Une anecdote pour commencer : j’ai appris ce matin comment les frelons asiatiques sont arrivés en France. Des femelles se seraient logées dans le fond de poteries garnies de paille, où il faisait bien chaud, afin d’y pondre et de passer l’hiver. Les poteries, importées de Chine, ont été amenées en France. Les frelonnes (et pourquoi pas après tout), après un repos fort agréable, ont fini par se réveiller sur un nouveau territoire. Et elles n’avaient pas l’intention de s’y laisser mourir[1]. Ce n’était pas de chance pour nos abeilles qui ont fait face à un nouveau prédateur pour le moins inattendu. C’était en 2004. Fut un temps, le frelon asiatique était sur toutes les lèvres. On craignait pour nos pollinisatrices. La peur au ventre et des notes haineuses dans la voix, on parlait d’invasion, de colonisation.
Ne nous méprenons pas, le frelon asiatique n’est pas responsable de la chute drastique de la population d’abeilles. C’est l’humain qui en est à l’origine. C’est lui qui importe des poteries. Lui qui a créé les néonicotinoïdes. Mais cette responsabilité est passée sous silence, détournée, atténuée à coup de phrases comme « le monde est ainsi fait » ou « oui mais cette poterie elle va quand même super bien sur la table basse tu trouves pas ? ». Mais j’aurais bien tort de placer la faute sur les épaules du quidam. La responsabilité est politique et ce sont bien nos gouvernants qui refusent d’agir pour la sauvegarde du bien commun en privilégiant le profit de quelques uns.
Le mépris de l’insecte, la faute au biais de stigmatisation ?
Le monde des insectes – 80% du règne animal – connait un déclin sans précédent. Les conséquences de cette disparition de masse vont être délétères[2]. Pourtant, cela nous inquiète peu. Quant à la classe politique dirigeante, elle semble n’en avoir rien à secouer. Ne soyons pas surpris, ce n’est pas la première fois qu’elle nous déçoit et qu’elle manque à ses responsabilités !

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Le mépris des insectes est le révélateur d’une idéologie qui, pour être nocive, continue néanmoins de façonner notre perception du monde. Les insectes, on les craint où on les écrabouille. Cela s’apprend dès qu’on est gosse. Ainsi de l’araignée qui déclenche des réactions phobiques chez beaucoup alors qu’elle est bien inoffensive - en métropole en tout cas. Délit de sale gueule. De même, que se passe-t-il lorsqu’une bestiole se pose sur nous ? Beuaaah, crie-t-on en s’époussetant avec des gestes paniqués ! Pourtant, on le sait bien que ce n’est pas la petite bête qui va manger la grosse ! On m’avancera, d’une voix pleine de ressentiment, que je ne me suis jamais fait piquer par une guêpe. Alors d’une : si. Et par tout un tas d’autres minuscules saloperies d’ailleurs, abeilles, moustiques, taons, mouches plates et autres individus non identifiés qui font pousser des jurons et se gratter parfois jusqu’au sang ! Quand on vit à la campagne, il vaut mieux en prendre son parti. De deux, l’entomologiste François Lasserre avance une explication plutôt intéressante dans un podcast passionnant où il témoigne de son enthousiasme pour le microcosmos[3]. L’esprit humain est ainsi fait qu’il retient les traumatismes. Piqués une fois par une guêpe, nous les assimilerons toutes à un danger. Cela se nomme le biais de stigmatisation. Il existe pourtant de multiples espèces de guêpes. Beaucoup sont inoffensives. Cela, nous l’ignorons. Nous ne sommes pas habituer à considérer cette faune minuscule.
Nous agissons ainsi envers un nombre incalculable d’insectes. Oh il y en a qui sont de vraies plaies, mouches et moustiques en tête quand vient l’heure de l’été ! Et soyons honnête, je n’hésite pas à tuer ceux qui me gênent. Mais les autres ? D’où nous vient ce réflexe de vouloir les exterminer à tout prix, quand si peu, si peu représentent une menace pour notre bien-être et notre santé ?
Une idéologie xénophobe
C’est que l’insecte est le représentant par excellence de la figure de l’Autre. Et celle-ci nous fait peur. Ainsi de l’araignée et de ses huit pattes. Et de tous les autres, pourvus de trompes, crochets et yeux en pagaille dont l’étrangeté nous fait frissonner. Notre espèce a vite les miquettes devant un être qui ne lui ressemble pas. Une seule solution : l’extermination. Manque de bol pour les insectes, ils sont tout petits. Obnubilés que nous sommes par la taille et la puissance, on a vite fait de les mépriser. Si ça ne suffit pas, on dira qu’ils sont dégoûtants, sales, oubliant complaisamment à quel point nous pourrissons notre environnement. Comme le dit le proverbe, au lieu de regarder l’allumette dans l’œil du voisin, regarde la poutre qui est dans le tien. Pour information, si les cafards nous suivent dans l’ombre, c’est pour se nourrir de nos déchets.

