la journée du 15 au matin, Trump avait également remporté les 9 délégués attribués par les Iles Marianne lors d’un caucus.

(4) L’article de Mediapart est ici : https://www.mediapart.fr/journal/international/160316/primaires-us-clinton-et-trump-confortent-leur-avance

(5) Rien qu’en Californie, 172 délégués sont attribués selon la règle winner takes most.

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