Billet de blog 2 décembre 2016

Célestine

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LES CARAVANES DE L'ÉGALITÉ, LIEUX DE PAROLES ET D'ÉCHANGE

Les caravanes de l'égalité des droits ont sillonné la France cet été, sous la responsabilité de Mathilde Panot. C'est une innovation de Jean-Luc Mélenchon et de sa France insoumise. Les mauvais jours, le froid et la pluie ne découragent pas les groupes d'appui de planter leur caravane dans les quartiers populaires de Paris pour y mener ce nouveau mode d'action citoyenne.

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Il pleut sur la colline de Belleville. Nous sommes sur le Belvédère qui domine tout Paris, à la limite la plus haute du parc de Belleville. Le panorama est encore plus impressionnant que depuis la colline de Montmartre car la vue est plus dégagée. Pourtant le ciel est plombé et bientôt nous aurons froid.

Pour témoigner du travail de fourmi que font les Insoumis avec les "Caravanes de l'égalité"(1), je suis venue recueillir la parole de ceux du groupe d'appui Pyrénées-Ménilmontant, qui sillonnent ces quartiers très populaires du 20e arrondissement de Paris. Leurs impressions, leur expérience, parfois toute neuve, seront mon fil conducteur.

Des droits que beaucoup ignorent

 Ils sont une bonne douzaine aujourd'hui. Si quelques-uns sont militants du Parti de gauche, depuis sa création, d'autres n'adhèrent à aucun parti; ils font leurs premiers pas dans l'action citoyenne et dans l'engagement en politique. 

Annabelle et Guillaume ont suivi une formation au mois de septembre, avec Mathilde Panot pour se roder dans l'organisation des caravanes de l'égalité. Ils ont partagé cette toute nouvelle compétence avec leurs camarades du groupe d'appui Pyrénées-Ménilmontant et tous ont organisé déjà deux caravanes. Une prochaine est prévue en décembre, bien d'autres seront organisées d'ici aux élections présidentielles et législatives.

Ces caravanes ont deux objectifs : en premier informer sur les droits civiques, soit l'inscription sur les listes électorales – cela doit être fait avant le 31 décembre – et le second objectif est d'informer les gens sur leurs droits sociaux (2).

Pourquoi les droits civiques? On peut lire sur le site “jlm2017.fr”, que 3 millions de personnes ne sont pas inscrites sur les listes électorales en France et 6,5 millions sont mal inscrites pour de multiples causes.

Le groupe veut également inciter les gens à voter lorsqu'ils sont inscrits et ne se déplacent pas au moment des élections.

C'est ainsi que les emplacements pour la caravane sont choisis : quelqu'un du groupe s'informe sur les secteurs où les taux d'abstention sont élevés, en scrutant les bureaux de vote et en comparant le nombre d'inscrits et le nombre de votants, et aussi, là où il y a beaucoup de logement sociaux. 

Annabelle et Guillaume précisent "Pour inciter les personnes qui ne votent plus à reconsidérer leur position, nous leur disons qu'ainsi ils laissent les autres décider pour eux, qu'ils perdent une chance de donner leur avis. La dignité peut donc être une motivation pour de nouveau exercer ses droits" ajoute Guillaume. 

On sait que la désaffection des bureaux de vote est bien souvent le dégoût du "Politique", le sentiment de ne pas être écouté et encore moins entendu et de se sentir trahi depuis plusieurs décennies. Pour ceux qui ne sont pas inscrits sur les listes électorales il y a les mêmes réactions : certains se disent que cela ne sert à rien de voter car ils se sentent impuissants, d'autres qu'ils ne savaient même pas que l'on devait s'inscrire, quelques-uns, plus rares seraient pour tout fiche en l'air, ce qui ne cadre pas avec la révolution citoyenne. La grande satisfaction pour ces Insoumis, c'est d'avoir l'occasion de parler avec les gens, ils le diront tous, faisant également part de leur propre plaisir à pouvoir s'exprimer eux-mêmes. 

