- A comme Anarchisme
- B comme Bourdieu
- C comme Culture
- D comme Discrimination
- E comme Excision
- F comme Féminisme
- G comme Gauche
- H comme Herbert Marcuse
- I comme Internationalisme
- J comme Journée de 8 heures
- K comme Kollontaï Alexandra
- L comme Luxembourg Rosa
- M comme Marx
- N comme Novlangue
- P comme Patrie
- R comme Race
- S comme Sécurité sociale
- T comme Travail
- V comme Voltairine De Cleyre
- Z comme Zetkin Clara
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A = Anarchisme
S'il y a bien une philosophie sociale et politique qui est marquée par le sceau de la stigmatisation bourgeoise, c'est bien l'anarchisme. Dans ce système capitaliste, la peur que procure un courant politique aux bourgeois reflète sa grandeur.
La grandeur de l'anarchisme, c'est sa défense acharnée de la liberté individuelle. La vieille phrase de Mikhail Bakounine résume cette modalité : 《 La liberté des autres étend la mienne à l'infini 》. Autrement dit, la liberté des uns ne peut être complète tant que d'autres subissent les chaînes de l'oppression. L'anarchisme a cette puissance de rendre compte des rapports de pouvoir, des plus grands au plus infimes, de dénoncer les dominations qui ne se résument pas au seul mode de production capitaliste.
Contrairement aux idées reçues bourgeoises, l'anarchisme n'est pas l'absence d'ordre synonyme d'anomie, l'anarchisme c'est le plus haut niveau de l'ordre. L'anarchisme croit en la responsabilité individuelle, fondement de la responsabilité collective, de chaque individu pour construire et faire vivre une société égalitaire, sans exploitation, sans oppression, où chaque personne pourra se développer parmi les autres.
Par sa volonté de construire une société sans domination, en recherchant toujours le niveau le plus grand d’horizontalité dans la cité, en se fondant sur la responsabilité de chaque être humain, en tentant de lier à liberté individuelle aux dimensions collectives de l'égalité, l'anarchisme propose une pensée percutante et puissante pour le devenir du monde contemporain.
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B = Bourdieu (1930-2002)
B comme Bourdieu, un sociologue qui ne risque pas de disparaître en raison de la rigueur de ses travaux scientifiques. Issus d’une famille modeste, Pierre Bourdieu contredira la puissance des rapports sociaux de classe - donc des rapports sociaux de reproduction sociale - en intégrant l’École normale supérieure. Après sa formation scientifique, il réalise ses premières recherches en Algérie où il dénonce avec vigueur la colonisation. Dans l’un des ses premiers ouvrages importants, « Travail et travailleurs en Algérie », il démontre comment l’émergence des logiques capitalistes dans ce pays d’Afrique du Nord déstabilisent la société traditionnelle algérienne, engendrant chômage et précarité, et une transformation des conduites économiques des agents et des tentatives de résistances de ceux-ci.
Puis, il construit les concepts d’ « habitus », de « capitaux », d’ « espace social », de « violence symbolique », ceux-ci s’intégrant dans une sociologie relationnelle, dynamique, et pratique permettant de comprendre comment le monde social fixe les individus à des positions sociales, de quelle manière la perception de leur place sociale se constitue t-elle, c’est-à-dire comment les agents sociaux incorporent comme légitime les structures de domination qui les dominent. De la sociologie de l’éducation à celle de la culture, de la sociologie de la distinction aux derniers écrits dans lesquels il s’engage contre les capitalisme néolibéral, Pierre Bourdieu nous offre une sociologie de la domination permettant d'appréhender les mécanismes qui structure le monde social et comment les agents agissent et se comportent en son sein. Pour finir, la double consécration de sa carrière arrive en 1981 en devenant professeur au Collège de France mais surtout, en étant le premier sociologue à obtenir la médaille d’or du CNRS en 1993.
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C = Culture
C comme « Culture ». Notre système capitaliste réduit la culture sous trois formes : la culture scolaire ; la réduction de la culture à l’art ; pour finir la culture serait l’ensemble des références d’une population ou d’une communauté. Cependant, ces trois définitions sont restrictives.
