Billet de blog 29 avril 2010

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L'expertise médicale au service des réfugiés

Apatrides et réfugiés à la solde de l'Etat. Pour les demandeurs d'asiles, l'expertise médicale est une condition sine qua non pour l'acquisition d'un titre de séjour. Marques de tortures, infections ou urgences sanitaires sont les passe-droits des réfugiés en France. Aspects méconnus de la procédure administrative, les certificats médicaux font parfois l'objet de trafics illégaux. Des faux qui jettent l'opprobre sur les médecins et les centres sociaux. A contre-courant, le docteur Pécheux, médecin généraliste en Seine-Saint-Denis, retrace pour l'édition FMR son parcours professionnel et son expérience humaine dans un centre de demandeurs d'asile.par Marion Hellegouarch

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Apatrides et réfugiés à la solde de l'Etat. Pour les demandeurs d'asiles, l'expertise médicale est une condition sine qua non pour l'acquisition d'un titre de séjour. Marques de tortures, infections ou urgences sanitaires sont les passe-droits des réfugiés en France. Aspects méconnus de la procédure administrative, les certificats médicaux font parfois l'objet de trafics illégaux. Des faux qui jettent l'opprobre sur les médecins et les centres sociaux. A contre-courant, le docteur Pécheux, médecin généraliste en Seine-Saint-Denis, retrace pour l'édition FMR son parcours professionnel et son expérience humaine dans un centre de demandeurs d'asile.

par Marion Hellegouarch

C'est d'une rencontre atypique que naît l'attachement du Docteur Pécheux à la cause des réfugiés. Une rencontre fortuite d'une famille kurde, atteinte de la galle, dans les soins d'urgence de l'hôpital Ballanger à Villepinte. A cette époque, dans les années 1990, il n'est encore qu'interne en pédiatrie. Touché par leur histoire – ils vivent depuis deux ans dans une voiture – il décide de créer une consultation fantôme, en pédiatrie, au sein de l'hôpital. Cette initiative a pour but d'accueillir des réfugiés, sans-papiers ou demandeurs d'asiles souffrants et démunis de couverture médicale. La structure, illégale, permet à de nombreux patients en situation irrégulière d'être pris en charge gratuitement, grâce à un système bien rodé. Avec l'aide de l'interne en pharmacie, les médicaments génériques sont distribués gratuitement, tandis que l'interne en parasitologie traite les maladies rares.

Un médecin engagé. Toutefois, le voile est levé sur l'organisation souterraine lorsqu'un courrier de remerciement de l'hôtel social des réfugiés est intercepté par le chef de service. Dès lors, le docteur Pecheux, doit cesser son activité et se concentrer sur son doctorat. Le diplôme de médecin généraliste en poche, il est sollicité par un homologue pour s'occuper, en parallèle de son travail, du service médical d'un hôtel social à Villepinte. Cette organisation, appelée CADA (Centre Accueil pour Demandeurs d'Asiles) est chapeautée par Emmaüs et subventionnée par l'Etat. Il n’en existe que 26 en France. Le centre de l'hôpital Robert Balenger a une capacité de 70 personnes, soit environ 20 familles. « A l'étage du centre, se trouvent les studios des familles avec salle de bain. Au rez-de-chaussée, sont aménagées une cuisine et une salle à manger commune. A l'époque, quand j'ai commencé, le centre recevait beaucoup de réfugiés Rwandais, Azerbaidjis, Angolais, Serbes et Iraniens. Malgré la promiscuité, l'entente entre les communautés était bonne, il n'y avait aucune tensions ethniques, même si d’aventure, deux communautés adverses dans leur pays, se rencontraient au centre ».

Pour des raisons pratiques, le Docteur Pécheux décide de ne plus se déplacer au centre mais de faire les consultations dans son cabinet. Les familles doivent prendre des rendez-vous et arriver à l'heure. Une anecdote révélatrice du ressenti des familles : « Des réfugiés politiques angolais était arrivés très en retard au rendez-vous. Du coup, je leur avais refusé la consultation, malgré leur mécontentement. Six mois plus tard, ils reviennent et assistent à la même scène, cette fois-ci, avec un Français. A ma grande surprise, ils m'ont remercié de les avoir sanctionner comme tout le monde. Ils étaient persuadés que je les avais refusés parce qu’ils n'étaient pas français ! ».

