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Billet de blog 13 mai 2011

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France Télécom et Tarnac, le même mépris de l'Etat pour le droit

L'article de Karl Laske sur les écoutes de Tarnac témoigne d'un comportement de l'Etat oublieux des règles de droit à l'égard des inculpés comme à l'égard d'un technicien de France Télécom, dont ce même Etat est actionnaire majoritaire.

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L'article de Karl Laske sur les écoutes de Tarnac témoigne d'un comportement de l'Etat oublieux des règles de droit à l'égard des inculpés comme à l'égard d'un technicien de France Télécom, dont ce même Etat est actionnaire majoritaire. L'actualité sociale de cette entreprise égrène les drames auxquels cet Etat semble assez étonnamment incapable de prendre des mesures énergiques qu'il sait pourtant prendre à l'égard de particuliers.

Le droit est manifestement bafoué dans ces écoutes.

Ce mépris de la loi est susceptible d'éclairer le ressenti des salariés de France Télécom à l'égard de leur actionnaire majoritaire. Les interrogations que soulève l'affaire de Tarnac permet de déceler les approximations d'un Etat et d'une direction qui ont pour défenseur un avocat qui nie l'existence de tout mal-être, pas seulement à France Télécom.

La violation des droits de l'homme et des libertés fondamentales

Le secret des correspondances garantit une liberté individuelle, le respect du droit fondamental à la vie privée et à la vie de famille (Convention européenne des droits de l'homme).

L'interception et la transcription des communications téléphoniques par une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service publique agissant en dehors du cadre légal est très lourdement sanctionnée.

L'affaire des écoutes de la cellule de l'Elysée :

Crim. 30 septembre 2008, n° 07-82249

L'atteinte à la vie privée d'autrui (226-1 c. pén.) incrimine le fait de capter, enregistrer, transmettre au moyen d'un procédé quelconque des paroles prononcées, en quelque lieu que ce soit, à titre privé ou confidentiel. Ainsi, tout branchement clandestin par sa conception, son objet et sa durée porte nécessairement atteinte à l'intimité de la vie privée, quand bien même l'auteur des faits serait animé par la seule intention de rechercher des renseignements de nature professionnelle (Crim. 7 oct. 1997, Bull. crim. n° 324)

Les écoutes téléphoniques, pratiquées en violation de la procédure administrative mise en place et des directives des premiers ministres, sont illégales.

Elles entraînent la responsabilité des chefs de service les ayant ordonnées.

Elle sont sanctionnées par l'article 226-1 aggravé par l'art. 432-4 al. 1 du code pénal.

La peine maximale ainsi encourue est sept ans d'emprisonnement et 100.000 euros d'amende.

Se pose aussi les questions du manquement grave et du détournement de pouvoirs à l'égard des chefs de service. Ils ne peuvent pas invoquer des instructions reçues illégales.

Dans tel cas, ils avaient l'obligation juridique de les dénoncer au procureur de la République (Art. 40 du code de procédure pénale). Ne pas l'avoir fait est une faute.

Les écoutes téléphoniques sont réservées à la phase de l'instruction préparatoire (art. 100 à 100-7 c. pr. pén.).

Il faut vérifier si une juge d'instruction avait été désigné à ce moment et s'il a pris les réquisitions nécessaires dans les formes.

Il ne semble pas que ce fut le cas.

Voir aussi, sur le fond, si la mesure prise par le juge, contraire aux garanties de la Convetion européenne des droits de l'homme, est justifiée et proportionnée à l'atteinte à ces droits fondamentaux.

Une exception existe en matière de criminalité ou de délinquance organisée avec l'article 706-95 du code de procédure pénale prévoit que si les nécessités de l'enquête préliminaire ou de flagrance l'exigent, le juge des libertés et de la détention (JLD) peut, sur la requête du procureur de la République, autoriser l'interception, l'enregistrement et la retranscription de correspondances émises par la voie des télécommunications. Ces opérations sont réalisées sous le contrôle du JLD, qui doit être informé sans délai par le procureur de la République des actes accomplis (al. 3 du texte).

Il ne semble pas non plus que ce fut le cas.

Un motif d'inculpation injustié et disproportionné

En l'espèce, dans l'affaire de Tarnac, l'inculpation de terrorisme n'est pas justifiée. Les faits reprochés sont des dégradations de biens publics (quoique, par l'effet de la privatisation de la SNCF, la question peut se poser s'il ne s'agit pas plutôt de dégradations de biens privés, même s'ils demeurent affectés à un service public).