Penser la culture dans une perspective émancipatrice, comme l’exprime Franck Lepage, c’est de considérer la culture comme « l’ensemble des stratégies qu’un individu mobilise pour résister à la domination ». Elle permet aux dominés de mobiliser des références et des représentations culturelles pour comprendre le monde qui les entoure. Ainsi, tout est culturel puisque chaque situation sociale mobilise des représentations, c’est-à-dire des significations du monde. Par exemple, la question du travail, de la production capitaliste ou de l’école, sont des problèmes culturels puisque chacun d‘eux mobilisent des énoncés culturels relatifs à leur justification, à leur organisation, à leur signification, donc au sens de leur existence. Ainsi, si la culture est l’ensemble des références et des représentations que peuvent mobiliser les individus et les groupes pour faire vivre leur humanité et leur dignité, alors le syndicalisme, le féminisme, l’antiracisme, l’anticapitalisme, l’écologie, relèvent de pratiques culturelles. Celles-ci représentent la dimension culturelle des mouvements sociaux et de l’action collective.
La culture permet aux dominés de s’organiser autour de conflits producteurs pour développer une compréhension critique du monde social, c’est-à-dire une connaissance sur les origines des inégalités socio-économiques et des systèmes d’oppression structurels (économique, de genre, de race, du validisme etc). En d’autres termes, cette manière de concevoir la culture s’inscrit dans des pratiques d'éducation populaire, outil d’émancipation collective.
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D = Discrimination
La discrimination fait partie de ces rapports de domination qui structure le monde social. Pour la définir de manière rigoureuse, il faut deux éléments : une différence associée à une inégalité. Ainsi, une discrimination est un traitement différentiel qui entraîne une situation d'inégalité. Je ne vais pas ici m'éterniser sur ses différentes formes. Je vais en choisir une seule : la discrimination structurelle.
C'est une discrimination qui traverse l'ensemble de la société, tel un rapport social, entraînant des déséquilibres entre les groupes sociaux, certains étant avantagés par les traitements infériorisés des autres. Dans ce contexte, la discrimination tend à fixer les gens à des positions sociales en ne leur permettant pas d'accéder aux mêmes conditions sociales et matérielles de ceux qui ne la subissent pas d'une part, et en refusant le droit à l'égale dignité des êtres humains en raison de l'existence de normes sociales (de genre, de sexualité etc.)
En d’autres termes, la discrimination structurelle se présente comme un système qui maintien une distribution inégale des ressources matérielles, économiques, sociales et symboliques. C’est un système social hiérarchisé, donc inégalitaire, qui structure la société en traversant l’ensemble de ses institutions.
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E = Excision
L’excision est une mutilation sexuelle féminine qui existe sur tous les continents, sauf l’Antarctique. On estime que plus de 200 millions de femmes ont fait l’objet de cette pratique traditionnelle à travers le monde. Les raisons sont multiples : respect de la tradition ; contrôle de la sexualité et du corps des femmes ; sexuation du corps ; préparation aux douleurs de l’accouchement ; intégration à la communauté ; prescriptions religieuses etc. Si l’excision est pratiquée par les femmes contre les filles, en dernière analyse, c’est bien pour les hommes que la mutilation est faite. La fille est un objet symbolique et social sur un marché matrimonial dirigé principalement par les hommes. Une femme non excisée ne peut pas se marier et avoir des enfants dans les communautés où ces pratriques traditionnelles sont faites. L’excision est donc un rite de passage permettant aux filles de s’inscrire dans leur destin biologique de femmes et de mères.
Cependant, il serait faux de penser que les mutilations sexuelles sont réalisées seulement dans des communautés où il existe un fonctionnement traditionnel. En France, depuis les années 60, les personnes nées intersexes sont l’objet de mutilations sexuelles afin de les conformer à la binarité de genre. Le Comité contre la torture de l’ONU a condamné verbalement plusieurs fois la France en 2016 pour son traitement des personnes intersexes, notamment pour la pratique de mutilation sexuelle afin d‘assigner un genre à l’enfant dans les premiers mois de la vie.
