Billet de blog 22 février 2016

Sycophante

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Bernie’s biggest problem : Black mamas…

Vous pensiez qu’ayant le programme le plus progressiste, le plus favorable aux plus défavorisés, Bernie Sanders devraient logiquement bénéficier d’un fort soutien vis-à-vis de sa concurrente Hillary Clinton parmi les African-Américans qui seraient les premiers bénéficiaires de son programme social ? Et bien, pas du tout, et voici pourquoi…

Sycophante

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Si les électeurs des 47 autres Etats n‘ayant pas encore connu de caucus ou de primaire devaient voter selon les mêmes lignes de partage que dans l’Iowa, le New Hampshire et la Caroline du Sud, Clinton emporterait une majorité de delegates et assurerait sa nomination par la convention du parti démocrate fin juillet. L’avance qu’elle aurait alors sur Bernie proviendrait presque exclusivement du fait que les Noirs l’auraient massivement soutenue lors des primaries

Bernie et Clinton font actuellement à peu près jeu égal dans l’électorat blanc et dans l’électorat latino (un léger avantage pour Bernie au sein du premier, un léger avantage  pour Hillary chez les latinos). Là, ou Hillary fait la différence, c’est au sein de l’électorat Noir. Au plan national, la différence entre les deux candidats en termes d’intentions de votes se réduit sans cesse et est relativement faible, de l’ordre de 5 à 10 points (1), et cette différence provient du différentiel des intentions de vote des Noirs et se concentre géographiquement là ou se dérouleront les prochaines primaires, le 27 en Caroline du Sud, et dans la plupart des onze Etats qui voteront simultanément lors du Super Tuesday le 1er mars puisque les autres Etats de l’ancienne confédération sudiste voteront tous ce jour-là.

Les Noirs ne représentent qu’environ 11% de l’électorat américains mais, votant presque tous démocrates, ils représentent un peu moins de 20% des électeurs potentiels aux primaires démocrates (19% lors des primaires de 2008). Et dans les Etats du Sud, ce pourcentage est très supérieur : en Caroline du Sud, ils ont représenté 55% des votants à la primaire démocrate de 2008, la dernière à avoir été disputée (Obama était sans rival démocrate en 2012). Dans beaucoup d’Etats du Sud, ils représentent 30 à 50% de l’électorat démocrate. C’est là, et à ce stade de la course qu’Obama avait fait la différence contre Clinton et avait vogué sur la vague de succès obtenus lors du Super Tuesday. Un candidat démocrate ne peut pas remporter la nomination contre l’opposition des Noirs, ou sans leur soutien.

C’est là que Clinton doit en principe faire la différence à son tour.

Le résultat de la primaire démocrate en Caroline du Sud le 27 février permettra presque certainement de répondre à la question compte tenu du poids de l’électorat Black. Et les choses ne se présentent pas bien pour Bernie : dans la moyenne des sondages établie par Real Clear Politics (RCP), il est mené de 24 points (33,3% des voix contre 57,2% à Clinton), celle du Huffington Post Pollster (HPP) utilisant la même formule très frustre (les moyennes de sondages de RCP et du HPP étant des moyennes non pondérées sur 7 jours), lui donne 25 points de retard.

Bernie ne cesse de rattraper son retard en Caroline du Nord, mais au rythme lent auquel il le comble, le plus probable est qu’il y ait une différence d’au moins 20 points à l’arrivée le 27. Celle, calculée par 538 animé par Nate Silver pondère et corrige les résultats publiés par les différents sondeurs en fonction de leur track record passé et de l’ancienneté du sondage, donne un avantage plus important encore à Clinton, 25,5 points (57,6% contre 27,1%) :

http://projects.fivethirtyeight.com/election-2016/primary-forecast/south-carolina-democratic/

Ces sondages sont incompatibles avec l’idée que Bernie obtiendrait un résultat ne serait-ce que passable chez les Noirs.  

En Iowa et dans le New Hampshire, les Noirs représentaient à peine 2% de l’électorat démocrate, deux Etats blancs à plus de 90%. Les résultats des caucus du Nevada remportés par Clinton avec 5,5 points d’avance (52,7% vs 47,2%) sont instructifs. Il s’agissait du premier Etat ou les minorities représentaient plus que quelques pour cents de l’électorat démocrate, 41% en l’espèce. Le Nevada est donc beaucoup plus représentatif de l’électorat démocrate national que celui des deux premiers Etats.

