Billet de blog 27 avril 2010

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Pauvre et handicapé… La double peine

             Pas facile d’afficher son visage lorsque l’on souffre de handicap. Mustapha et Fiorella ont souhaité rester anonymes. Comme bien d’autres en France, ils sont à la fois en situation de handicap et de pauvreté. Ils ont accepté de témoigner de leur quotidien. Rencontre. Deux rendez-vous pour deux handicaps très différents.par Christelle Demange

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Pas facile d’afficher son visage lorsque l’on souffre de handicap. Mustapha et Fiorella ont souhaité rester anonymes. Comme bien d’autres en France, ils sont à la fois en situation de handicap et de pauvreté. Ils ont accepté de témoigner de leur quotidien. Rencontre. Deux rendez-vous pour deux handicaps très différents.

par Christelle Demange
Dans un café paisible à deux pas de la station de métro Pernety, seul le bruit des conversations interrompt parfois l’interview. Mustapha, la trentaine, serré dans son blouson noir, savoure son café allongé. Il a deux handicaps. Celui qui l’a conduit à se rendre tant de fois à l’hôpital et le second qui est « invisible ». Il est étranger, du sud de l’Algérie. Avant même que les questions arrivent, il s’excuse. Ses fautes de français le gênent.
Mustapha souffre d’une insuffisance rénale depuis 2000. Dix ans, il a vécu avec un seul rein presque normalement. Un jour, celui-ci a lâché et il a fallu le dialyser, c’est-à-dire le brancher à une machine qui purifie son organisme, ce que son rein malade ne peut plus accomplir.
En Algérie, ces interventions médicales sont approximatives. Ses médecins eux-mêmes lui conseillent de s’exiler en Europe. « Je n’y avait même pas pensé, confit-il. J’attendais la mort… »
Il quitte alors son pays, son travail, sa famille et ses amis. « Un vrai sacrifice ». Il arrive en France, se soigne. Il est reconnu handicapé à 80% assez rapidement. Ici aussi, le traitement est lourd : des dialyses de quatre heures trois fois par semaine en plus des médicaments. Un traitement qui génère beaucoup de fatigue.
Aujourd’hui Mustapha va mieux : il a reçu une greffe juillet dernier. Il l’attendait depuis quatre ans. «C’est autre vie qui commence en France. Ce pays m’a offert une seconde chance. A l’avenir, j’ai l’espoir de retravailler ».
Autre handicap, autre histoire. Au Café Madame, rue de Vaugirard, les camions couvrent presque le son de la voix de Fiorella, obligée de rester en terrasse à cause de son fauteuil. La quarantaine, cheveux courts, le visage marqué par la souffrance plus de par les ans, elle est atteinte à la fois par une fibromyalgie et par une spondylarthrite. Son premier handicap est une maladie orpheline hors nomenclature. Elle fut elle aussi reconnue handicapée à 80% à l’issue d’une long parcours.
« Je me suis battue » affirme-t-elle. 8 ans de combat pour sortir de la catégorie de 50 à 79,9% qui ne donne droit à rien, à aucune aide». Régulièrement, les médecins qui l’ont suivie rendent compte de la nécessité pour elle de passer à 80%. Rien n’y fait. Elle se rend jusqu’au tribunal national, à Amiens, mais n’a jamais eu gain de cause. Pas assez de moyens, « ni avocats, ni experts ».
Puis « par chance ou par malchance », la spondylarthrite a été reconnue. « Il faut que vous rentriez dans la case, lâche-t-elle, encore furieuse. Nous ne sommes pas reconnus, nous n’avons ni canne, ni bras en moins. Cette galère peut en mener certains jusqu’au suicide ! »

Juste assez pour vivre. Fiorella comme Mustapha touchent l’allocation adulte handicapé (AAH). 680 euros par mois plus l’allocation au logement, une centaine d’euros. Une misère pour payer l’électricité, le gaz, le loyer, les charges. Bref, pour vivre, tout simplement.
Pour Fiorella, la précarité c’est d’abord un très mauvais sommeil. « On fait ses comptes en permanence, on ne peut pas avoir de projet de vie. Impossible de se projeter dans l’avenir. C’est comme la vie avec un tuba. On essaye de ne pas couler. Et surtout ne pas lâcher cette mince paille, même quand la vie nous met la tête sous l’eau ».
Elle fait des demandes de financement à la mairie tous les deux/trois mois « rien que pour s’acheter des collants en hiver, par exemple ». Elle s’appuie aussi sur tout un réseau d’entraide qu’elle a mis en place dans son quartier et notamment des amis qui travaillent sur les marchés.
De son côté, Mustapha reconnaît que l’AAH, c’est « beaucoup d’organisation et beaucoup de sacrifices, une allocation « juste pour vivre ». Il ajoute quelques instants plus tard : « il faut lutter tous les jours. »
Et l’amélioration du niveau de vie avec l’augmentation programmée de l’AAH ? Dès qu’on aborde le sujet, Fiorella voit rouge. « Rien ne va changer, il n’y a aucune éclaircie en vue ». Ce sont des sommes « risibles » - à peine 5 euros par an – quand les augmentations du quotidien sont bien plus fortes. Ce qu’il faudrait, c’est un « revenu d’existence » et non pas « des aides pour vivre plus ou moins mal ».
Et encore, ces deux là s’estiment heureux. Ils ont un toit à eux. Même si Mustapha a été logé par des amis pendant des années. Même si Fiorella attend un logement social depuis 12 ans.

Solitude. Mustapha comme Fiorella traversent des moments difficiles. « Si je n’étais pas en train de me battre, confesse-t-elle, j’aurais sûrement déjà mis fin à mon existence ».
La solitude est souvent difficile à vivre. De même, l’aspect administratif de leur existence : « suspicion permanente des institutions et justifier la moindre information », ou encore le manque d’informations. Mustapha a eu la chance de rencontrer une assistante sociale qui a entamé des démarches. Au final, il a obtenu un appartement en HLM. « Si on ne bouge pas, personne ne vient ».
Pour Fiorella, l’équation est très simple : handicap + pauvreté = disparition sociale. « On n’est plus que spectateurs de la vie », tranche-t-elle, pessimiste. D’autant plus que le dispositif même de l’AAH pousse l’handicapé à rester seul : il « s’accroche » sur le revenu du conjoint. Plus celui-ci gagne, plus l’AAH baisse. L’handicapé est condamné à être célibataire ou à avoir un conjoint pauvre pour conserver son revenu d’existence.
Fiorella a décidé de s’engager, notamment dans le collectif Ni pauvres ni soumis et dans le groupe de travail Logement et handicap. Elle milite pour des logements sociaux de qualité. Un habitat avec peu de charges, qui servirait de « compensateurs sociaux pour réduire l’écart avec les gens dit normaux ». Et aussi pour lutter contre la pauvreté qui les privent de leurs droits citoyens. « Il y a urgence ».
Mustapha est plus optimiste. Son objectif ? « Reprendre la vie normale, ne pas rester enfermé dans le handicap » même s’il reconnaît que rien ne sera plus comme avant. « Je serais toujours malade. Le handicap vit avec toi, il t’accompagne partout ».

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