La personne exilée est un homme, est une femme, pleinement.
Le bilan social d’une ‘‘politique de l’immigration’’ régulièrement endurcie depuis des décennies est extrêmement lourd: souffrances de tous ordres, abandon, précarité, travail au noir, ambiance raciste. Et le poison de ce rejet ainsi semé dès l’arrivée des étrangers risque de se propager de génération en génération.
Il est urgent de renoncer à une politique absurde, injuste, dont la dangerosité sociale n’est plus à démontrer. Quelle méthode proposer pour en sortir ?
Au passage, un langage révélateur : une personne née au loin est qualifiée d’illégale si elle a franchi la frontière sans l’accord du pays de destination. Affirmer qu’un être vivant est légal, ou illégal, quelle idée étrange…
Repartons à la racine : cette personne venue d’ailleurs est une femme, est un homme, tout simplement. Et souvenons-nous de cette trouvaille révolutionnaire ‘‘les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits’’.
Naissent ET demeurent... peut-être certains de ces migrants ont-ils quitté leur pays justement parce qu’ils n’y étaient pas libres...
Libres ET égaux en droits… ou qu’ils n’y trouvaient pas leur place...
Comment s’y prendre ? Nous proposons une action à deux niveaux : d’un côté le court terme et la proximité, et de l’autre, une réflexion sur l’élaboration d’une loi pour encadrer, si nécessaire, la vie en France des non-nationaux, réflexion qui exigera créativité, courage… et beaucoup de patience.
Mettre en place un accueil digne
Pour commencer, réorganiser l’activité de premier contact et d’orientation. Sans rien changer à la réglementation actuelle, on peut rendre une nouvelle noblesse et une réelle efficacité à l’activité administrative d’accueil des étrangers : réelle mise à l’abri des demandeurs d’asile et des personnes mineures sans famille en France, délivrance d’informations compréhensibles et utilisables. Mais aussi accueil plus ouvert aux personnes entrées avec ou sans visa mais qui attendent de l’application de la loi un titre de séjour pour pouvoir vivre normalement.
1°/ Organiser, directement et en s’appuyant sur les citoyens engagés dans les associations, la prise de contact avec la société locale, un soutien de base à la vie, l’initiation à la langue et aux usages locaux. Nombreux sont les citoyens disposés à apporter leur contribution à cet accueil, l’actualité le montre tous les jours.
Dans les guichets des préfectures et autres organismes au contact des migrants, placer suffisamment d’agents bien formés, capables d’appliquer la loi tout en étant à l’écoute, dans un esprit constructif (là aussi, on peut s’attendre à ce que cela réponde à l’attente des agents derrière le guichet). La loi actuelle regorge d’obstacles soigneusement agencés pour limiter les possibilités de régularisation du séjour, mais elle prévoit quand même des circonstances qui permettent ce passage. Faire en sorte que les dossiers soumis soient considérés sans suspicion excessive, et que la décision soit rendue dans les délais légaux.
Tout cela demandera le recrutement et la formation de nouveaux agents. Dans le sillage de la création d’un ministère de l’Immigration en mai 2007, on a assisté au regroupement progressif sous l’autorité du ministère de l’Intérieur de presque tous les domaines concernant la vie des étrangers, domaines qui auparavant relevaient de la gestion générale de la société : non seulement le séjour, mais aussi la santé, le travail, les visas, etc. Une concentration qui devrait faciliter la coordination de cette rénovation d’ensemble de l’accueil, notamment par de nouvelles directives aux préfets, auxquels la loi, si restrictive soit-elle, accorde un large pouvoir d'appréciation.
2°/ Cesser la distribution excessive de décisions d’obligations de quitter le territoire (OQTF), dont on sait que neuf sur dix ne seront pas exécutées, et qui donnent lieu à des dizaines de milliers de journées de détention pour rien. Cette distribution entretient une climat de crainte qui pourrit la vie des gens sans pour autant les inciter à repartir au pays. Ces nouvelles pratiques seront aussi source d’économies, aussi bien sur le coût des centres de rétention que de la charge excessive du contentieux devant les tribunaux administratifs.
3°/ Modérer la politique de fichage et de surveillance généralisée – et ceci vaut tout autant pour la population générale, car on observe constamment que les politiques répressives inventées contre les étrangers seront tôt ou tard infligées au reste de la population.
Repenser les fondements la loi
Une loi spéciale réglementant la vie des étrangers en France est-elle vraiment nécessaire ?
Le rôle de la loi est de définir concrètement les droits et devoirs du citoyen, de la citoyenne française. On attend des étrangers vivant en France, bien entendu, qu’ils respectent les mêmes lois et règlements que les autres habitants.
En quoi un étranger, une étrangère pourraient-ils être privés de certains droits ou dispensés de certains devoirs, en quoi, et pourquoi, pourraient-ils se voir imposer d’autres obligations ? C’est avec ces questions en tête qu’il faudra entreprendre de revisiter les conditions de ‘‘l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile’’ telle que définies dans le CESEDA, pour ne conserver que des règles non discriminatoires.
Martine Feissel-Vernier