Billet de blog 6 octobre 2024

thierry caron

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H comme handicap

Je suis handicapé. Dit comme comme çà, çà peut paraitre comme une insulte au sens commun. En effet, je parle, je marche,j'écris même presque comme tout le monde, et pourtant...

thierry caron

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Et pourtant, tout m'est difficile au quotidien. Tenez s'en est même au point où devant la dernière requête de mon neveux de quatre ans, j'ai opposé une fin de non-recevoir absolue !

Non, je ne jouerai pas avec toi au Memory...

Vous savez le Memory ce jeu stupide où l'on doit retrouver la carte jumelle de celle que l'on a retournée en premier. Celui qui a gagné est évidemment celui qui a le plus grand nombre de carte à la fin du jeu (sale môme !).

Il faut dire que lors de la première confrontation, l'hilarité de mon adversaire (ce sale môme) avait fini par rameuter toute la maisonnée, chacun y allant de son commentaire. J'avais été battu à plate couture et ma chère maman avait dit à l'époque qu'elle n'était pas étonnée...

Voilà, vous avez deviné...Je suis la victime d'un cerveau un peu fantasque qui oublie un peu tout, à n'importe quel moment et ce depuis très longtemps. A quatorze ans, je me suis perdu dans une piscine, je n'ai même pas retrouvé mes vêtements et j'ai été incapable d'expliquer ce qui c'était passé. Quelques années plus tard j'ai égaré ma voiture que je n'ai retrouvée qu'un mois après, par le plus grand des hasards, et je vous laisse imaginer sans peine les problèmes que j'ai rencontrés dans les sphères scolaires et professionnelles.

Il m'a fallu en fait des années pour qu'une professionnelle du secteur socio-éducatif finisse par me dire : "mais personne n'a jamais songé qu'il pouvait s'agir d'une infection ou d'un problème physique quelconque ? Vous avez l'air pourtant de bonne volonté et vos échecs sont la trace d'une difficulté majeure que vous ne pouvez occulter"

Bref, pour la faire courte, lorsque je suis sorti de mon premier scanner, le simple regard des médecins indiquait que...

Que trois ans plus tard je ferai les démarches, à contre coeur, pour me faire reconnaitre travailleur handicapé...

Je n'avais pas imaginé alors que le parcours, de ce fait, deviendrait encore plus compliqué. 

Compliqué d'abord, parce qu'il m'avait fallu reconnaitre, enfin, mes difficultés.

Compliqué ensuite et surtout parce qu'il me fallait parler de ces difficultés à mon entourage personnel et potentiellement professionnel.

"Tout ça c'est dans ta tête", ai-je entendu dire à plusieurs reprises. 

"Tu dis ça parce que tu ne veux pas travailler, tu ne veux pas avancer" ai-je encore entendu...

Pour tout vous dire, j'ai des problèmes d'orientation spatiale et temporelle et évidemment des problèmes d'apprentissage, de mémorisation, d'attention, et pourtant après avoir reconnu moi mème ces difficultés dont on me parlait depuis très longtemps en fait, la première offre de poste qu'on me proposait était : "chauffeur de bus" !  

J'ai eu le tort de réussir si brillamment le test de sélection, que la recruteuse s'est déclarée scandalisée lorsque j'ai refusé tout net le poste proposé ! 

On m'a radié de l'ANPE !

Et pourtant, qu'aurais-je dit en cas d'accident grave, à un interlocuteur qui m'aurait fait remarquer que je savais et que je n'avais rien dit ? Allez être chauffeur de bus, quand vous avez des troubles de l'attention et de l'orientation ! 

"vous conduisez ?" s'est inquiété le neuro chirurgien... 

"Mais personne n'a songé à faire ces tests bien avant ?" s'insurgera encore la neuro psychologue !

"Vous savez, c'est le cerveau qui dessine" me dira encore mon professeur de dessin lors d'un de mes premiers cours...Et pourtant il ne connaissait ni mon parcours ni mon histoire !

Peut-être avez-vous lu cette chronique l'air songeur, et pourtant réfléchissez à ce que représente pour n'importe quelle personne censée le fait de s'apercevoir, tout à coup, qu'elle est dans un lieu qu'elle ne reconnait pas, qu'elle ne sait pas pourquoi elle y est, et ignore tout de l'endroit où elle se rend : le vide soudain, sidérale, de quelqu'un qui semble avoir perdu conscience et qui met des lustres à retrouver ses esprits.... 

Il m'a fallu des années personnellement pour entendre, un jour, dans ce type de situation un jeune homme me dire :

"vous avez l'air perdu monsieur, avez-vous besoin d'aide ?"

"Avez-vous besoin d'aide" Enfin !!!

Je ne sais pas si j'ai besoin d'aide. Est ce qu'on propose de l'aide à un aveugle qui cherche à traverser une rue ?

Tiens "traverser la rue", ça ne vous dit rien ?

S'insérer professionnellement, socialement, et je dirais même culturellement lorsqu'on est différent et que ces différences éclatent au grand jour de manière sévère, est extrêmement délicat. Dire son handicap, comme je le fais actuellement, c'est le plus souvent, passer pour un imposteur ; le cacher, c'est inévitablement à plus ou moins long terme apparaitre comme un voleur.

Et pourtant, tout le monde oublie ; tout le monde cherche ses clés ; perd ses affaires... Le handicap est plus une question de dose si j'ose dire...

Pourtant, faut-il ajouter, la société connait, au moins depuis la grande guerre (j'ai conservé exprès les minuscules), les dévastations occasionnées par les lésions cérébrales... 

..."Vous êtes un cas particulièrement intéressant" affirmera monsieur l'expert...

Seulement voilà, il n'est pas impossible que le handicap cérébral fasse peur, effraie, et que l'on ait encore bien peu de manière de l'appréhender.

Reste que nous vivons dans une société qui vieillit et qui pourtant prétend faire travailler les gens plus longtemps. Alors les handicapés cérébraux sont-ils aux avant-postes des nécessaires transformations que les entreprises vont devoir envisager si elles veulent conserver leur personnel plus tard ?

Cà n'est pas une question en l'air. Je crois personnellement que les capacités des gens évoluent avec le temps et qu'il est bien compliqué d'avoir le même type d'exigences vis à vis d'un jeune de vingt ans que d'un senior. Or il me semble que ce type de question a été occultée lors du débat sur les retraites. Aussi, l'exigence d'insertion de personnes cérébro lésées devrait-elle être accrue, non pas parce que c'est vendeur d'un point de vue médiatique, (on ne voit pas en quoi ces personnes sont différentes) mais parce que justement l'intégration de ces personnels pourrait contraindre les entreprises à réfléchir à leurs organisations en amont afin que chacun y trouve sa place... 

...Même vieux...   

Et d'ailleurs peut être que cette autre manière de considérer les cérébro-lésés dans l'emploi (et non à l'extérieur) permettrait une plus large réflexion sur ce que travailler veut dire.  Les cérébraux lésés : sherpas d'une révolution sociale et sociétale ? Sacrée gageur non ?

A suivre donc... 

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