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F = Féminisme
A toutes les périodes de l'histoire, les féministes ont été disqualifiées. Aujourd'hui, la droite conservatrice et réactionnaire stigmatise les “néoféministes” qui auraient pour objectif de déconstruire la masculinité en développant un ressentiment envers les hommes. En réalité, les féministes ont toujours été accusées de nuire à la virilité des hommes et de développer cette haine envers eux. Cette régularité témoigne d'une méthode masculine, bourgeoise et patriarcale, d'auto-victimisation d'une part et de dénigrement d'autrui d'autre part. Cette stratégie témoigne de la peur des hommes, consciente ou en partie inconsciente, à chaque fois qu'un mouvement de femmes organisées lutte et dénonce leur oppression.
L’histoire du féminisme est complexe tant elle est traversée par différents courants, parfois opposés, l’un exploitant l’autre. Dans la perspective universaliste, le féminisme est raconté à partir de différentes « vagues » dont chacune d’entre elles est structurée par un ensemble de revendications plus ou moins similaires. La première vague se bat pour la reconnaissance des droits civiques ; la deuxième se caractérise par une lutte pour l’égalité sociale, les violences sexuelles et la fin du contrôle du corps et de la sexualité des femmes ; la troisième revendique des libertés au carrefour d’une diversité de courants et de revendications fragmentées ; la quatrième se définit par une militance s’appuyant sur les nouveaux modes de communication et le thème des violences sexuelles et sexistes.
Cependant, il faut déconstruire cette histoire du féminisme tant elle est réductrice. Elle ne prend jamais en compte les féministes anarchistes, marxistes et socialistes révolutionnaires qui revendiquent dès le 19e siècle la destruction du capitalisme patriarcal et de la colonisation ; elle nie les femmes indigènes qui se sont battus contre l’oppression blanche et coloniale ; elle invisibilise les luttes des femmes ouvrières du 19e et 20e siècle ; elle ne prend pas en compte les contradictions inhérentes au mouvement des femmes, comme par exemple les féministes blanches de la « première vague » qui militaient pour le droit de vote en excluant les femmes noires des revendications.
Ainsi, le féministe doit être anticapitaliste et décolonial pour produire de nouvelles subjectivités prenant en compte la diversité des points de vue et des expériences sociales de la domination sexuelle.
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G = Gauche
Comment définir la gauche ? C'est une question importante tant on a observé ces dernières années comment celles et ceux qui s'en revendiquent peuvent en même temps accepter des politiques anti-ouvrières, racistes et bourgeoises. Que dire des partis politiques, du PS après un mandat reposant sur un assassinat social des classes populaires, Europe Ecologie les Verts dont le ténor Yannick Jadot désire la mise en œuvre dans capitalisme européen, le parti communiste qui ne l'est plus depuis, au moins, la création du programme commun dans les années 70, la France Insoumise dont le fonctionnement est tout sauf démocratique. Bref, où est la gauche ?
Je propose de répondre à cette question en définissant la gauche comme un projet politique. De manière usuelle, dans le monde trotskyste, voire anarchiste, on définit la gauche comme « tout projet politique et social poursuivant la finalité de s'émanciper de l’emprise du capitalisme ». Cependant, j’oppose à cette définition une objection importante : son caractère restrictif qui ne prend pas en compte la pluralité des modes d’exploitation et d’oppression qui traversent nos sociétés contemporaines. Ainsi, je vais tenter d’en donner une pleine définition, mais plus encore, d’en comprendre les conséquences concrètes. Je construis celle-ci à partir de 3 enjeux politiques - le paradigme serait donc triangulaire - qui devraient, à mon sens, structurer la pensée de gauche.
Je propose la définition suivante : « La gauche est tout projet politique qui se donne pour fonction d’abolir l’ensemble des structures de domination, qui appréhende l'État comme un outil de coercition des classes dominées, et dont la transformation sociale ne peut reposer que sur les premiers concernés. ».
Autrement dit, les trois enjeux socio-politiques reposent sur : le dépassement des rapports de domination ; la critique de l’Etat ; la conception de l'émancipation sociale par l’action des groupes dominés.
