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Au nord-Ouest de Lille, les Bois Blancs s’étendent en presqu’île entre deux bras de la rivière « Deule ». Un quartier que je connais puisque accolé à ma ville natale, mais aussi un des lieux de mon militantisme de jeunesse.
A l’origine, c’est un « petit village » vivant où se côtoient, avec sympathie, familles ouvrières et familles algériennes issues de l’immigration. De petites entreprises diverses y foisonnent. L’usine d’électricité et gaz du nord s’y installe. Les filatures y sont florissantes.
Parallèlement à l’activité économique en plein essor, des logements ouvriers se construisent et le coin s’anime autour d’estaminets, de jardins partagés, d’équipements collectifs, avec la participation active de la population dans tous les domaines de la vie. C’est dire si la solidarité humaine y tient une place prépondérante.
L’histoire du vivre-ensemble se raconte de génération en génération, transmettant la mémoire vive de l’endroit et racontant son âme profonde… l’âme ouvrière du textile !
Le coup fatal est donné avec la fermeture de la dernière filature. Le quartier se transforme peu à peu en village dortoir, végète et se dégrade. Cependant, les habitant·e.s n’abandonnent pas leur héritage humain, culturel, sportif, social, et toute cette solidarité d’ouverture au monde construite jour après jour depuis bien des décennies.
Pendant quelques années, les associations continuent leur travail de terrain et s’interrogent aussi sur le devenir du quartier. C’est là qu’émerge un terme brutal et quelque peu barbare que l’on s’efforce surtout à ne pas prononcer, mais dont le déroulé sournois se met en place progressivement : la gentrification.
Un mot apparu dans les années 1960 sous les écrits d’une sociologue britannique Ruth Glass. Un phénomène en œuvre à Londres et dont le nouveau mot issu de « gentry » se traduit littéralement en français par « petite noblesse ». Sa mise en œuvre supprime, au fil du temps, toute cohésion sociale, puisqu’il est tout l’opposé de mixité sociale.
Peu à peu, l’ « embourgeoisement » s’incruste et l’attractivité du quartier mute. Un pôle d’innovation numérique, incubateur de start-up, voit le jour dans les ruines des bâtiments textiles abandonnés. Une place, un immense lieu de détente et un écosystème s’aménagent, la plaine des vachers. Quelques réhabilitations mobilières ici. Là, d’autres en phase de destruction. De toute façon, l’espace libéré ne sera plus accessible aux familles modestes qui, de fait, partent se replier en zones péri-urbaines.
C’est ainsi que l’histoire de la classe ouvrière bouge, au rythme des choix politiques et des intérêts financiers. Un exode qui n’en finit plus !
Pourtant, des évènements nouveaux viennent perturber ce paysage que certain·es voudraient ne voir qu’idyllique. Depuis le mois d’avril, une soixante de jeunes migrants mineurs vivent dans un camp de fortune, dans les fourrés de la vaste plaine des vachers. Epaulés par Utopia 56, ils se font invisibles et attendent la reconnaissance de leur minorité ainsi que la prise en charge par l’état et le département. Un titre qui tarde à venir.
Alors, les habitants fidèles à leurs convictions passées (et encore ancrées au plus profond d’eux-mêmes) sont de plus en plus nombreux à leur venir en aide journellement, par des gestes de solidarité. Ils sont environ une centaine à se relayer et à s’organiser pour répondre à leurs besoins quotidiens, afin qu’ils puissent vivre en toute décence et dignité. Un café accueille les migrants pour la douche. Des habitant·es proposent aux jeunes des soins, des repas, des lessives… Ils sont maintenant une centaine à se relayer dans ce bel élan de solidarité !