Alors que les élections au Conseil fédéral se profilent, l’Union Démocratique du Centre (UDC) montre les dents et prévoit d’exclure de ses rangs tout membre qui se verrait élu en dehors de ses deux poulains, Christoph Blocher et Ueli Maurer, représentants de la ligne dure du parti.
La Suisse n’élit pas ses conseillers fédéraux au suffrage direct. Ce sont les parlementaires des chambres qui le font (Conseil national et Conseil des Etats). Renouvelés et confirmés chaque année, le choix et la répartition politique des postes au Conseil fédéral font l’objet d’un consensus connu en Suisse sous le nom de la « formule magique ». Cette dernière est toutefois mise à mal depuis quelques élections, polarisation des pratiques et des idées politiques oblige.
Décembre 2007. Christoph Blocher, tribun populiste du parti incarnant une droite conservatrice qui porte bien mal son nom (Union Démocratique du Centre…) et conseiller fédéral, est éjecté de son poste par une majorité de parlementaires. Il est remplacé par une autre membre de son parti jugée plus conforme à l’esprit de concordance. L’UDC fulmine, crie au complot, voire au « coup d’état » mais tout s’est déroulé dans les règles de l’art.
Décembre 2008. Samuel Schmid, second conseiller fédéral de l’UDC désavoué par son parti, fragilisé dans sa santé comme dans ses positions politiques, jette l’éponge : il ne se représentera pas. Les sections cantonales de l’UDC dressent des listes de papables. Celle de Zurich décide de proposer un seul ticket gagnant : Christoph Blocher. Au final, les stratèges du parti privilégient un double ticket. Ce sera Blocher-Maurer. Ueli Maurer, parlementaire, ancien chef de du parti, aux idées très proches de celles de Blocher diverge de ce dernier notamment par le style. Il a ainsi pu répéter dans les médias qu’il accorderait beaucoup plus d’importance que son colistier à l’esprit de concordance.
Cela ne semble toutefois pas suffisant pour de nombreux élus des deux chambres qui planifient d’autres scénarios. Les Verts présentent ainsi une candidature de combat. Les analystes ne semblent pas leur donner beaucoup de chance. C’est peut-être oublier un peu vite que parmi les députés écologistes, on trouve d’excellents stratèges. Ainsi, la candidature de Luc Recordon en décembre 2007 a passablement focalisé l’attention médiatique et a donné du champ libre aux parlementaires qui travaillaient sur un troisième scénario : l’élection d’Evelyne Widmer-Schlumpf. Le candidat écologiste avait retiré sa candidature et levé le rideau le jour même de l’élection…Les Ecolos sont certainement conscients que leur chance est quasi nulle malgré les déclarations d’intention de leur président Ueli Leuenberger qui confie au Temps d’aujourd’hui que leur heure est venue.
Cette année, l’UDC semble avoir resserré les boulons. Elle a d’ores et déjà annoncé qu’à l’exception de ses deux candidats officiels, tout membre de son parti qui se verrait élu et accepterait le verdict des urnes parlementaires se verrait automatiquement exclu. Ce type de raisonnement a peu fait l'objet d’analyses de la part des médias helvétiques. Il semble pourtant relever d’une sorte de déficit démocratique. Que les partis politiques cherchent à privilégier une candidature par rapport à une autre, quoi de plus normal ? A gauche comme à droite, ce genre de pratiques a lieu avant chaque élection, à chaque fois qu’il faut repourvoir un siège au Conseil fédéral. Les choix et la stratégie adoptés par l’UDC vont beaucoup plus loin. En menaçant d’exclure systématiquement toute personne élue qui n’aurait pas été désignée par le parti, elle pousse le système politique de la concordance dans ces derniers retranchements.
Les élections au niveau fédéral permettent de nommer nos conseillers nationaux qui ont pour charge d’élire les conseillers fédéraux. Ce système politique parlementariste fonctionne dans la mesure où le pouvoir et le cahier des charges des élus parlementaires est respecté. La position de l’UDC revient à supprimer de fait le rôle et le pouvoir du parlement en imposant les choix du parti sur le mode « tout ou rien ». L’UDC a beau être le parti le plus important de Suisse, il ne représente pas plus de 30% des électeurs. L’ensemble de la classe politique lui reconnait le droit à une présence renforcée au sein du Conseil fédéral. Toutefois, le parti conservateur semble oublier que les parlementaires ont le devoir de se prononcer sur les personnes qui se présentent à cette élection. En excluant de facto ses propres membres qui ne refuseraient pas leur élection, le parti agit en faisant fi du pouvoir et du rôle du parlement. Les choix d’un parti peuvent-ils faire l’économie des règles et des valeurs qui régissent le politique?
Guillaume Henchoz