La Princesse de Clèves fait le buzz. A cause de Nicolas Sarkozy : le candidat et le Président maintenant, chez qui, la seule évocation de cette œuvre semble réveiller une douleur, tatouage indélébile. Bien qu’à mille lieues de sa personnalité et de la politique que mène ce nouveau Président, j’avoue que l’étude de ce roman, lorsque j’étais au collège, ne m’avait guère passionnée non plus. Mais nos enseignants, avec d’autres belles pages de la littérature, savaient entretenir notre soif de comprendre et nous familiariser avec les rigueurs de la pensée rationnelle et de l'argumentation. C’est donc avec bonheur que j’ai pu retourner aux sources pour faire ce « papier ».

Faut-il avoir apprécié la Princesse de Clèves pour bien présider la France ?
Certes non. Mais cette œuvre inscrite aux programmes peut permettre de constituer un « patrimoine » de connaissance de la vie. Patrimoine qui devient alors un outil qui mesure notre liberté, comme la médecine s’appuie sur des échelles d’évaluation pour mieux apprécier des symptômes, notamment la douleur. Parlons donc de cette SITuation COMedy : La Princesse et le Président. Premier épisode (23 février 2006, allocution du Président de l’UMP). « Voilà que j’avais préparé un discours, eh bien je vais le mettre de côté parce lorsque l’on est avec tant d’amis (…) on se doit de parler avec le cœur et pas avec un texte. Je vais donc parler très librement … ». Il enchaîne alors sur l’Europe, les libertés, les politiques à développer et puis le naturel revenant au galop, pan sur sa démagogie : « L’autre jour, je m’amusais, on s’amuse comme on peut, à regarder le programme du concours d’attaché d’administration. Un sadique ou un imbécile, choisissez, avait mis dans le programme d’interroger les concurrents sur la Princesse de Clèves. Je ne sais pas si cela vous est souvent arrivé de demander à la guichetière ce qu’elle pensait de la Princesse de Clèves… Imaginez un peu le spectacle ! ». A mon niveau et ne fréquentant pas ces raouts politiques, je peux juste essayer d’imaginer les interrogations de la salle… selon qu’ils avaient lu ou non, apprécié ou non la Princesse de Clèves ! Deuxième épisode , en Avril 2007, à une question du journal 20 minutes, sur le financement de la filière « littérature ancienne » : « Le contribuable n'a pas forcément à payer vos études de littérature ancienne si au bout il y a 1 000 étudiants pour deux postes. [...] Les universités auront davantage d'argent pour créer des filières dans l'informatique, dans les mathématiques, dans les sciences économiques. Le plaisir de la connaissance est formidable, mais l'Etat doit se préoccuper d'abord de la réussite professionnelle des jeunes ». Troisième épisode (Déclaration de M. Nicolas Sarkozy, Président de la République, sur la modernisation des politiques publiques et la réforme de l'Etat, à Paris le 4 avril 2008). Improvisations entre la lecture des lignes écrites par Henri Gaino : « J’ai vu que l’on s’était occupé du bâtiment sur la Seine [ndlr : Bercy où il séjourna]. Ce truc vert que l’on a collé dessus, cela doit être de l’architecture. Chacun ses goûts » et brusquement : « […] Les premières victimes de l’organisation actuelle, ce sont les fonctionnaires. Innombrables sont ceux qui m’ont dit : A quoi ça sert qu’on se donne du mal, on a l’impression que tout le monde s’en moque ! Et la qualité de vie d’un fonctionnaire, ça compte aussi. C’est tout ce que nous engageons (…) sur la mobilité, sur la reconnaissance du mérite, sur la valorisation de l’expérience, sur la possibilité pour quelqu’un d’assumer sa promotion professionnelle sans passer un concours ou faire réciter par cœur la Princesse de Clèves ! Cà compte aussi dans la qualité de vie d’un fonctionnaire […] » Quatrième épisode (vidéo) : « […] Avoir fait du bénévolat devrait être une expérience reconnue par les concours administratifs, car après tout, ça vaut autant que de savoir par cœur La Princesse de Clèves ». Après une pause, il ajoute: « Enfin… j’ai rien contre, mais enfin, mais enfin… parce que j’avais beaucoup souffert sur elle ». Alors quand Nicolas Sarkozy prend ses différents publics à témoin avec un sourire entendu, que veut-il leur dire ? J’hésite entre s’essayer à les ramener dans sa sphère de données de chef-de-l’Etat-étiqueté-pragmatique : « vous voyez, je suis président, j’ai de l’argent et une belle femme. Cela m’a pris trente ans et c’est certainement pas à cause de cette Princesse de Clèves ». Ou veut-il rassurer sur l’inculture de certains et, au fil des années, justifier cet assèchement des esprits qui a permis de voir, à un second tour d’élections présidentielles, un postulant tel que lui… et même Ségolène Royal.Si la parole fait sens et donne du pouvoir, les écrits restent. Et que restera-t-il de leurs écrits ? Même pas le personnage adapté du livre de Nicolas Sarkozy (Georges