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H = Herbert Marcuse
Marcuse est un philosophe injustement oublié. Au début des années 60, le philosophe de l'école de Francfort établit une critique radicale de la société industrielle avancée avec son livre “L’homme unidimensionnel”. La puissance de sa philosophie est de montrer que le totalitarisme n'est pas seulement caractérisé par un pouvoir violent et despotique, il peut être présent dans les sociétés démocratiques en développant d'autres formes d'asservissement, autre que la persécution physique.
Dans cette perspective, l'asservissement s'opère par le confort. Le capitalisme mobilise la technologie, le bien être et l'hyperconsommation pour empêcher l'élaboration des forces sociales révolutionnaires. Du côté politique, Marcuse conceptualise la théorie du discours clos : pour le philosophe, la société capitaliste contemporaine se caractérise par l'intégration aux discours dominants des forces d’opposition antérieures. Ainsi, dès les années 60, Marcuse voit comment les partis politiques de gauche commencent à se rapprocher des intérêts bourgeois en oubliant la classe ouvrière. Dans ce discours clos, les concepts et pensées subversives sont inexistants.
En conséquence l’appareil de production est totalitaire en produisant des faux besoins et des attitudes, en régulant la vie sociale par la technologie pour faire disparaître les identités ouvrières. Seule une identité doit subsister : celle du consommateur.
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I = Internationalisme
Le projet capitaliste européen tend à diminuer la souveraineté nationale de chaque pays pour construire une sorte de « patrie » européenne. Cette internationalisme du capital a pour finalité d’abolir les frontières, non pour les hommes, mais pour favoriser la circulation du capital et récupérer de plus grandes marges sur le travail. Cet internationalisme là, capitaliste, donc mortifère, est à combattre. Surtout, et c’est ici toute l’arrogance bourgeoise, il mobilise un concept, une ambition, que l’on trouve dans les pensées émancipatrices marxistes et anarchistes.
Dans ces deux philosophies sociales et politiques, l'internationalisme n'est pas un idéal abstrait, mais un principe qui se base sur les conditions matérielles des prolétaires et leurs intérêts convergents. Par exemple, c'est dans ce sens que je suis personnellement, dans mon for intérieur, toujours plus solidaire d’un ouvrier sénégalais que d’un patron français du CAC 40. Mes intérêts de classe passe avant “mes intérêts nationaux” qui sont toujours les intérêts du grand capital.
Ce qui domine dans l'internationalisme, c'est un appel à la solidarité entre les travailleurs et les travailleuses de tous les pays et une lutte collective contre les nationalismes réactionnaires. L’internationalisme concret ambitionne donc d’abolir les frontières humaines prises en otage par le capital pour créer une solidarité réelle et pacifiste basée sur une fraternité de classes. C'est pourquoi, pour ma part, je refuse la patrie autant que le nationaliste, c’est pourquoi je suis internationaliste.
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J = Journée de 8 heures
Pour comprendre cette date historique, il faut partir aux Etats-Unis et plus précisément à Chicago. A la fin du 19e siècle, l’industrialisation du pays est intense. La ville de Chicago est en plein développement économique. Comme en Europe, les conditions de travail sont rudes. Les ouvriers travaillent 60 heures par semaine, six jours sur 7, pour seulement 1$ par jour. Les accidents du travail sont quotidiens et les morts trop souvent réguliers. Mais le mouvement ouvrier américain ne se laisse pas faire : grèves générales, manifestations, sabotages de l’outil de travail, nombreuses sont les actions de contestation qui sont parfois réprimées dans le sang par la bourgeoisie. Le premier mai 1886 doit changer la donne, estiment les syndicats. Ils organisent une grève générale le 1er mai pour exiger la journée de 8h. On comptabilise environ 350 000 ouvriers, dont 40 000 dans la ville de Chicago.