Statut de réfugié. A force d'être considérés comme socialement à la dérive, les réfugiés intériorisent les discriminations dont ils font l'objet. Et le chemin est long avant de se sentir français. Les personnes ayant fui la persécution peuvent faire une demande d'asile afin d'obtenir le statut de réfugié (carte de résident de dix ans) ou la protection subsidiaire (carte de séjour de un an) accordée par l'OFPRA, l'Office français de protection des réfugiés et apatrides. De même, pour établir le diagnostic médical d'un réfugié, le médecin doit être agrée par l'OFPRA. Il est tenu d'envoyer le rapport du check-up du réfugié, à l'entrée et à la sortie du centre, afin de renseigner les statistiques de l'office sur l'état de santé des réfugiés. Ce rapport est anonymisé pour respecter le secret médical. L'examen médical rend obligatoire le dépistage de l'hépatite B et C, de la tuberculose ainsi qu'une radio des poumons. Il évalue également l'aptitude à la vie en collectivité. Du point de vue médical, les réfugiés sont des cas particuliers : ils doivent attester de blessures ou de maladies nécessitant des soins prolongés afin de pérenniser et légaliser leur situation en France.

Pièce maîtresse. L'expertise médicale du médecin est une pièce maitresse dans la constitution du dossier du réfugié pour l'obtention d'un titre de séjour pour soin. Ce dossier, examiné par le jury d'une commission, est la porte de sortie d'une situation d'exclusion et d'exil vécu par ces individus comme un traumatisme. Il est aussi la concrétisation d'un parcours périlleux et l'espoir au fond de leur boîte de Pandore. C'est à ce stade de la procédure que le médecin entre en scène. Son avis doit être exprimé avec des formulations concrètes : « On observe des traces de plaie compatibles avec des blessures par balles. Ou encore une perforation des tympans compatibles avec des tortures faites au niveau des oreilles ». Le certificat doit conclure à la compatibilité entre les constatations médico-psychologiques et les déclarations du demandeur.

Degré de persécution. A la charge du réfugié de prouver l'authenticité de son histoire devant la commission. Ce dernier est contraint d'étayer par des preuves concrètes, telles des coupures de presse ou des lettres de menaces dont il a été victime. A ce propos, le Haut Comité des Réfugiés estime que le degré de persécutions exigé est atteint lorqu'il s'apparente à des pressions policières constantes, des mauvais traitements et des tortures, entre autres.

Le jury fait ensuite le lien entre le témoignage du réfugié et l'histoire officielle, ou officieuse. « Pendant l'examen de la demande d'asile qui dure deux ans environ, raconte le Dr Pécheux, les familles de réfugiés sont logées, nourries et encadrées par une équipe d'animateurs. Les enfants doivent obligatoirement être scolarisés tandis que les adultes peuvent faire l'apprentissage du français. Et puisqu’ils n'ont pas l'autorisation de travailler, l'OFPRA leur verse un pécule d’environ 300 euros par mois. Nombreux sont les réfugiés qui travaillent au noir, par nécessité. Je soigne les réfugiés avec plaisir, explique le docteur. Cette activité est en phase avec mes convictions. Certains médecins, installés en cité refusent la CMU. Nous n’avons pas le même système de valeur… »

Trafic de certificats de complaisance. En septembre 2009, une affaire de trafic de certificats de complaisance secoue toute la profession. Un médecin bordelais qui vend des certificats à des sans-papiers vient d’être arrêté par la police. Par l'intermédiaire d'un rabatteur, l'escroc facture 900 euros ses dix minutes de consultation. Le temps qu’il faut pour signer un certificat de complaisance. Le retour au pays d'origine pourrait avoir de graves conséquences sur la santé du patient. Objectif de l’arnaque : obtenir un titre de séjour provisoire.

Ces certificats de complaisance ne sont-ils que la partie visible de l'iceberg ? Trafics de faux-papiers, réseaux de voyage, marché noir... L'enjeu de l'asile en France est cerné de rapports de force multilatéraux. Il se situe au carrefour des politiques migratoires et du devoir de l'Etat de secourir les minorités en danger. Comme le réfugié, en équilibre sur un fil tendu entre le pays qu'il fuit et celui où il voudrait tellement rester.

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