Le technicien de France Télécom n'a commis aucune faute :

L'exploitant d'un réseau de télécommunications désigné par un officier de police judiciaire agissant sur commission rogatoire pour installer un dispositif d'écoutes téléphoniques n'a pas à prêter serment d'apporter son concours à la justice en son honneur et en sa conscience.

Prévue par l'article 60 du Code de procédure pénale, cette prestation de serment s'impose à toutes les personnes requises de procéder à des constatations ou à des examens techniques ou scientifiques dans le cadre d'une enquête de flagrance (V. l'article 77-1 du Code de procédure pénale pour l'enquête préliminaire).

Ce texte, qui ne s'applique pas aux experts (Cass. crim., 5 août 1972, Bull. crim. n° 263 ; Cass. crim., 17 oct. 1972, Bull. crim. n° 290)
ne peut donc davantage être oposé à l'encontre du personnel habilité à procéder à l'installation – ou la désinstallation - d'un dispositif d'interception dans le cadre d'une procédure d'instruction.

Ni l'article 100-3 du Code de procédure pénale relatif à la désignation de l'exploitant par le juge d'instruction ou par l'officier de police judiciaire commis ni le décret du 28 janvier 1993 relatif à la désignation des agents qualifiés pour la réalisation des opérations matérielles nécessaires à la mise en place des interceptions de correspondances émises par la voie de télécommunications n'exigent en effet une prestation de serment de la part de l'agent désigné.

Le technicien ne saurait donc avoir commis une erreur de procédure. Il a été sanctionné abusivement par son ministre.

Cette sanction reçue de l'Etat actionnaire de la société où la dégradation des conditions de travail porte à s'interroger sérieusement sur son souci du respect l'humain montre la convergence d'une mentalité plus prompte à casser qu'à réparer.

Le rôle du parquet

Si la Cour européenne des droits de l'homme a jugé qu'il ne s'agit pas d'une autorité judiciare indépendante (Arrêt Medvedyev, Arrêt France Moulin), le procureur est tenu néanmoins à l'obligation d'impartialité, que lui imposent tant le droit français (procédure pénale, droit constitutionnel), que le droit européen et le droit international. Le Conseil supérieur de la magistrature a inscrit ce principe dans son recueil des obligations déontologiques de la magistrature (Télécharger le recueil) s'appliquant au procureur étant, en France, "un magistrat à part entière". Cette obligation d'impartialit est encore renforcée par la thèse de Madame Sylvie Josserand et les dispostions adoptées par l'ONU.

Ceci dit, il est possible de faire des observations en deux temps :

Avant la plainte des épiciers de Tarnac visés par les écoutes téléphoniques, l'article préliminaire du code de procédure pénale pose l'obligation au procureur de la République d'informer le mis en cause de la nature et de la cause des procédures diligentées pour garantir le respect des droits de la défense. Il semble que cela n'ait pass été fait.

Les écoutes téléphoniques créent donc un doute très sérieux sur le respect des dispositions de l'article préliminaire laissant suspecter une violation manifeste de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme.

Depuis la plainte des épiciers sur ces écoutes, le parquet est tenu d'agir conformément à l'Avis du Commissaire aux droits de l'homme, Thomas Hammarberg, sur le règlement independant et efficace des plaintes contre la police.

La Cour de Strasbourg s'inspirera forcément des recommandations faites par le Commissaire européen pour apprécier la réaction et la qualité des dilligences du procureur, et donc la validité de sa procédure.

Conclusions

Il apparaît ainsi clairement que les salariés de France télécom ont effectivement fort à faire avec leur actionnaire majoritaire qui, selon l'avocat de la direction, s'apprête à faire durer les procédures, au détriment des victimes et du délai raisonnable posé, aussi, par la Convention européenne des droits de l'homme, nonobstant l'obligation de célérité à la charge de l'Etat, l'actionnaire majoritaire.

Défendant la société Loomis contre Tony Musulin, l'avocat de France Télécom rejette les explications de l'accusé en niant l'existence de tout mal être dans l'entreprise Loomis. C'est le même discours quelque soit la société. Il n'y a donc que l'argent d'objectivement quantifiable selon cet avocat. 70 milliards d'euros ont disparu chez France Télécom. En le paraphrasant, les salariés de France Télécom pourraient lui répliquer : "Il faudrait s'attacher à retracer la disparition de ces 70 milliards dans leur contexte pour vérifier ce qui a pu se passer."

L'argent, n'est-il pas finalement ce "grand forestier" ... ?

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