La grève se poursuit aux usines des alentours pendant plusieurs jours. La police réprime la mobilisation au fusil à répétition et tue 3 manifestants et fait environ 50 blessés. Les jours suivants, des affrontements entre ouvriers et policiers font plusieurs morts. En conséquence, la police rafle des dizaines d'anarchistes dont 8 sont condamnés à mort malgré le manque de preuves formelles. Le massacre de Haymarket Square et la condamnation à mort des anarchistes sont devenus un symbole pour les organisations ouvrières de tous les continents. Et le 20 juillet 1889, la Deuxième Internationale Socialiste adopte le 1er mai comme « Manifestation ouvrière internationale », avec comme revendication principale la journée de huit heures d’une part, et la stratégie de la grève générale d’autre part. En France, la tradition du 1er mai s’est principalement enracinée dans les mémoires ouvrières le 1er mai 1891.
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K = Kollontaï Alexandra (1872-1852)
Alexandra Kollontaï, comme Emma Goldman ou Voltairine de Cleyre, fait partie de ces figures oubliées de la majeure partie du féminisme contemporain, malgré la puissance de leur pensée et la grandeur de leur existence. Pourquoi cette invisibilité ? Peut-être parce Kollontaï, comme d'autres, s'inscrivent dans des philosophies sociales et politiques stigmatisées par le pouvoir bourgeois, c'est-à-dire le communiste et l'anarchisme.
Kollontaï embrasse les idées marxistes à la fin du 19e siècle. Elle participe à la révolution de 1905 contre la Russie tsariste puis celle d'octobre 1917. D’abord menchévique, elle rejoint le camp bolchévique et devient Commissaire du peuple à l’Assistance publique (santé), devenant donc la première femme du monde moderne à participer à un gouvernement. Elle transforme les modalités du mariage et du divorce et légalise le droit à l'avortement en 1920, faisant de l'URSS le premier pays à l'autoriser. Contrairement aux mouvements féministes de son époque qu'elle considère comme bourgeois, elle milite pour une véritable égalité sociale entre les sexes, elle se bat pour l’amour libre en théorisant l’amour-camaraderie qui doit transformer les relations entre les sexes.
Alexandra Kollontaï, de part ses convictions pour la démocratie ouvrière, l’égalité sociale, et la libération de la sexualité du joug bourgeois et patriarcal, reste une femme à l’avant-garde du féministe marxiste, et de l’ensemble des mouvements féministes en général.
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L = Luxembourg (1871–1919)
Rosa Luxembourg, grande figure du socialisme révolutionnaire, internationaliste « intransigeante », propose une œuvre politique originale dans la pensée marxiste. Elle écrit de nombreux écrits pour appuyer l’importance pris par l'impérialisme dans le processus du production, elle se bat pour déconstruire la méthode réformiste afin de célébrer la fierté révolutionnaire, prône la grève de masse comme stratégie hégémonique et refuse toute revendication nationaliste considérée comme une opposition à la lutte des classes. Mais Rosa Luxembourg n’est pas seulement une théoricienne, elle s’implique dans le processus révolutionnaire. En 1916, elle fonde avec son amant, Karl Liebknecht, mais aussi avec Franz Mehring et Clara Zetkin, la Ligue des Spartakistes, mouvement révolutionnaire et antimilitariste en Allemagne. Son implication socialiste lui vaut d’être emprisonnée jusqu'à la révolution allemande en novembre 1918 où elle est libérée.
Elle apprend la révolution d'Octobre 1917 en prison et ne se lasse pas de commenter cet événement majeur de l’histoire ouvrière. Elle polémique avec son représentant, Lénine, sur la manière de construire le processus révolutionnaire. Elle y dénonce un certain autoritarisme des bolchéviks, le manque de liberté, critique la fermeture des soviets pour l’hégémonie du parti politique. Pour elle, il faut élaborer des méthodes plus démocratiques qui reposent sur la spontanéité des masses, raison pour laquelle la figure de Luxembourg est particulièrement appréciée des anarchistes de son époque, et toujours actuellement. Cependant, la puissance d’influence de Rosa Luxembourg prend de plus en plus d'importance en Allemagne, et pendant l'insurrection spartakiste, la police mène des actions ciblées sur les meneurs et meneuses socialistes. Elle est arrêtée le 5 janvier 1919 et assassinée d’une balle dans la tête le 15 janvier avec son amant, Karl Liebknecht, par la police chargée de réprimer l'insurrection ouvrière. Son corps est ensuite jeté dans le canal Landwehrkanal de Berlin.
