Le croyant et l'athée, le musulman et le chrétien, le catholique et le protestant peuvent l'accepter, mais ils ne s'entendront pas sur «ce qui est couramment admis». Toujours l'apparente convergence masque les réelles divergences. On peut cependant tenter d'inventer une définition qui résolve ces divergences. Par exemple: est hérétique toute personne dont la doctrine vaut pour tous et n'est acceptée que par elle-même. En ce cas, peut importe ce qui est couramment admis par une personne, un groupe, une nation, un empire. Est alors hérétique toute personne qui refuse d'adhérer sans la questionner, sans en questionner les fondements, toute opinion considérée couramment admise.
Finalement, ou nous sommes tous hérétiques, ou nul ne l'est: tous nous le sommes car nulle opinion ne peut tout uniment être considérée comme couramment admise; nul ne l'est si nous nous accordons sur le fait que nulle opinion n'est tout uniment couramment admise. Le croyant sait qu'il y a l'athée, l'athée sait qu'il y a le croyant; le musulman sait qu'il y a le chrétien, le chrétien sait qu'il y a le musulman; le catholique sait qu'il y a le protestant, le protestant sait qu'il y a le catholique.
Chacun peut vouloir que disparaissent, par la conversion, l'exil ou la mort, tous ceux qui n'admettent pas son opinion comme celle couramment admise, et puis? Une fois qu'ils auront tous disparu, se posera le même problème: je suis catholique et tu es catholique, mais je suis janséniste et tu est quiétiste: admettons nous la même opinion? Je suis musulman et tu es musulman mais je suis chiite et tu es sunnite: même opinion? Je suis athée et tu es athée, mais je tolère le croyant et tu ne le tolères pas: même opinion?
Acceptons d'être tous hérétiques, pour que nul ne le soit.