La bonne nouvelle pour Bernie est qu’il semble avoir fait à peu près jeu égal avec Clinton chez les latinos dans le Nevada.

Ceux-ci représententaujourd’hui 17% de l’électorat  dans le Nevada (contre 15% parmi les participants aux caucus de 2008). Les latinos sont plus nombreux que les Noirs au Nevada (13% des participants au caucus cette année) et plus généralement dans le corps électoral sur l’ensemble de l’Union. C’est ce que dit le sondage sorties des urnes (ou plutôt entrée des urnes)  en tout cas. Si tel est le cas (ce dont on peut douter –Cf. Infra), il est certains en revanche qu’il a largement comblé son retard initial.  

Il y a quelques mois, Hillary avait un avantage de 2 contre 1 parmi les Hispaniques au plan national. En décembre et janvier, elle menait encore de 20 points chez les latinos. Après les caucus de l’Iowa ou Bernie crée la surprise en faisant jeu égal avec Clinton, elle a perdu l‘essentiel de son avance au cours des deux dernières semaines et ne menait plus que de 3 points (46% vs 43%). 

 Un sondage entrée des urnes donne 53% à Bernie contre 45% pour Clinton mais les résultats par counties ne confirment pas un avantage de ce dernier, Clinton ayant gagné dans les quartiers latinos de Las Vegas. Faire jeu égal avec Clinton chez les latinos n’est pas un résultat négligeable à la fois compte tenu du fait qu’il partait de loin (et peut continuer à progresser) et du fait qu’en 1988, Clinton avait raflé 64% des votes latinos dans le Nevada, contre 24% seulement à Obama. Bernie fait donc deux fois mieux qu’Obama et devrait donc être compétitif dans l’Arizona, le Colorado, la Floride et le Texas qui votent en mars. 

La mauvaise nouvelle pour lui est que c’est une histoire toute différente chez les Noirs.

Selon le même sondage entrées des urnes, Hillary aurait emporté dans le Nevada 76% des votes African Americans contre 22% à Bernie, un différentiel de plus de 50 points, très proche de celui de la moyenne des sondages dans le Nevada juste avant le vote. A titre de comparaison, Obama avait remporté 84% des voix des Noirs au Nevada dans les caucus  de l’Etat en 1988, contre 14% à Clinton. Bien que ne représentant que 13% de ceux qui se sont rendus aux caucus démocrate du Nevada, ce sont leurs votes qui expliquent l’avance finale de Clinton.

La situation est la même au plan national : Clinton est crédité de 70% chez les Noirs contre 18% à Bernie, un écart comparable à celui du Nevada. L’essentiel de l’avantage d’Obama sur Clinton en 2008 s’est donc transféré sur cette dernière aujourd’hui face à Bernie et l’avantage dont elle jouit chez les Noirs ne diminue pratiquement pas, comme on vient d’en avoir une première confirmation concrète avec les caucus du Nevada.

La situation de Clinton est d’autant plus confortable qu’après la Caroline du Sud (qui ne peut plus lui échapper), 63% des délégués restant à distribuer le seront dans des Etats ou le pourcentage de Noirs est supérieur à celui du Nevada et 35% des délégués le seront dans des Etats ou la proportion de Noirs est au moins deux fois supérieure à celle de Nevada.

Pourquoi Bernie est-il aussi faible dans l’électorat Noir ? Et pourquoi ne progresse-t-il pas alors qu’il progresse dans tous les autres segments du corps électoral ?

Le fort soutien dont bénéficiait initialement Clinton s’explique largement par le fait que Bill était le premier président blanc à être aussi populaire chez les Noirs. Il a réussi à obtenir près de 85% de leurs voix lors des élections de 1992 et 1996 et continue à bénéficier d’une aura indéniable. Les Noirs américains se sont d’autant plus facilement reportés sur Hillary qu’elle fut associée aux campagnes de ce dernier et qu’elle a su maintenir le réseau de soutiens dans tout l’Establishment noir, dont les membres et les organisations les plus connus la soutienne. Sanders a obtenu quelques soutiens, mais de moindre importance. Juste après sa victoire dans le New Hamsphire, il est allé rendre visite à Al Sharpton, ancienne figure du combat pour les droits civiques, comme l’avait fait Obama au même moment, huit ans avant et a été reçu poliment chez Jolia’s mais sans être ressorti avec un endorsment pour autant.