L'information sur les droits sociaux leur semble aussi, sinon plus, importante. Combien de leaders politiques se plaisent à faire remarquer que la fraude sociale est le problème en France. Ils sont relayés par les grands médias qui se font un plaisir de colporter largement ce type d'assertion. Il y en a certes, cela représente 4 milliards d'euros, mais il est intéressant de mettre ces 4 milliards en perspective avec la fraude patronale – 16 milliards – et la fraude fiscale – 80 milliards (site “jlm2017.fr) 

Par contre, Laurent me fait remarquer: "Il y a des millions de gens qui ne sont même pas au courant de leurs droits, et rien que le RSA non distribué représente plus de 5 milliards d'euros (jlm2017.fr) Nous avons eu par exemple, lors de la précédente caravane la visite d'un couple, parents de 6 enfants. Ils pensaient n'avoir droit à rien. Nous avons fait une simulation sur le site " https://mes-aides.gouv.fr" et compte tenu de leur situation, seul le père travaille, les six enfants sont tous scolarisés, ils avaient droit, en cumulant plusieurs aides, à 1300 € d'aides par mois"

Le discours sur l'assistanat dissuade bien des gens de faire des démarches pour obtenir ce que la loi les autorise à solliciter. Il y a aussi les grandes difficultés de la vie quotidienne, intervient Guillaume "Beaucoup de gens sont en mode survie, leur principale préoccupation c'est de nourrir leur famille, payer le loyer, ne pas perdre leur boulot, lorsqu'ils en ont un, assumer, en plus du travail, les trajets domicile travail. Tout cela ne leur laisse guère de temps pour faire des démarches, qu'elles soient au bénéfice d'un mieux social et encore moins d'un changement politique, dont ils se sentent éloignés, qui ne les concerne pas, pensent-ils. C'est pour cela que grâce à la caravane nous pouvons faire un travail en profondeur et donner des informations fiables et de qualité". Annabelle ajoutera que beaucoup n'osent pas, par pudeur autant que par ignorance, car plus de personnes qu'on ne pense ne sont pas informées.

Des candidats pour les législatives

Si bien des Insoumis de Pyrénées-Ménilmontant sont hors parti, Joël qui a créé ce groupe d'appui était lui un membre du Parti de gauche. Mobilisé et engagé depuis sa jeunesse dans des mouvements de protestation comme dans les manifestations contre la loi Devaquet (3), alors qu'il était à l'université, il n'était pas inscrit dans un parti politique jusqu'en 2005 au moment des grandes discussions sur la Constitution européenne. "Puis Sarkozy est sorti du bois, j'ai adhéré au PS et j'ai fait la campagne de Ségolène Royal en 2007. J'ai très vite perdu mes illusions, car je me suis rendu compte que j'étais uniquement considéré comme un tâcheron, comme d'autres militants et que nous n'avions aucune possibilité de nous exprimer. Quand Jean-Luc Mélenchon a quitté le PS et a créé le Parti de gauche, je connaissais un peu Danielle Simonnet (4), il m'a été proposé de rejoindre le PG, dont je reste sympathisant. Je me suis également investi dans le M6R (Mouvement pour la 6e République) et j'ai lancé un groupe dans le 20e arrondissement" 

Joël poursuit "La création du mouvement des Insoumis est une grande chance. Chacun s'y sent libre de faire plein de propositions sans se sentir obligé d'appliquer les consignes. Dans le groupe je n'impose rien. Je crois que chacun a le sentiment, qu'avec Jean-Luc, il y a une opportunité à saisir et que nous devons mettre le paquet. Après avoir d'abord été dans le groupe d'Elise, très sympathique, j'ai créé celui-là. Et très vite il a grossi, en partie parce que nous n'avons pas de carcan. Nous faisons de l'affichage régulièrement, du "tractage" aussi, mais la caravane c'est beaucoup plus efficace car les gens prennent le temps de s'arrêter, de discuter et j'espère que toutes les personnes que nous aurons convaincues d'aller voter, voteront pour Jean-Luc Mélenchon".

Le programme élaboré à partir de L’humain d’abord, de 2012, est sorti le 1er décembre. Ce document va étayer le dialogue, l'argumentation et certes, faciliter le travail de tous. En plus du programme il y aura cinquante cahiers, en cours d'écriture, qui détailleront les cinquante thèmes choisis. Ils seront d'utiles feuilles de route pour les membres du gouvernement, si Jean-Luc Mélenchon est élu, et peut être aussi pour les parlementaires à l'Assemblée nationale. D'ailleurs Joël, qui est gardien de prison (je n'aurais pas imaginé un gardien de prison avec un regard aussi amène, les préjugés ont la vie dure) travaille avec le groupe chargé de l'écriture du cahier "Justice et libertés" et il a également décidé de se porter candidat à la candidature de député de sa circonscription.

Pierre se présente aussi, "Je trouve important que des citoyens s'engagent jusqu'au bout, mais je me présente dans un état d'esprit tout à fait serein, et si ma candidature n'est pas retenue ce n'est pas grave. Je fais partie du groupe depuis février, avant je n'étais pas engagé politiquement, j'étais juste membre d'un réseau RESF (Réseau Éducation Sans Frontière) pour défendre les élèves sans papiers du collège dans lequel je travaillais à l'époque. Mais j'ai pensé que les gens comme moi devaient faire quelque chose pour que ça change" Il est secrétaire de direction dans un collège du 20e et participe aussi, professionnellement, très activement à la vie de son établissement. 

