Parler de « fraternité » renvoie aujourd'hui dans les milieux féministes et militants à différents vocables censés déconstruire le vocabulaire construit par les hommes et le patriarcat. Ainsi « Sororité » renvoie à la relation entre « sœurs » comme « Fraternité renvoie à « frères ». Bref chacun·e chez soi dans son genre mais pour inclure tous les genres et ceux qui ne se reconnaissent dans aucun, « Adelphité » renvoie à tous et toutes et non binaires qui ne veulent ni du féminin ni du masculin des mots : « Le terme d'adelphité cherche à dépasser ceux de fraternité (jugé trop masculin, voire sexiste et n'incluant pas toutes les personnes et de sororité (mot également limité car n'englobant que les femmes). »
Faudrait-il changer la devise républicaine pour sa troisième composante en remplaçant « Fraternité » par « Adelphité » ou encore «Solidarité » ? Pour ma part c'est bien « solidarité » qui me paraît le plus porteur de droits à développer.
Quand on lit notre devise républicaine, « Liberté » renvoie à des libertés prévues (ou interdites) par le droit. Il en est de même avec « Egalité » qui par la déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen a renvoyé à l'égalité en droits. Il n'en est rien avec « Fraternité » qui, outre le fait qu'il est devenu en ce temps un terme uniquement masculin pour les jeunes générations, ne renvoie pas à un ou des droits mais a un principe aujourd'hui aseptisé ou une coquille vide pourtant présent dans tant de déclarations de principe, main sur le coeur, qui n'engagent à rien. Au surplus, « Fraternité en droits » ne conduirait qu'à une police des mœurs ou une citoyenneté officielle conforme à la « morale » obligatoire et étriquée du Pouvoir en place, quel qu'il soit.
Je suis d'une génération qui met ou mettait en « fraternité » la possibilité de se trouver dans une relation bienveillante et chaleureuse avec quiconque, qui appelle l'autre dans sa différence à nouer une relation, ouvrir une porte et l'horizon.
Dans ce monde de compétitions, de rivalités, la solidarité est souvent vue comme improductive et affective quand elle est souvent bien plus efficace qu'une compétition entre individus livrés à la voracité des rapaces qui mènent le monde (ils ont pour devise réelle : cupidité-voracité- concupiscence). La « fraternité » n'est plus appréhendée que comme un mot vide et inutile voire négatif pour proclamer des valeurs jamais incarnées : par ce mot proclamé à maintes occasions, surtout ne s'engager à rien. Je l'ai rencontré quelquefois au cours de mes reportages et chroniques dans des occasions peu prévisibles qui me font toujours l'effet d'une belle surprise dans un océan d'indifférence.
L'horizon d'une société plus juste et égalitaire recule sans cette relation bienveillante et chaleureuse qui rend possible la solidarité et l'avancée sociale qui ne peut être réduite à des droits, aussi nécessaires soient-ils, gravés dans le marbre. A défaut, la susceptibilité aiguisée, un langage cassant, l'agressivité verbale ou l'indifférence semble la remplacer. Bien triste avenir !
Autrefois, il y eut bien plus de pauvreté quotidienne pour une large partie de la population pendant les soixante-dix ans du XXème siècle (qu'a toujours vécue ma famille maternelle) mais il y avait au sein des classes laborieuses bien plus d'attention aux autres pour partager des services, des moments, des « faire ensemble » autour de soi pour résister et survivre aux temps difficiles et pas seulement dans son petit clan, son organisation - les yeux rivés sur son portable - où on se sent reconnu·e et partageur d'un vocabulaire commun qui exclue les non-initié·es. Serai-je donc le « dernier des Mohicans » à croire que la fraternité avaient du sens dans une pratique quotidienne sans verser dans ce fallacieux « c'était mieux avant : » révélateur d'un raisonnement binaire comme l'est « tout était pire avant » ?
Que construit-on – si on construit – en dehors d'une fraternité sans frontière et de proximité ?