L’équipe de Bernie, et Bernie lui-même, ont également commis des maladresses : interrogés sur ce faible soutien parmi les Noirs, ils ont par exemple expliqué que cela allait changer une fois qu’ils auront compris ou est leur intérêt. Ce genre de propos suggérant que les Noirs étaient peut être plus lents à comprendre où est leur intérêt est particulièrement mal perçu, surtout lorsqu’il émane d’un blanc, et les types de la campagne Clinton ne se sont pas privés de l’exploiter. Dans le même registre, interrogé par un groupe de la communauté noire lors d’un  meeting, l’une a pris la parole pour demander à Bernie ce qu’il proposait pour la communauté, Bernie a d’abord répondu en faisant état d’une promesse qui valait pour tous, puis s’est trouvé démuni lorsqu’on lui a reposé la question en lui faisant remarqué qu’il avait répondu à côté la première fois. Il semble ne pas avoir de projets qui les concerneraient au premier chef. Bernie ne veut pas non plus semble-t-il laisser paraitre qu’il tente de forger une coalition, à caractère notamment ethnique (2). Autre maladresse immédiatement exploitée par Clinton : lors de leur dernier débat TV il y a dix jours, Bernie a suggéré qu’il serait meilleur qu’Obama pour améliorer les relations raciales aux Etats Unis (3). Lors du même débat il a émis en substance une réponse tendant à laisser penser que les relatons raciales s’amélioreraient lorsque les jeunes noirs arrêteraient de trainer aux pieds des immeubles et mènerait une vie productive (4). Des maladresses problématiques..

On ne peut pas dire que l’équipe de Bernie n’essaie pas de rallier les Noirs en mettant en avant les principales promesses du candidat qui concernent davantage les Noirs que les autres, en particulier un salaire minimum à 15$ (Clinton a fini par proposer 12 $), une réforme radicale du système judiciaire (un nouveau né noir sur quatre risque d’aller au moins une fois en prison au cours de sa vie), la fin de l’impunité pour les policiers racistes, l’assurance santé universelle garantie par l’Etat (40% des bénéficiaires de l’Obamacare sont Noirs) ou encore en produisant des clips TV remarqués et remarquables come celui-ci (en version de 4 minutes):

https://www.youtube.com/watch?v=Syln8IkOIqc&feature=youtu.be (5)

Mais de fait, cela ne semble pas prendre, ou peu prendre, jusqu’ici, sauf chez les jeunes noirs au college mais ils sont peu nombreux.

L’explication qui me parait la plus convaincante est liée à la stratégie politique de Bernie. Celui-ci se présente comme le candidat qui veut changer le système, prendre quelques orientations fortes, sinon radicales sur certains points, ce qui consiste en réalité en une critique en creux d’Obama, et conduit souvent Hillary dans les débats dans la position d’être celle qui défend le bilan d’Obama (et qui attaque Bernie en prétendant qu’il s’y opposerait, ce qui est faux). Simplement, il y a un énorme problème avec cette stratégie politique : non seulement la très grande majorité des démocrates continuent à approuver l’action d’Obama mais c’est le cas de 90% des Noirs, lesquels soutiennent donc toujours massivement Obama, considèrent positivement ou très positivement son action, et sont pour la plupart fondamentalement fiers que l‘un d’entre eux ait pu entrer à la Maison Blanche. Passer pour un opposant à Obama, ou même un soutien tiède (comme c’est le cas de Bernie) est un handicap irrémédiable chez les Noirs américains. Une large parte d’entre eux n’ira pas plus loin et votera Clinton, sans hésitation. Une part de cela peut sans doute être corrigé, mais l’essentiel du handicap demeurera, probablement. On verra ce qu’il en est le 27 en Caroline du Sud...

Black mamas don’t feel the Bern…

Les plus sceptiques à l’égard de Sanders en comparaison avec Clinton sont les blacks mamas. Ce sont elles, pour lesquelles la vie est la plus difficile, élevant seules leurs enfants, deux fois sur trois, devant tenir le budget mensuel qui sont les plus influentes. Elles ne sont pas prêtes à lâcher la proie pour l’ombre au motif que Bernie, old white east coast liberal,  plait aux jeunes avec ses promesses. Les blacks mamas savent mieux que quiconque, et mieux que les pères, ce qu’elles ont à perdre si jamais, après leur Président, devait revenir un Républicain dont elles ne voient que trop qu’elles n’en ont rien à attendre de bon, tout au contraire. Il est normal qu’elles soutiennent Hillary qui parait mieux placer pour éviter un nouveau désastre républicain en novembre, et qui, de surcroît, comme elles, est une femme, ce qui est loin d’être négligeable.

