Ils sont itinérants, passent leurs journées dans les couloirs du métro. Leur présence dérange ou interpelle. Regard sur ceux qui vivent du métro.
par Ingrid Gaza13 heures passées, métro Saint Michel, ligne 4. Guitare à la main, Jelila interprète Hallelujah, la célèbre chanson de Leonard Cohen. Certains s'arrêtent. D'autres passent et jettent un bref coup d'œil. Le ton est donné. Jelila a trente ans. Elle est franco-tunisienne-suisse. Son style : le pop rock folk. Agréée par la RATP, elle chante depuis trois années dans les couloirs du métro. Pour l'artiste, le plaisir vient avant l'argent. Elle refuse de dire combien elle gagne. Secret d'Etat pour la RATP. « Bien que ce ne soit pas toujours facile, je préfère chanter dans le métro que prendre un autre boulot non artistique et inintéressant. C'est ma plate-forme d'entraînement ». Jelila chante aussi dans quelques bars. « Cependant, j'ai besoin du métro pour vivre, Les bars te prennent tous au black pour des cachets minables. Ils veulent que tu ramènes des gens et s'en foutent de ta musique. » Autre contrainte du métier dans les couloirs du métro : le public, pas toujours réceptif, et le froid. Question d'adaptation. A ses débuts, elle chante presque tous les jours. Maintenant, elle ne vient que deux fois par semaine. « Si j'y vais tous les jours, j'ai l'impression d'être un juke-box. »
Hors contrat. A l’inverse de Jelila, Efran-Adje chante « hors contrat ». Les auditions de la RATP ne l’intéressent pas. « J’adore ma liberté. Le peuple n’interdit pas le chant. Le système oui ! » Efran-Adje est d’origine guyanaise. Auteur, compositeur et interprète, il chante dans le métro depuis 1984. Son style : le reggae. Son emploi du temps : imprécis. « Je suis maître de moi-même ». En une heure, Efran-Adje peut gagner jusqu’à cinquante euros sur la ligne 11. « J’arrive largement à vivre de ça. » Et la police ne l’effraie pas. « Parfois, ils me disent d’arrêter. Mais, en général, ils sont plutôt sympas. »
Barbès-Rochechouart. Autre station de métro, autre job. Des vendeurs à la sauvette se croisent. Ils exhibent des cartouches de cigarettes. Ils sont tous Tunisiens. Leurs noms ? Anonymes. Ils ne veulent pas prendre de risques. La cartouche de cigarettes est vendue trois euros. Par jour, les bénéfices varient de trente à cinquante euros. En un mois, certains peuvent gagner jusqu’à 1000 euros. La police ? Pas de soucis. Ils se font embarqués en moyenne tous les quinze jours puis sont relâchés. A cela s’ajoutent des amendes.
Bénéfices plus modestes pour Sujan. Par soucis de représailles, il préfère, lui aussi, garder l’anonymat. Il vient du Bangladesh. Sans-papier, sa situation ne lui permet pas de s’inscrire au Pôle-Emploi. Alors bien obligé de travailler clandestinement pour un magasin du coin qui a pignon sur rue. Posté dans un couloir du métro, il vend des bijoux fantaisies. Sa paye : de un à dix euros par jour…
Denfert-Rochereau. Encore plus maigres sont les revenus de Ouri. Yougoslave, elle s’exprime peu en français. Dans un fauteuil roulant, elle fait le pied-de-grue à Denfert-Rochereau. Les seuls mots qu’elle parvient à prononcer portent sur ses revenus. Un euro en moyenne dans une journée. Pinuts pour une vie.