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M = Marx (1818-1883)
S’il y a un penseur qui a transformé ma vision du monde social, c’est bien le grand Marx. Ce qu’il m’a appris, c’est de concevoir le capital comme un rapport social, un rapport d'exploitation des travailleurs et des travailleuses, mais aussi d'expropriation de l'instrument de travail et des fruits de son travail. Le système capitaliste est donc un système totalitaire dans le sens où la liberté du travailleur n’existe que s’il permet de produire de l'intérêt pour le capital.
Plus profondément dans la philosophie de Marx, c’est cette conception de l’histoire à travers le matérialisme historique qui révolutionne la pensée philosophique. Dans cette perspective, Marx démontre que l’on peut étudier l’histoire à travers la succession d’une série de modes de production, engendrant des groupes sociaux antagonistes. En ce sens, le moteur de l’histoire est la lutte des classes. Pour Marx, le capitalisme est un mode de production qui tend à disparaître puisque, comme les autres, il fait germer en lui ce qui le détruira, une classe sociale qui s’oppose à ses intérêts, la classe ouvrière. Cependant, et contrairement aux autres modes de production, le capitalisme serait le dernier à produire de l’opposition car, la classe ouvrière, détruisant le pouvoir de la bourgeoisie, engendrera une société sans classes sociales.
Marx, théoricien infatigable des événements révolutionnaires et des crises économiques ; du travail comme dialectique entre accomplissement de l’homme et exploitation de la force de travail ; critique de l’emprise de la religion et de l'Etat sur la conscience humaine ; a encore de nombreuses choses à dire sur la société contemporaine et sur son futur.
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N = Novlangue
On cite souvent Georges Orwell comme le penseur de la novlangue, notamment à travers son livre 1984. Par exemple, il utilise deux stratégies : l'inversion de sens et l'oblitération de sens. Le premier tend à substituer le sens d'un mot par son contraire : « La guerre, c’est la paix », « La liberté, c’est l’esclavage », « L’ignorance, c’est la force ». Le deuxième procédé est très utilisé dans le monde contemporain. Il rend inaccessible le sens d'un mot en lui opposant un autre qui lui fait obstacle : par exemple la flexisécurité, autrement dit, plus on enlève du code du travail et mieux les travailleurs seront protégés.
A côté de Orwell, Herbert Marcuse est celui qui a mieux décrit ce qui se passait dans le langage dès les années 60. Son intuition est incroyable. Il montre que le vocabulaire critique tend à disparaître pour être remplacé par un vocabulaire positif. Ainsi, si l'ensemble du vocabulaire devient positif, alors on ne peut plus produire de contradiction. Par exemple, le plan de sauvegarde de l'emploi remplace le licenciement collectif, le dialogue social le conflit de classe, le partenariat la domination institutionnelle, l'adaptation la soumission etc.
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P = Patrie
Est-ce que tu aimes la France ? A cette question, ma réponse est toujours la même. Je reprends cette phrase magnifique d’un artiste anarchiste, Georges Brassens : « moi je n’aime pas la patrie, moi j’aime la France, ça n’a aucun rapport ». Je m’inscris pleinement dans cette pensée.
La France, je l’apprécie pour la beauté de ces paysages, ; la richesse de son histoire sociale écrite par la classe ouvrière partie à la conquête de ses droits sociaux ; j’aime la France pour les saveurs de sa gastronomie ; la tonalité de sa musique populaire ; sa littérature, sans oublier ses autrices oubliées ; j’aime le charme de sa langue, ses patois, la diversité des langues et des cultures locales que l’Etat jacobin refuse de valoriser ; j’aime la possibilité de ces rencontres interculturelles qui marquent nos vies etc.
