Utopie n° 10 Jean Louis MALYS - Secrétaire National de la CFDT
Ceux-là applaudissent à la mondialisation de l’économie. Ils prônent la libre circulation des capitaux et des biens. Ils nous jurent que les Etats, les normes et les régulations sont autant de boulets contre le progrès et la croissance. Hier à Séoul, aujourd’hui à Londres et demain à New York, leur monde ressemble à un centre d’affaires où, d’immeuble en immeuble, les contrats se font et se défont, les affaires vont et viennent. Leur ordinateur pour tout bagage et leur Gsm à l’oreille, par la grâce du web et des ondes, ils sont ici et ailleurs, reçoivent et donnent des ordres. Les seuls hommes et les quelques femmes qu’ils croisent sont leurs clones.A peine portent-ils un regard distant, parfois condescendant, pour ceux qui les servent dans de luxueux restaurants, ceux qui les transportent depuis les aéroports à leurs lieux de conférence, de continent en continent. Pour eux le monde est tout petit, à leur portée, à leur service, à leur botte.
Ailleurs, et pourtant dans le même monde, dans les villes, les banlieues, et les vallées, des femmes, des hommes, parfois des enfants recherchent le travail comme l’Eldorado, la porte du paradis. Travailler et gagner sa vie, subvenir à leurs besoins, à celui de leurs proches, se soigner, s’éduquer…vivre tout simplement. Mais le travail est capricieux. Il choisit ses bénéficiaires et ses exclus. Les uns étouffent parfois de cadences infernales, de rythmes imposés, de gestes contraints. Les autres sont condamnés à survivre, à tendre leur sébile ou à renoncer à vivre chez eux. Ils s’échappent de leur pays pour tenter de retrouver ce travail insaisissable et cannibale, sur un autre continent, au bout d’une route poussiéreuse, d’un terminal d’aéroport. Parfois ils se retrouvent au petit matin sur un quai.
Le quai est encombré. Des conteneurs du monde entier s’entassent, se déplacent, puis virevoltent pour se poser sur un navire ou sur le plateau d’un camion. Le douanier accompagné d’un homme en cravate s’assure que tout va bien et que les conteneurs peuvent voyager tranquillement. Mais entre deux conteneurs, une ombre bouge, s’arrête puis se recroqueville et tente de se dissoudre. Trop tard. La sirène du port hurle, une voiture de police fait crisser ses pneus. L’ombre se décompose : Trois hommes, une femme, deux enfants. Leur voyage s’arrête là.
Les conteneurs poursuivent leur voyage. Les hommes d’affaire sont heureux de vivre dans un monde libre et passionnant.
Dans les conteneurs-voyageurs se trouvent les biens et produits fabriqués par des millions de femmes et d’hommes qui rêvent que leur travail se fasse dans des conditions décentes, qu’il respecte leurs droits, leur humanité où qu’ils se trouvent.
Dans l’arrière salle des restaurants luxueux, des hommes et des femmes après leur journée de travail craignent de croiser le regard inquisiteur d’un représentant de l’ordre et des frontières.
Deux mondes voyagent, se croisent et s’ignorent entre les continents. Qui vit du désordre des autres ?