Constance, c'est l'écrivaine du groupe, c'est naturel : elle écrit des pièces de théâtre, elle a fait de la mise en scène et souhaiterait continuer, mais elle aime aussi enseigner; elle enseigne le français et l'anglais dans une entreprise qui propose des cours particuliers. Se présenter pour les législatives la taraudait bien, surtout qu'elle a fait partie des tirées au sort pour la Convention de Lille, mais: "Je prépare le CAPES dont l'écrit a lieu en avril, c'est un enjeu important, pour mon avenir, et puis si je peux enseigner je préfère enseigner dans le public. Je débute en politique avec ce groupe depuis sa création, avant je n'ai jamais milité, je trouve passionnant les relations avec les gens qui viennent s'informer, grâce à la caravane, parfois sur leurs droits, mais qui sont toujours intéressés par ce que nous faisons. Les échanges finissent d'ailleurs souvent en discussion politique". Constance écrit donc les textes de relance pour informer de la prochaine caravane mais aussi les lettres administratives destinées à la préfecture pour obtenir l'autorisation de s'implanter à l'endroit choisi, avec qui, etc.

Parler avec les gens, c'est formidable

L'autorisation en préfecture c'est Delphine qui se charge d'aller la déposer. Maintenant on la connaît, elle attend dix minutes et elle repart l'autorisation en poche. Elle non plus n'a jamais milité, elle faisait confiance, elle votait "contre", dans l'opposition du système, soit avec le NPA, pas par conviction mais pour un vote fort "contre", soit, comme elle l'a fait en 2012 pour Jean-Luc Mélenchon, candidat du Front de gauche, mais pas tout à fait "pour". Aujourd'hui elle adhère aux idées jusqu'à se porter candidate pour les législatives.

Elle m'explique "Les idées de Jean-Luc Mélenchon sont aujourd'hui les miennes. En 2012, j'ai voté pour lui, mais je me méfiais un peu de lui parce qu'il venait du PS et je me méfiais aussi du Front de gauche, cartel de partis, avec le Parti communiste qui me semble, tout compte fait, bien intégré dans le système. La France insoumise c'est formidable, nous n'avons pas de carte, pas de hiérarchie et nous faisons plein de choses. Au début j'avais un peu peur de parler, aujourd'hui je trouve cela passionnant, les gens parlent avec nous, même s'ils ont leurs écouteurs sur les oreilles, ils les enlèvent, nous disent ce qu'ils pensent, du monde, s'ils sont en phase avec les propositions de Jean-Luc Mélenchon, ce qui est souvent le cas. Alors oui je me présente pour être candidate, je veux aller jusqu'au bout. Il faut que les représentants de la société civile se mouillent, que nous soyons responsables. Un député c'est quelqu'un qui doit représenter les gens, les écouter, les défendre, leur rendre des comptes. J'habite le 20e depuis longtemps, je ne connais pas mon député (5), c'est vrai que je n'ai pas cherché, mais on ne le voit jamais sur les marchés, ni dans les portes ouvertes des artistes, nulle part, c'est dommage!" 

Delphine n'a pas découvert le monde tel qu'il est depuis qu'elle est dans la France insoumise et qu'elle s'active dans le groupe de Joël. Dans son monde professionnel, le théâtre, le monde on le fait parfois mais aussi on le regarde et on l'intègre, tel qu'il est, pour le raconter aux spectateurs. Elle aussi est consciente du fait que beaucoup de gens sont en mode survie, ils sont plusieurs à l'avoir constaté. Ils ne rencontrent, les uns et les autres, personne dans ce quartier qui se dise "chouette je vais travailler jusqu'à 70 ans, ou je vais travailler plus pour gagner plus". Non les gens sont plutôt inquiets et réceptifs aux arguments de ces nouveaux "parleurs" de politique, que ce soient des mamans, des retraités, même des dealers – Joël me parlait de quelques-uns d'entre eux qu'il a réussi à sensibiliser – ils et elles parlent avec tout le monde. 

C'est aussi ce "tout le monde" qui représente pour Delphine, et ses camarades, une vraie source d'information sur les besoins réels de notre société et c'est en les convainquant que l'on a besoin d'eux, de leurs interpellations, que nous parviendrons à faire évoluer cette société dans un sens plus égalitaire.