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Il y a donc la peur à l’origine de ce mépris des insectes. Il y a aussi l’anthropocentrisme. Notre culture occidentale a toujours placé l’homme (blanc) au centre de l’univers. À ce titre, la Bible et Descartes ne nous ont pas aidés ! Ce qui m’amène à une nouvelle anecdote. Il existe un papillon, en Amérique du Nord, que nous avons appelé le Monarque. Chaque année, ce petit volatile effectue une migration de plus de quatre mille kilomètres, du Canada jusqu’au Mexique. Quel périple extraordinaire ! Or cette population est en chute libre : elle a décliné de 86% depuis les années 1980[4]. En cause, les pesticides, la monoculture, la destruction de leur habitat et … la construction du mur voulu par Trump -et poursuivi par Biden- sur la frontière entre les États-Unis et le Mexique. Les papillons ne volant pas assez haut, leur voyage est empêché par le triste édifice. On en serait presque venu à oublier que la migration est un phénomène naturel. Mais l’espèce humaine, trop souvent, croit être le centre du monde au détriment de tous les autres vivants.
Et parfois de ses congénères eux-mêmes. Dans cette excellente émission déjà citée plus haut, Sous le soleil de Platon, dont l’invité était François Lasserre, Charles Pépin mobilise un extrait audio puant dans lequel Pascal Praud tente d’établir une corrélation entre la récente invasion des punaises de lit et la présence d’immigrés sur le sol français. Question d’hygiène. On le voit bien, dans l’esprit de cet individu, les insectes comme les immigrés sont réunis sous l’étiquette de vermine, de nuisibles à exterminer. Le biais de stigmatisation est là. La peur aussi. Cela ne justifie toutefois pas cette abjection ni le fait que la TNT continue l’année prochaine de diffuser ses propos. Mais c’est là un tout autre sujet. François Lasserre est consterné par cet extrait. Lui qui s’émerveille des petits êtres qui nous entourent, toujours prompt à les observer, curieux de découvrir leur culture et leur fonctionnement, ne risque pas de comprendre le discours d’un être aussi étriqué. Petit, en somme, mais d’une toute autre façon. L’entomologiste rappelle alors une chose essentielle : il est beaucoup plus apaisant d’être curieux de l’autre, de l’étranger que d’en avoir peur ! C’est tellement vrai.
De la redéfinition du nuisible
Les libellules possèdent trente mille yeux. Les tympans des sauterelles se situent sur leurs tibias. Les ailes d’un papillon de Thaïlande reproduisent le dessin d’une araignée pour faire fuir leurs prédateurs[5]. Après trois ans passés à l’état larvaire, les éphémères ne vivent que quelques heures. Leurs ailes ne peuvent se replier, ils se reproduisent en volant. J’ai longtemps considéré les insectes au pire comme des nuisibles, au mieux comme des choses inutiles que j’écrasais sous ma semelle sans y faire attention. Je ne suis pas la seule. Même le papillon, réputé pour sa beauté, s’est fait épingler pendant des siècles par des naturalistes passionnés. Ce monde-là est pourtant pluriel et regorge de beauté.
Poursuivons avec des anecdotes nettement moins poétiques. De grands industriels travaillent à de nouvelles générations de néonicotinoïdes. Dans le respect de normes adaptées à leurs exigences, ils pourront les commercialiser afin de générer du profit, au mépris de la destruction des sols et des insectes dont, in fine, nous dépendons pourtant. L’extrême-droite, tout aussi favorable à ce type d’économie, ignorante de l’urgence écologique, distille toujours plus sa haine et son mépris de l’autre. Leur projet à tous est commun en définitive : dans un monde qu’ils rêvent sans doute blanc et consanguin, le flingue rangé dans le placard, juste à côté de la bombe insecticide, ils rêvent de profits, de puissance et de supériorité. Ils ignorent cette vérité toute simple : un monde riche, diversifié et beau ne peut l’être que grâce à des cultures variées, dans tous les sens du terme. Les nuisibles ne sont pas ceux que l’on croit. Ils ne se cachent pas dans les sous-sols ou entre deux lattes de plancher. Ce ne sont pas ceux qui essaient de migrer. La vraie vermine n’enrichit pas notre monde, elle le détruit tout en masquant ses responsabilités.
[1] « Exterminer et préserver », Des insectes et des hommes, LSD, France Culture, Jeudi 03 août 2023 : https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/lsd-la-serie-documentaire/exterminer-et-preserver-5577931
[2] Les sources ne manquent pas pour étayer ce fait : https://www.mnhn.fr/fr/le-declin-des-insectes-met-en-peril-le-vivant
[3] « Et si nous apprenions à respecter vraiment la vie (des insectes) ? », Sous le soleil de Platon, France Inter, Jeudi 1er août 2024 : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/sous-le-soleil-de-platon/sous-le-soleil-de-platon-du-jeudi-01-aout-2024-4406417
[4] Mesures effectuées en Californie https://www.geo.fr/animaux/la-population-de-papillons-monarques-a-chute-de-86-en-un-an-en-californie-194063
[5] https://www.wax-science.fr/le-papillon-araignee-lygodium-ou-lart-de-se-camoufler/