Mandel) et joué par Jacques Villeret !Comme l’écrivait justement Philippe Val dans le Charlie Hebdo d’Avril (quand il ne cherche pas des poux dans la tête de Siné) « […] C’est grâce à la littérature que la langue nous permet de nous communiquer des choses assez fortes pour nous comprendre un peu et nous relier les uns aux autres. Sans la littérature, sans Mme de La Fayette, c’est chacun pour soi, TF1 pour tous, et nos désirs cantonnés dans l’impuissance ». Parallèlement, il interpelle, à juste raison, les intellectuels de tous bords « […] Un tel silence, un tel désaveu, une telle injustice, résonnent comme une résignation à la médiocrité ». Pourquoi tant de souffrance à cause de cette princesse ? Serait-ce à cause du monologue intérieur de l’homme tourmenté qu’est le Duc de Nemours : « Comment ai-je pu résister à l'envie de me jeter à ses pieds ? Si je l'avais fait, je l'aurais peut-être empêchée de me fuir, mon respect l'aurait rassurée ; mais peut-être elle ne m'a pas reconnu … ». Jeu de rivalité, de commérages, de perversité : la facture moderne en fonde pourtant la tradition du roman d’analyse. Analyse qui prime dans notre société fondée sur les rapports humains qui ne découlent rien moins que d’une culture commune. D’où l’importance des « humanités », ces bases sur lesquelles une identité culturelle peut se construire. Le chef d’une nation peut-il préférer la négation de ces humanités qui ramènent l’individu à se déresponsabiliser au profit des seules valeurs du marché ? Je ne sais plus qui disait que la culture générale et le sens critique rendait les hommes libres. Alors pourquoi vouloir nous imposer un seul formatage : le désir de possession ou comme lu récemment que nous devenions des « obèses de la tête comme le crapaud de la fable et qui finissent par exploser ».Autres paroles anonymes critiquant l’a priori du Président : « J’ai un doux penchant pour madame de la Fayette […] Etudié au collège, ce roman ne m’a jamais quitté, 30 ans après. Ce fut un éblouissement et un début d’amour avec la littérature et la langue. […] la culture est une formidable émancipation et un regard libre sur le monde. Moi fils et petit fils d’ouvriers, lesquels ne lisaient pas, si j’ai pu franchir d’autres rives c’est en partie à La Princesse de Clèves que je le dois. A moins que justement ce ne soit cela que Nicolas Sarkozy redoute : cette émancipation. Et je suis fonctionnaire… Alors oui, pourquoi ne pas poser une question littéraire à un concours d’entrée à un poste de fonctionnaire ? Dénonce-t-il l’expression de ce roman comme précieuse, surannée, autrement dit datée ? Il faut alors brûler l’Iliade et l’Odyssée et remplacer Rimski-Korsakov par la tecktonik. Stigmatise-t-il les fonctionnaires en pensant qu’ils sont incapables de se soumettre à une épreuve de culture générale lors d’un concours administratif ? C’est oublier que cette catégorie sociale, en voie de disparition à force de réformes abruptes, est la seule catégorie ne relevant pas du contrat privé ; que les Français tiennent à leurs services publics et ceux qui les assurent parce qu’ils ne mettent pas l’argent au premier rang de leurs préoccupations ; qu’ils redoutent un gouvernement qui veut transformer la France en entreprise et les ministères en agences privées. Diminue-t-il la place de la littérature dan l’enseignement ? C’est donc vouloir diminuer sa place dans la société française au profit des technologies modernes : les SMS, l’internet, l’explosion du secteur tertiaire, le rendement maximum obligatoire, devant lesquelles la littérature ne serait que l’apanage de quelques passéistes. Quid d’un monde où les calculatrices auraient remplacé définitivement le calcul mental, où seuls les correcteurs automatiques d’orthographe veilleraient au respect des règles de grammaire ou à la concordance des temps ?Ne sommes-nous pas fiers d’avoir eu des fonctionnaires ?
De la trempe d’un Senghor ou d’un Césaire qui disait en parlant du futur Président « On sent en lui une force, une volonté, des idées. C'est sur cette base-là que nous le jugerons ». Faudra-t-il attendre encore longtemps ? Mais c’est bien avec un vocabulaire étendu, des mots choisis pour nuancer leurs propos que de tels passeurs nous ont fait apprécier leurs grandes œuvres.
Ils ont participé avec tant d’autres à semer la culture pour que tous les enfants, futurs électeurs, ne se contentent jamais d’apprendre un livre par cœur, même imposé dans un programme scolaire, mais soient capables d’en dégager les principaux axes de lecture. Une façon, entre autres, de devenir plus tard un électeur éclairé et peut-être un jour un élu, voire un président de la République. Comme note de bas de page, on rappellera, qu’à la fin du roman, la Princesse de Clèves fit aussi retraite mais « dans des occupations plus saintes (…] » que celles des yachts les plus luxueux .