Mais ce qui me sépare des cerveaux conservateurs, c’est l’essentialisme culturel inhérent à toute pensée de droite, la culture n’est pas un état de fait, quelque chose d’indélébile, c’est un ensemble de représentations, de pratiques, de croyances, en constante évolution au gré de la diversité sociale et culturelle.
Si j’assume mon faible intérêt pour les signes patriotiques, c’est pour ce que représente la patrie. Comme l’écrit l’écrivain George Bernard Shaw, « Le patriotisme est votre conviction que ce pays est supérieur à tous les autres, parce que vous y êtes né. ». Le sentiment patriotique est une passion contemporaine qui unis les individus autour d’une frontière commune contre les autres. C’est la religion contemporaine de la société capitaliste qui permet d'homogénéiser une population nationale à travers un destin commun et en invisibilisant les contradictions de classes. Ce destin commun, cette communauté nationale ne défend pas les intérêts de la diversité des groupes dominés qui la constitue, mais les intérêts nationaux d’une communauté abstraite qui en réalité reflète les intérêts des classes bourgeoises.
La patrie intime aux individus de lui rester fidèle y compris lorsqu’elle commet des massacres à l’autre bout du monde. L’exemple le plus frappant est le refus de la France d’intégrer au Panthéon Gisèle Halimi en raison de son soutien au FLN qui luttait contre la domination coloniale française. C’est cela le cœur de la patrie : l'intérêt racial et bourgeois.
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R = Race
En France, l’utilisation du concept de race est controversée. On fustige le « retour de la race », en lui faisant porter des orientations faussées et des conceptions erronées. En réalité, la race ne doit pas être interprétée comme une donnée biologique – les races humaines n’existent pas - mais comme une production sociale d’altérisation et d’assignation à partir de marqueurs ethno-raciaux. En effet, si la notion de race n’a aucune validité biologique, elle continue d’organiser les perceptions du sens commun, c’est-à-dire la manière dont la société se représente l’Autre.
Par la race, on comprend comment les groupes minoritaires sont essentialisés à travers des propriétés et des attributs immuables et dévalorisants : caractéristiques physiques, le rapport au corps et à la sexualité, les traits de caractères etc. La construction sociale de la race révèle ainsi les phénomènes de racialisation et de racisation qui traversent la société, produisant des formes plurielles de discriminations et d’inégalités ethno-raciales.
Le concept de race permet donc de montrer comment celle-ci est construite socialement, historiquement, mais aussi comment elle est remobilisée politiquement à travers des politiques publiques qui racialisent des groupes sociaux, comme les roms, les demandeurs d'asile et les étrangers.
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S = Sécurité sociale
De nombreux pays ont une sécurité sociale, mais seule la France possède un Régime Général de la Sécurité sociale. Cette institution, fruit de la combativité de Pierre Laroque et d’Ambroise Croizat, sans oublier le poids de la CGT et du parti communiste, est bâtie en 1946. Il sera piloté pendant une vingtaine d’années par les travailleurs eux-mêmes, élisant son président aux élections. Autrement dit, les travailleurs ont géré un tiers du budget de l’Etat pendant cette période, un souvenir important pour nous qui contredit la fable patronale sur l’impossibilité pour les travailleurs d'administrer un bien commun.
Concrètement, à l'échelle macroscopique, le Régime Général est une institution qui socialise plusieurs centaines de milliards d’euros via les cotisations sociales, pour redistribuer cette valeur en salaire socialisé aux soignants, aux retraités, aux malades, aux précaires. Il se base sur un principe de récolte et de répartition de la valeur démocratique sans passer par le capitalisme. Dans cette perspective, il est logique que la bourgeoisie s’efforce de détruire les cotisations sociales afin d’affaiblir cette institution sociale. Au contraire, la lutte des classes devrait pousser les syndicats à faire pression pour augmenter les taux de cotisations afin de prendre la richesse à la bourgeoisie et la redistribuer dans la société.
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T = Travail
Une femme ne travaille pas. Au foyer, elle réalise quotidiennement son ménage : l'entretien des chambres, de l'ensemble des pièces, le linge, la poussière sur les meubles, le sol, les différents repas de la journée. Dans le même temps, une femme travaille en tant qu'aide à domicile chez une personne âgée et réalise les mêmes activités que la première femme. Cependant, dans les deux situations, une seule sera reconnue comme travailleuse et utile à la société.