Les blacks mamas tiennent le sort de la primaire démocrate entre leurs mains : Si elles ne se rallient pas dans une proportion conséquente à Bernie, Hillary gagnera presque à coup sûr.

En 2012, elles ont voté à 96% Obama, son niveau de soutien le plus élevé (et notablement plus que chez les hommes noirs puisque, au total, l’électorat noir a voté Obama à 93%). Plus remarquable, elles ont participé à hauteur de 67%, plus que n’importe quel autre groupe, ou segment, de l’électorat dans son ensemble. C’est leur participation qui a fait qu’en 2012, Obama a non seulement obtenu plus de voix noires qu’en 2008, mais que pour la première fois dans une élection présidentielle, la participation des Noirs a été supérieure à celles de Blancs non Hispaniques.

La première chose à faire quand on entend qu’elles votent pour vous consiste à présenter ses plus profonds respects au Président Obama et d’ajouter ensuite qu’il est un Great President. Ensuite de dire que l’on préservera tout ce qu’Obama leur a apporté et que l’on fera tout pour faire en sorte d’arriver à faire encore plus que lui, pour elles.

Surtout quand on comprend qu’elles ont de facto un droit de veto sur la candidature démocrate.

But that was not what Bernie said…

Et c’est cette erreur d’approche stratégique et ces maladresses qui risquent en définitive de coûter la nomination démocrate à Bernie. Celui-ci,  juif de Brooklyn, a passé la plus grande partie de sa vie dans le Vermont, un Etat sans Noirs ou presque. Il ne semble pas savoir comment leur parler et il ne semble pas non plus y avoir quelqu’un autour de lui qui le conseille à ce sujet…

C’est d’autant plus regrettable pour lui qu’il disposait de tous les atouts ayant pris une part active au combat pour les droits civiques, ayant assisté personnellement au discours I have a dream de Martin Luther King en 1964, alors que la jeune Hillary participait elle à la campagne du plus réactionnaire de tous les républicains ayant obtenu la nomination depuis la dernière guerre : Barry Goldwater et que quatre ans plus tard elle assistait encore à la convention….républicaine..…

*

***

(1) Trois moyennes de sondages au plan national, et leurs évolutions dans le temps, entre les deux démocrates, figurent ici ou là :

http://projects.fivethirtyeight.com/election-2016/national-primary-polls/democratic/

http://elections.huffingtonpost.com/pollster/2016-national-democratic-primary

http://www.realclearpolitics.com/epolls/2016/president/us/2016_democratic_presidential_nomination-3824.html

(2) Nul n’a besoin de le crier sur tous les toits… Mais Bernie est clairement opposé à l’idée de jouer le vote racial. En novembre 2014, voici ce qu’il disait à propos du soutien des Noirs envers Obama devant Steve Inskeep (NPR) : “What you got is an African-American president, and the African-American community is very, very proud that this country has overcome racism and voted for him for president. And that’s kind of natural…. But that’s not important. You should not be basing your politics based on your color. What you should be basing your politics on is, how is your family doing? “ Sanders may find out the hard way that African-American voters don’t enjoy being instructed as to what they should base their politics on….

http://www.thenation.com/article/bernie-sanders-has-an-obama-problem/

(3)  After noting that “relations between the races” hadn’t gotten better under Obama, Judy Woodruff (I.e. le journaliste) asked him: “So race relations would be better under a Sanders presidency than they’ve been?” And he answered, “Absolutely.”

(4) Là encore, Bernie ne l’a pas fait exprès mais il dit ceci, en réponse à la question « comment améliorer les relations raciales ? » : « What we will do is say, instead of giving tax breaks to billionaires, we are going to create millions of jobs for low-income kids so they’re not hanging out on street corners. We’re going to make sure that those kids stay in school or are able to get a college education. And I think when you give low-income kids, African Americans, white, Latino kids the opportunities to get their lives together, they are not going to end up in jail. They’re going to end up in the productive economy, which is where we want them.”.

(5) Un article au sujet de cette vidéo remarquable : http://www.realclearpolitics.com/articles/2016/02/11/sanders_competes_for_black_votes_in _new_ad_129648.html

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