L'US Census Bureau a publié le 14 septembre son rapport annuel "Revenu et Pauvreté aux Etats Unis : 2016" tandis que deux jours auparavant, l'INSEE a rendu publique une note sur "Les niveaux de vie en 2015".
Les chiffres du rapport américain sont donc plus récents puisqu'ils incluent ceux de l'année 2016 alors que l'INSEE n'est pas en mesure de donner de chiffres allant au delà de 2015, l'institut statistique français n'étant toujours pas capable, faute de moyens, de produire des chiffres plus récents. Par ailleurs, le document publié par l'US Census Bureau est son rapport annuel et est donc particulièrement complet, alors qu'il faudra attendre le printemps 2018 pour que l'INSEE soit en mesure de publier son rapport annuel France Portrait Social. Le document publié le 12 septembre n'est qu'une simple fiche. Ces deux documents figurent ci-dessous :
https://www.census.gov/content/dam/Census/library/publications/2017/demo/P60-259.pdf
https://www.insee.fr/fr/statistiques/3055008
A l'intérieur de l'UE le taux de pauvreté (ou "taux de pauvreté monétaire") est directement comparable d'un pays à un autre sans procéder à un redressement quelconque : par convention (même si on peut le calculer pour d'autres seuils). C'est la fraction de la population dont le niveau de vie est inférieur au seuil de pauvreté qui correspond à 60% du niveau de vie médian (1), ou à 60% du revenu médian, le revenu médian étant celui en deça duquel se trouve 50% de la population (et au delà duquel se trouve la moitié des habitants bénéficiant des revenus plus élevés). Aux Etats Unis, le seuil de pauvreté, bien que modifié chaque année, est absolu -et non relatif- de sorte que le taux de pauvreté n'est pas directement comparable avec ceux des membres de l'UE. Sous cette réserve essentielle, on peut néanmoins procéder à une comparaison, à tout le moins s'agissant des tendances.
Le rapport de l'US Census Bureau indique notamment que le taux de pauvreté aux Etats Unis a enregistré une baisse notable en 2016 par rapport à l'année précédente puisqu'il s'est établi en 2016 à 12.7% contre 13.5% en 2015. Il s'agit de la deuxième année consécutive de baisse : en 2014, ce taux était encore de 14.8%. Il a ainsi pratiquement retrouvé son niveau de 2007 (12.5%), dernière année avant le crise financière et la récession qui s'ensuivit. Le nombre de pauvres qui avait dépassé 45 millions a depuis diminué d'environ 5 millions comme on peut le voir dans les deux graphiques ci-dessous :

En France, comme indiqué, le taux de pauvreté de 2016 n'est pas encore connu mais la fiche de l'INSEE indique que le taux de pauvreté s’élève en 2015 à 14,2 % de la population, en hausse par rapport à celui de 2014 (14,0 %).
Chose étonnante, l'INSEE affirme dans cette note que "l'écart entre les chiffres [de 2014 et 2015] n’étant pas significatif d’un point de vue statistique, on ne peut néanmoins pas conclure à une hausse du taux de pauvreté en 2015", formule passablement alambiquée. Dans le chapô de cette note (qui est souvent la seule chose que les média lisent), l'INSEE croit pouvoir écrire sans aucun scrupule : "Le seuil de pauvreté monétaire, qui correspond à 60 % du niveau de vie médian de la population, s’établit à 1 015 euros mensuels. La pauvreté ainsi définie touche 14,2 % de la population, proportion stable par rapport à 2014". Une chose est de dire qu'une hausse n'est pas statistiquement significative, une autre d'affirmer qu'un taux est stable alors qu'il ne l'est pas. L'INSEE a donc adopté une formulation mensongère, bel exploit pour un organisme de statistiques publiques, indépendant en matière statistique. L'intention est surtout de mettre l'accent sur la bonne nouvelle comme le montre la deuxième partie de la phrase : "cependant, l’intensité de la pauvreté diminue" (2). Visiblement l'INSEE a préféré écrire cela dans son chapô plutôt que de dire que le nombre de personnes pauvres était passé de 8.732 millions à 8.875 millions, soit plus de 140 000 pauvres de plus en un an, augmentation qui est d'ailleurs peut être la raison pour laquelle l'intensité de la pauvreté a diminué (3) ...
Toujours est-il qu'en 2015, la pauvreté touchait donc 14.2% de la population tandis que la part des pauvres aux Etats Unis représentait alors 13.5% de la population, avant de connaitre une baisse significative en 2016. Alors que jusqu'en 2014, le taux de pauvreté aux Etats Unis était supérieur à celui prévalant en France, c'est désormais l'inverse....
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(1) Le niveau de vie est le revenu disponible du ménage divisé par le nombre d’unités de consommation. Les unités de consommation (UC) sont calculées selon l’échelle d’équivalence dite de l’OCDE modifiée, qui attribue 1 UC au premier adulte du ménage, 0,5 UC aux autres personnes de 14 ans ou plus et 0,3 UC aux enfants de moins de 14 ans. Le niveau de vie est donc le même pour toutes les personnes d’un même ménage. Le niveau de vie médian, qui partage la population en deux, est tel que la moitié des personnes disposent d’un niveau de vie inférieur et l’autre moitié d’un niveau de vie supérieur. En 2015, le niveau de vie médian en France est de 20 300 €. Le seuil de pauvreté est donc de 1 015 euros par mois.
(2) L'intensité de la pauvreté est l'indicateur qui permet d’apprécier à quel point le niveau de vie de la population pauvre est éloigné du seuil de pauvreté. L’Insee mesure cet indicateur comme l’écart relatif entre le niveau de vie médian de la population pauvre et le seuil de pauvreté. L'intensité de la pauvreté a effectivement légèrement baissé en France en 2015 par rapport à l'année précédente, le niveau de vie médian des pauvres étant passé de 807 à 815 euros par mois, soit un écart de 19.6% par rapport au seuil de pauvreté (contre 20.1% en 2014). Ces éléments ont suffi à l'INSEE pour écrire dans sa note : "Le fait notable de l’année 2015 est la diminution de l’intensité de la pauvreté : elle baisse de 0,5 point au seuil de 60 % et de 1,4 point au seuil de 50 %"...
(3) Si ces personnes qui se situaient au dessus de seuil de pauvreté en 2014 ont vu leurs revenus baisser mais qu'ils sont supérieurs au revenu médian de ceux qui étaient pauvres en 2014, alors leur entrée dans la pauvreté a augmenté le revenu médian des pauvres en 2015.