Cet exemple montre que le travail n'a rien à voir avec l'activité en question. C'est une convention sociale : travaille celui où celle qui s' inscrit dans un rapport salarial, celui-ci étant définit sans équivoque comme un rapport de domination dans le code du travail, précisément comme un rapport de subordination. L'activité devient travail à la seule condition de passer par la convention capitaliste du travail. En comprenant cela, l'émancipation n'est pas à la libération du travail, mais bien à son abolition en tant que convention capitaliste.
Dans cette nouvelle perspective, le travail se conçoit comme toute activité humaine en dehors de la gestion des besoins vitaux (manger, dormir etc.). En tant que tel, le travail devient une centralité qui requiert une reconnaissance sociale, économique et politique. Autrement dit, la distribution d'un revenu mensuel qui reconnaît son investissement dans la société et un pouvoir politique sur la production et dans le devenir général de la cité. Les travaux du Réseau Salariat, de Bernard Friot et de Frédéric Lordon présentent cette nouvelle perspective.
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V = Voltairine De Cleyre (1866-1912)
Voici le nom d’une femme qui ne résonne chez personnes, et pourtant… Voltairine De Cleyre est la figure qui m’a ouvert au féminisme révolutionnaire et à l’anarchisme. Toute sa vie, luttant en même temps contre la maladie, elle œuvre au développement de la pensée anarchiste en préconisant un « anarchisme sans adjectif », une conception libertaire qui ambitionne de sortir des “tendances” pour former un front uni. Si elle milite pour que l’action directe soit le principale moyen pour atteindre la révolution sociale, la grandeur de son travail repose sur ses écrits relatifs à la domination masculine.
Alors que les féministes bourgeoises demandent le droit de vote (juste pour les blanches), Voltairine De Cleyre dénonce l’appropriation individuelle et collective des femmes à travers le mariage. Par ce contrat, la femme devient la prolétaire de son mari, réduit au rôle d’objet sexuel, de reproductrice ou de domestique. Le mariage permet aux hommes de contrôler la sexualité des femmes, donne un permis de violer, raison pour laquelle elle nomme le mariage de « l’esclavage sexuel ». Ainsi, pour Voltairine De Cleyre, les femmes doivent se réapproprier le contrôle de leur corps par l’amour libre émancipé du contrat de mariage.
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Z = Zetkin Clara (1857-1933)
Clara Zetkin est une communiste du siècle dernier, l’une des camarades qui s’est le plus impliquée dans la lutte contre le capitalisme patriarcal. A la fin du 19e siècle, les mouvements socialistes révolutionnaires sont hésitants sur le rôle des femmes dans le processus insurrectionnel d’une part, et sur leur place dans la société, entre le foyer et le marché du travail. Clara Zetkin plaide pour l’intégration des femmes dans le marché du travail dans le sens où, bien que les femmes soient l’esclave du capitaliste, elles pourront s'émanciper du pouvoir de leur mari en supprimant leur dépendance économique. Par ailleurs, elles pourront ensuite s’engager dans la lutte des classes avec les hommes de la classe ouvrière
S’opposant au féminisme bourgeois qui ne répondent pas aux besoins des travailleuses, sa combativité est récompensée avec l'inscription dans la nouvelle ligne politique de l'Internationale la revendication de l'égalité économique, juridique et politique des femmes et la recommandation pour les socialistes de tous les pays d’inciter les femmes à entrer dans la lutte des classes. En 1907, elle organise avec des camarades la première Internationale socialiste des femmes dont elle est élue présidente. Puis, en 1910 elle propose avec le soutien d’Alexandra Kollontaï, d’organiser une Journée internationale des femmes dont les revendications sont principalement le droit de vote, l'égalité sociale entre les sexes et la lutte pour la mise en place d’une société socialisme. Cette initiative est à l'origine de la journée internationale du droit des femmes, organisée depuis chaque 8 mars.