Billet de blog 6 août 2024

Bernard Lamizet (avatar)

Bernard Lamizet

Ancien professeur à l'Institut d'Études Politiques de Lyon

Abonné·e de Mediapart

V comme Violence

La violence semble être devenue une constante de la vie sociale, de nos jours. Prenant toutes sortes de formes, présente dans tous les domaines, elle nous obsède, elle nous assiège, elle nous empêche de penser et d’avoir des relations avec les autres, elle nous empêche de « faire société ».

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

La violence semble être devenue une constante de la vie sociale, de nos jours. Prenant toutes sortes de formes, présente dans tous les domaines, elle nous obsède, elle nous assiège, elle nous empêche de penser et d’avoir des relations avec les autres, elle nous empêche de « faire société ».

Les lieux et les manifestations de la violence

Les sociétés contemporaines (mais s’agit-il encore de sociétés ?) ont multiplié les formes de la violence et ses manifestations de toutes sortes, dans tous les domaines. La violence de la guerre continue à exister et à se renforcer. La guerre de Palestine dure depuis 1948 et elle connaît un nouveau réveil avec la guerre de Gaza. La guerre d’Ukraine est le moyen qu’a trouvé la Russie de Poutine pour manifester sa soi-disant puissance. Mais il n’y a pas que la guerre. La violence économique menace les travailleurs, licenciés ou menacés de licenciements, mais aussi les entreprises et même les pays. Les violences religieuses tuent ou menacent ou nom d’une croyance devenue fanatisme. La violence culturelle menace des peuples entiers de disparaître au nom de l’uniformisation des nations. Les violences sexistes, sexuelles et conjugales, qui menacent surtout des femmes, mettent en péril notre corps et notre sexualité, ou, tout simplement, nos couples.

La violence et le déni de l’autre

Mais, au fait, qu’appelle-t-on violence ? La violence est le déni de l’autre. Celle ou celui qui pratique la violence, on pourrait dire, d’une manière générale, celle ou celui qui viole l’autre le fait parce qu’il ne supporte pas son existence, elle ou il refuse de la lui reconnaître. La victime d’un viol, quelle que soit la nature de ce viol, et quel que soit le domaine dans lequel il est perpétré, ne se voit pas reconnaître le droit à l’existence. La violence, ou le viol, car cela revient au même, cherche à effacer l’autre, à l’exclure de l’espace dans lequel il pourrait rencontrer une personne, un être social, dans lequel elle ou il pourrait s’exprimer, parler. Le viol est le déni - ou plutôt le refus - de l’identité de l’autre. La violence de la guerre cherche à anéantir le peuple contre qui elle est faite, la violence culturelle, économique ou sociale consiste à refuser l’identité d’un peuple, comme c’est le cas des peuples à qui est refusé le droit d’exister comme nations, d’un travailleur, à qui est déniée la possibilité même d’exister, de se voir reconnaître une identité.

Les mises en scène de la violence

La violence est toujours perpétrée au cours d’une mise en scène. La violence perpétrée contre l’autre pour le faire souffrir ou pour lui refuser une identité est mise en scène, c’est-à-dire qu’elle se voit autant qu’elle fait souffrir. Il ne s’agit jamais d’un simple geste, mais ce geste est commis dans un espace dans lequel il est visible, par sa victime, d’abord, bien sûr, mais aussi par des témoins, par des spectateurs, par certaines ou certains qui assistent à la mise en scène de la violence. Cette mise en scène a toujours défini la violence, l’a toujours caractérisée, mais cela s’est accentuée avec l’évolution des médias. Si la violence a toujours été mise en scène, ce qui signifie qu’elle est toujours vue ou entendue par sa victime ou par des témoins ou des spectateurs, elle s’est toujours inscrite dans des formes de communication, de représentation ou de spectacles. Y compris, d’ailleurs, dans le domaine religieux dans lequel elle est mise en scène au cours de cérémonies destinées à montrer la violence à la fois pour souligner l’importance de la morale et les menaces auxquelles s’exposent celles et ceux qui transgressent la loi et pour souligner, en les mettant en scène, la façon dont des personnages sacralisés le sont en raison même de violences qu’ils ont subies : c’est le cas, par exemple, des Passions, mises en scène en particulier au Moyen Âge ou à l’époque classique.

Existe-t-il une violence légitime ?

L’auteur allemand important de philosophie politique Max Weber définit l’État comme le seul détenteur de la possibilité, ou du droit, d’exercer une violence légitime. Mais même cela semble excessif. Pas plus l’État que les autres acteurs de l’espace politique ne peut être exercer une violence légitime, car, tout simplement, cela n’existe pas. En effet, la légitimité est de l’ordre de la loi, c’est-à-dire des mots, de la parole, de l’écrit, du sens, alors que la violence n’a pas de sens. La violence est, ainsi, toujours illégitime, qu’elle relève d’un acte criminel ou d’un délit ou d’un acte assumé par le pouvoir et par l’État.

La violence est la perte du sens

Ce que l’on appelle le viol, ou la violence, est, en réalité la perte du sens, l’exclusion du langage. La véritable violence consiste dans la mise en œuvre d’actes qui n’ont pas de sens, que l’on ne peut pas comprendre, car ils ne font pas partie du langage. Les Mystères de la Passion, ou, tout simplement, les cultes qui mettent en scène la crucifixion, montrent comment le sens ne peut se retrouver qu’avec la résurrection. Ce qui se passe dans la légende de la Passion (Passion signifie, étymologiquement, souffrance), c’est la perte du sens, retrouvé trois jours après. Mais, d’une manière générale, les actes de violence le sont parce qu’ils sont incompréhensibles, parce que l’on ne peut ni s’y préparer, ni s’en protéger, ni même les comprendre. C’est, par exemple, le cas de la violence économique qui exclut certaines décisions ou certains actes de la signification politique de l’économie en les réduisant à des actes proprement incompréhensibles, sans signification.

Peut-on se libérer de la violence ?

C’est toujours la grande question. En effet, la violence est toujours une aliénation : elle nous soumet au pouvoir de l’autre. Mais, de la même manière, l’aliénation est toujours une violence, car elle nous fait perdre notre liberté. La question de la libération de la violence est, ainsi, toujours la question majeure. On ne peut se libérer de la violence que par le retour au politique et par le retour de la parole. Car, de cette manière, le sens peut revenir, et, avec lui, la raison. C’est ainsi que l’on peut comprendre ce qu’est la liberté : être libre, c’est, justement, ne pas être soumis à la violence. Tout l’enjeu de la politique a toujours été là : dans l’élaboration et la mise en œuvre de procédures, d’actions, dans l’énonciation de paroles, nous permettant de nous affranchir de la violence en devenant, ainsi, pleinement libres.

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