Utopie c'était hier à l'âge de mes vingt ans, un autre monde... Nous en rêvions pour que demain puisse être meilleur. Aujourd'hui tout est dystopie pour dire le futur quand l'avenir semble si limité. Pas de quoi en rêver sinon en cauchemar comme si demain serait irrémédiablement pire qu'aujourd'hui.
Ne serait-il pas un peu complaisant de décrire ce futur imaginaire ou probable à l'aune du présent qui n'intègre ni l'aléa ni l'irruption de l'imprévu, ni la force de l'espérance mobilisée pour bousculer ce vieux monde ? Un peu complaisant de suivre la courbe du probable indéfiniment prolongée comme pour se rassurer à bon compte du tournant délétère qui paraît venir à celui ou celle qui ne voit rien d'autre ? Un peu complaisant de suivre cette pente douce qui nous amène à accepter ce que jadis nous refusions comme pour peu à peu s'habituer à ce qui ne doit jamais l'être ?
Pourtant l'utopie est fille de nos espérances et mère de nos espoirs insensés de croire que notre société, le monde peut évoluer en mieux et en durable. Il n'y aurait plus d'utopie dans ce monde sinon des rêves individuels qui se réalisent par exception ou, pour la plupart, se brisent sur le réel de nos vies, de leurs assignations ? L'impossible rêve est-il si loin de nos utopies que nous ne puissions plus y puiser nos forces, nos joies, notre détermination à bousculer les prédictions des échéances tristes comme les contraintes dites insurmontables ?
Je n'y crois pas et même en mon âge avancé, même avec ce cuir tanné et bosselé qui me tient lieu de peau, je n'y crois pas : La dystopie dominante nous condamne à être spectateur, à attendre toujours le pire pour se dire que nous l'avions bien dit, bien vu par avance. Elle veut nous condamner à accepter le monde tel qu'il est pour glisser du pire à pire.
Nenni, l'utopie est l'horizon de notre devise républicaine vibrante de nos différences : liberté est à écrire et vivre au pluriel pour ne pas s'en tenir au singulier proclamé partout et même par ceux qui les limitent en feignant de la défendre. Egalité conjuguée avec inclusivité bien réelle qui intègre la diversité sans que rien ni personne ne se proclame supérieur. Fraternité, sororité, adelphité qui n'est pas limitée à un entre-soi d'organisation ou de réseau mais s'adresse à toutes et tous pour que toutes ces différences dessinent l'arc-en ciel.
Cette utopie a révolutionné le monde. Elle est plus que jamais actuelle à s'incarner dans la vie quotidienne, dans les combats pour la justice, dans la main tendue par-delà nos différences, qu'elles surprennent, laissent rêveur ou nous donnent à rêver.
L'utopie n'est pas synonyme d'illusions qui ne durent qu'un temps. Elle est mobilisatrice où elle n'est pas. Elle est plus que jamais à l'ordre du jour de chacun·e de nous, pour faire vivre, advenir un autre monde, déjà autour de nous, avec d'autres, avec beaucoup d'autres parfois et même si les pouvoirs n'en veulent jamais sinon dans leurs creuses formules. Ce monde que nous voulons, nous en puisons la force dynamique dans cette utopie de lendemains bien meilleurs qui ne s'éteindra jamais, qui est force de la vie et rédemption aux épreuves du chemin bordée d'épines pour cueillir ses roses qui ne se fanent pas.
L'utopie c'est l'urgence pour changer ce qui sera. L'urgence c'est l'utopie pour résister, lutter et mobiliser toujours plus largement bien au-delà de ses réseaux pour transformer ce monde qui se perd, en monde qui se trouve, devenu enfin humanité.