Utopie n°11 - Laurent Giovannoni, ancien secrétaire général de La Cimade.
Rêver d’une autre politique migratoire ? Et si le rêve - l’utopie - était que la France, l’Europe, les Etats n’aient plus besoin d’élaborer ni d’appliquer une politique migratoire ? Une politique d’immigration devenue tout simplement inutile ! Droits à la mobilité, à la libre circulation, à la libre installation : ces mots-concepts, ces mots slogans, on les ressasse depuis si longtemps qu’on les a installés tout en haut de nos espoirs, comme des sommets inatteignables qu’il fallait quand même tenter d’approcher, par une face ou par une autre.
Bien sûr, il faut y tendre, mais de là à penser que c’est une panacée … De tous temps, les hommes et les femmes quittent leurs terres, leurs pays, pour tenter une vie meilleure autre part, pour fuir un danger, pour chercher ailleurs un espoir qu’ils n’ont plus là où ils vivent. Cela a toujours été ainsi et donc cela continuera, dit-on. Et si l’utopie était que ça s’arrête ? Non pas parce qu’un formidable Etat policier aurait réussi à empêcher les gens de bouger, mais simplement parce que cela serait devenu inutile, parce que les hommes et les femmes n’auraient plus ce besoin vital de s’arracher de chez eux, de quitter leurs proches, n’auraient plus cette nécessité de s’exiler. Partir, c’est bien joli, mais qui part par plaisir, sinon les aventuriers ? L’origine de la migration, c’est principalement la souffrance, la misère, l’injustice, la violence auxquelles il faut échapper.
Viser cela, c’est viser bien autre chose qu’une question de « mouvements migratoires ». Utopie après utopie, la perspective d’une société et d’un monde libres et justes ont pris moult formes à travers les époques. Comme Sisyphe, il faut encore recommencer. Construire et inventer d’autres projets. Mais surtout, mais d’abord, renverser la hiérarchie des valeurs qui a construit le monde actuel, une hiérarchie qui vante domination, rentabilité, compétitivité, profits, croissance, alors qu’elle blesse la terre comme elle saigne les peuples.
Liberté, égalité, fraternité : ces mots inscrits sur les frontons des mairies ne sont pas morts, ils sont à peine nés. On peut y rajouter justice, humilité, équilibre, partage, harmonie et bien d’autres encore. L’hospitalité viendra de surcroit, parce qu’alors celui qui vient de loin ne sera plus perçu comme un conquérant, un profiteur ou un mendiant, mais comme un égal différent dont la rencontre est une joie. Soyons plus optimiste que Ferré : n’attendons pas 10 000 ans !
Laurent Giovannoni