Billet de blog 11 août 2024

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Bernard Lamizet

Ancien professeur à l'Institut d'Études Politiques de Lyon

Abonné·e de Mediapart

G comme GUERRE

La guerre est un fait politique qui a toujours existé. Mais la signification du mot « guerre », elle, a beaucoup changé dans le temps, et elle est devenue multiple.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

La guerre est toujours une violence. Peut-être pourrait-on même dire qu’elle est le mot politique qui désigne la violence, tandis qu’il existe des violences qui ne sont pas politiques.

La guerre est, d’abord, une violence armée entre des états. Il faut qu’il soit un état pour qu’un pays fasse la guerre. C’est même souvent par la guerre qu’un pays devient un état. On l’a vu dans l’histoire de tous les pays, dont la France : la France est devenue une nation et un état à l’issue des guerres nombreuses qui ont façonné son territoire et qui l’ont amenée à s’imposer face à d’autres pays européens.

La guerre est aussi liée à la colonisation, elle se déroule entre un état et un pays qui entend le devenir. En Algérie, la France s’est affrontée à une guerre d’indépendance qui a duré de 1954 à 1962. L’Ukraine fait la guerre à la Russie, aujourd’hui, justement pour échapper à la colonisation et affirmer soin indépendance. La Palestine fait la guerre, depuis 1948, pour conserver son indépendance et se voir reconnaître le statut d’état dans l’espace public international.

Mondialisée, la guerre se déroule entre un état, ou un groupe d’états alliés et d’autres pays du monde, comme ce fut le cas en 1914-1918 et en 1939-1945, entre l’Allemagne et ses alliés et les autres pays comme les États-Unis, la Grande-Bretagne et la France.

Certaines guerres sont des guerres « civiles », ce qui désigne des guerres entre les citoyens (les cives) d’un même pays, entre des états et des régions qui souhaitent se séparer d’eux et instituer des états indépendants. 

La guerre est un champ d'expression des identités politiques et des identités nationales : une esthétique de la guerre se donne ainsi à voir, à lire ou à entendre. 

De nos jours, la guerre a changé de sens - ou, plutôt, de nouvelles pratiques politiques se sont vues reconnaître le nom de « guerres ».

Il s’agit, d’abord, des « guerres sociales ». Quand les revendications sociales, en particulier en matière de travail ou de droits sociaux, ont atteint un degré de violence devant des refus systématiques des pouvoirs avec lesquels devraient avoir lieu des négociations, quand les dialogues sont impossibles, a lieu ce que l’on appelle une guerre sociale. Ce fut, par exemple, le cas à Lyon au XIXème siècle, quand les canuts, les travailleurs des ateliers de tissage de la soie, se sont révoltés contre la menace de la perte de leurs emplois en raison de l’apparition de nouveaux « métiers à tisser ». On a parlé de la « guerre des canuts ». 

De semblables guerres sociales ont lieu de nos jours, devant la désertion des emplois industriels vers les pays pauvres ou moins riches qui consentent à des droits sociaux moins importants. Les suppressions d’emplois industriels ont entraîné de véritables guerres sociales, même si, de nos jours, ces faits de guerre ont perdu de leur violence.

Le conflit des retraites a suscité une véritable guerre entre les gouvernements Macron et les travailleurs de tous les métiers qui entendaient protester contre la diminution des droits sociaux liés aux retraites (âge, montant).

Comme il s’agit de domaines dans lesquels les affrontements politiques sont encore nouveaux, des guerres ont commencé à surgir au sujet de projets d’aménagement et de projets énergétiques contestés. C’est ainsi que des mouvements comme « Extinction rébellion » sont issus des contestations contre les menaces industrielles et technologiques sur le climat et le réchauffement. Les guerres écologiques de cette nature montrent que les militants écologistes connaissent un changement social majeur : alors qu’il s’agissait jusqu’à présent de militants plutôt pacifistes, car l’écologie était, notamment, issue de la contestation contre la guerre nucléaire, il s’agit de nos jours de militants ayant intégré la violence à leurs dispositifs de contestation et d’opposition. L’expression écologiste ne recule plus devant la violence, en guise de réponse aux politiques énergétiques et climatiques qui, elles-mêmes, sont devenues des politiques de violence - y compris de violences policières - de la part des pouvoirs.

On peut même, à ce propos,  remarquer une montée en violence sensible des politiques d’opposition comme des politiques de maintien de l’ordre, à mesure que les populations prennent conscience de la gravité des menaces environnementales, climatiques, énergétiques, auxquelles elles sont exposées, qui sont à l’origine de ce que l’on peut appeler la violence écologique, consistant à la fois dans la violence des projets et dans la violence de la protestation contre eux.

La guerre n’est pas seulement une violence collective suscitée par des événements ou par des choix politiques. Les relations individuelles entre les personnes, sont, elles aussi, l’occasion de violences de plus en plus fortes et radicales devenant des guerres. La vie familiale a toujours été un espace de violence, comme l’a montré toute la littérature : la violence familiale est même un des thèmes majeurs de la littérature depuis le début. La littérature, les arts du spectacle, les arts plastiques ont toujours constitué des modes de sublimation esthétique de la violence en proposant des représentations sous forme de guerres. Ce qui est peut-être nouveau, c’est l’invasion des médias par la violence, et, comme ils sont de plus en plus présents sous de plus en plus de formes diverses, c’est la transformation progressive de l’espace public en un espace guerrier.

Mais la contradiction apparaît ici entre le fait que la violence peut se définir comme la disparition de la parole, de l’écoute et de la communication et le fait que les médias, de plus en plus occupés par des représentations guerrières, ne jouent plus leur rôle de médiation.

C’est que l’on peut, justement, définir la médiation comme un espace d’expression et de représentation dont on attend qu’il mette fin à la guerre en empêchant, ou, au moins qu’il la suspende et la mette en question.

La guerre est la fin du politique et de l’échange de communication entre les personnes. On peut ainsi remarquer que la menace de la guerre se manifeste en même temps que la perte de relation et de langage entre les personnes ou dans les espaces publics. C’est pourquoi il y a une véritable urgence, de nos jours, à penser la guerre au lieu de l’ignorer ou de la dénier. Contrairement à ce que certains pensent ou veulent nous faire penser, ce n’est jamais par la guerre que l’on peut s'affirmer, car elle vise toujours à la disparition de l’autre, alors que c’est sur la reconnaissance de l’autre que se fonde notre identité.

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