Comme je lui demandais si elle estimait nécessaire qu'il y ait une formation pour les futurs candidats aux législatives, Delphine préfère une autre solution "J'aime bien la méthode Mélenchon des auditions programmatiques. Pourquoi ne pas organiser des auditions programmatiques avec des députés pour connaître leur formation, leur mode de fonctionnement, à quoi leur servent leurs assistants parlementaires, leurs motivations. J'ai peur que dans une formation on nous donne des recettes, c'est justement ce que je ne veux pas et que je trouve formidable dans la France insoumise car on ne nous donne pas de recettes, et avec les caravanes on est là, devant les gens avec notre seul bagage, nos découvertes, nos nouvelles connaissances de la politique et nos propres analyses." 

Loin de la dévotion envers Jean-Luc Mélenchon, Delphine enthousiasmée par le mouvement garde certaines réserves, sur la croissance par exemple mais elle adhère totalement au programme sur l'écologie qui lui paraît fondamentale, elle a aussi une grande curiosité.

La curiosité, c'est aussi ce qui a motivé la venue très récente de ce jeune homme de 27 ans qui vient du 16e arrondissement, qui lui non plus ne s'était jamais engagé avant. Il y a bien un groupe d'appui dans le 16e mais ils est moins actif que celui-ci. Pour le moment il parle avec Emmanuel. 

Emmanuel fait partie des gens qui ont de l'expérience et une connaissance de la politique. Il a été nommé pour participer à la Convention de la France insoumise du mois d'octobre, alors que 4 ou 5 autres membres du groupe ont été tirés au sort. Il nous explique qu'il y a une résistance cachée chez les personnes qui s'abritent derrière la personnalité de Mélenchon lorsque ces personnes doutent de pouvoir voter pour lui, même si elles approuvent ce qu'il propose. 

Ce qui lui semble clair et évident :"Jean-Luc Mélenchon n'a pas un comportement d'automate comme bien d'autres et il a la grande majorité des médias contre lui. Il est invité partout, oui, parce qu'il fait de l'audience, il n'empêche que les médias se conduisent en vrais chiens de garde avec lui. Ceux qui lui reprochent d'être un vieux routier de la politique oublient, volontairement, une dimension importante. Nous voulons gagner, nous voulons pouvoir changer notre vie et le système, changer de Constitution par exemple et passer à une 6e République. Pour gagner nous avons besoin de quelqu'un qui ait de l'expérience, quelqu'un qui veut gagner et qui propose un programme audacieux et cohérent."

Jean-Luc Mélenchon est cette personne et la France insoumise un mouvement bien ancré dans le réel.

 Claire Delaroche, Insoumise.

(1) Caravanes de l'égalité : "https://d3n8a8pro7vhmx.cloudfront.net/plp/pages/8669/attachments/original/1474463060/Kit_Caravane-V03.pdf?1474463060"

(2) Pour connaître ses droits : "https://mes-aides.gouv.fr"

(3) Le projet de Loi Devaquet, sous le deuxième gouvernement Chirac en novembre 1986, visait la réforme des universités: il comportait notamment de sélectionner les étudiants à l'entrée des universités et d'organiser la concurrence entre chaque université. Après des mouvements étudiants et lycéens très importants, réprimés par la police, et marqués par la mort de Malek Oussekine tué par des "voltigeurs" de la police, le projet a été retiré le 8 décembre 1986.

(4) Danielle Simonnet, conseillère de Paris : dans le 20e en 2014, nous avons pu 

voter au second tour des élections municipales selon nos convictions, nous les Insoumis de l'arrondissement, puisque Danielle Simonnet, qui conduisait la liste Front de gauche, avait fait plus de 10% au premier tour. Et elle a donc été élue conseillère de Paris. Elle est présente pendant cette caravane, comme souvent sur le terrain pour soutenir les militants de la France insoumise.

(5) Le 20e arrondissement comprend 3 circonscriptions: 

- la 15e sur le nord-est dans laquelle George Pau-Langevin (PS) avait été élue en 2012, a été remplacée, lorsqu'elle est devenue ministre, par sa suppléante, Fanélie Carrey-Conte, de juillet 2012 au 30 septembre 2016, puìsque Mme Pau-Langevin vient de récupérer sa circonscription;

- la 6e qui est à cheval sur la partie nord-ouest du 20e et une partie du 11e, dans laquelle Cécile Duflot ( EELV), propulsée par le PS, a été élue;

- la 8e pour la partie sud du 20e, avec une grande partie du 12e où Sandrine Mazetier (PS) a été élue.

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