Dimanche 09 mars 2025
J’ai toujours été persuadé, mais jamais convaincu en deux mots, que mon destin serait particulier, que je ne serais pas uniquement un simple passager de ma propre vie, non plus un simple personnage de la comédie humaine si chère à Honoré de Balzac, mais le metteur en scène de mon existence avec ce qu’il convient de tragédie, de surprise, de passion, de silence, de théâtral, de lumière et d’ombre. Au jour de ma naissance, le rideau s’est levé, l’orchestre a commencé à improviser une symphonie nouvelle tandis que la pièce qui se jouait accompagnait la musique et inversement. J’ai, d’aussi loin que je me souvienne, toujours appréhendé le genre humain comme une espèce étrangère à la mienne et dont j’ai si souvent été un observateur attentif : les us, habitudes, comportements, attitudes, actions, réactions, jeux relationnels, conflits, … J’ai intégré cette « société » dès mon premier jour de naissance, mais sans réellement lui appartenir en ce qu’une entité vivante n’appartient qu’à elle-même. Dirons-nous plutôt qu’elle en est de manière générale, un élément constitutif, mais comme chacun le sait, le général n’est qu’une valeur en parenthèse facilitant une idée, un raisonnement, mais ne comportant réellement de valeur que pour la superficialité qu’il lui est intrinsèquement lié, car les interactions d’un être vivant, dont la constitution organique est similaire à celle de son groupe d’appartenance reste un élément unique et ne peuvent toutefois être un élément constitutif permettant de dire qu’il en est une partie non-sécable, dès lors que ce dernier en refuse l’intégration pleine et entière à un sous-groupe même si ses dynamiques générales et particulières l’intègrent de facto à l’un de ceux-ci et au groupe global.
Cette intrinsèque différence, me concernant est en premier lieu physiologique, puis psychologique en lien direct avec une particularité mise en lumière au début du XXe siècle par Eugen Bleuler et qui, quelques dizaines d’années plus tard sera particularisé avec un psychiatre de renom, bien que désormais voué aux gémonies par les partisans déconstructivistes wokistes, Hans Asperger.
Que n’aurais-je manqué si ce particularisme ne m’avait été intrinsèque et si durant mon enfance cette différence avait été identifié afin que je m’incorpore plus étroitement à la société des Hommes ? Cela aurait été, non mon plus grand malheur, car je n’aurais jamais su ce qui m’avait manqué, mais une partie essentielle de ma personnalité qui aurait été modifiée en profondeur faisant de moi, un personnage différent, un comédien tout au plus et semblable à plusieurs milliards de congénères dont je suis heureux, ce jour encore, de ne jamais en être une partie essentielle, négligeable sur une scène de théâtre dans une pièce dirigée par la norme du plus grand nombre.
Assez parlé de moi, car si le sujet de cette lettre n’était que les contours de ce que je suis, on en reviendrait rapidement au point initial de départ et chacun de nous deux ne ferait que tourner en rond en regardant l’arrière train de son poursuivant, alors qu’il s’agit dans cette pièce, du but existentiel de ce metteur en scène, à savoir, trouver une Minerve dissimulée dans cette comédie humaine. Une version humainement améliorée de « Où est Charlie ? ».
Chacun des comédiens, qu’il en soit conscient ou pas, joue un rôle qu’il ne s’est pas choisi, une partition dictée par un orchestre, un script écrit par le plus grand nombre en aveugle sans que chacun sache le but de cette représentation, ni ne lui en attribue, permettant à celle-ci et à chacun d’être le promoteur d’une fatalité sociale que nulle sagesse ne peut infléchir ou dirige comme un capitaine conduit son navire sur l’océan de la vie sans toujours se préoccuper d’un trajet qui serait préparé à l’avance avec une prévision millimétrique afin d’être dans une pure certitude apparente d’un ennui garanti, comme le sont toujours les voyages organisés du départ à l’arrivée pour les vacanciers troupalement moutonniers et bêlant d’une unique voix et d’une joie tout aussi semblable à celle de leur coreligionnaire de voyage et dont chacun se persuadera d’avoir vécu une expérience unique et transcendante qu’il en sera épris d’une inextinguible joie au partage de ses souvenirs photographiques dont le reste de la troupe se fichera comme d’une guigne.
L’errance humaine actuellement désœuvrée et dont les soubresauts des conflits ne sont que des hoquets au regard de l’évolution, pourrait, au mieux, être une boursouflure provisoire, une erreur remédiable, si elle était conscrite à une génération d’âge, mais il me faut reconnaitre avec un certain effroi que c’est exactement l’inverse qui se produit au fil de l’évolution technologique toujours plus rapide renvoyant le but de l’existence à des besoins physiologiques similaires à ceux que l’on retrouve dans le règne animal, mais dévoyés par la paresse intellectuelle et physique. Un simulacre de vie dont chacun pourrait aisément se contenter de la vivre virtuellement en étant sanglé à un fauteuil si la simulation était parfaite afin de se retrouver dans une réplique absolument parfaite du film « Clone » de 2009 avec Bruce Willis en acteur principal.
C’est d’une part, une fausse tragédie que d’observer le déclin de cette humanité en ce que je ne me reconnais pas en elle et en même temps, une facilitation pour celle qui se démarquera en ce qu’elle ne peut non plus être une composante pleine et entière, ni même partielle de cette anormalité sociétale et d’autre part, une difficulté supplémentaire en ce que la première s’accroît perpétuellement et que la seconde pourrait devenir infinitésimale, confinant même cette double utopie à son symbolisme premier et donnant éventuellement raison à Friedrich Nietzche si tel était le cas, confinant alors ce plancher théâtral que je foule depuis plus de cinq décennies à ce qui ne serait plus qu’une simple étendue stérile où se jouent des tragédies burlesques, et dont la seule impardonnabilité serait de voir au-delà du bord de la scène afin d’observer un vaste océan de liberté, de choix conscients, de risques et de dangers inhérents à celui-ci et qui est actuellement symbolisé par une falaise d’une insondable verticalité.
Ces « Lettres à une Inconnue » sont donc des petits cailloux dans des chaussures de passagers somnambules de leur propre existence leur offrant la possibilité de sortir d’une torpeur tiède et confortable, dont la prévisibilité d’un lendemain identique à celui qui précède et au jour présent qui se terminera toujours dans une identique mortifère routine et est souhaitée avec la volonté panurgesque la plus farouche, sinon celui que l’on projette sur la vitre extérieure d’une chambre au milieu de la nuit afin de réveiller une personne que l’on convaincrait de s’échapper de sa confortable et sécurisante demeure pour aller s’aventurer nocturnalement à quelque excursion imprévue, on ne sait où et jusqu’à point d’heure, pourquoi pas un infime grain de sable faisant crisser par intervalle irrégulier, une mécanique parfaitement huilée et dont les rouages ne sont qu’interactions humaines répondant à un automatisme convenu avec un scénario scripté par avance pour des comédiens trop heureux de ne pas avoir à improviser un drame antique au sein d’une comédie humaine dont chacun veut la vivre le plus longtemps possible et avec le souhait qu’il ne se déroulera strictement aucun évènement dans sa prestation scénique qui rendrait son rôle de composition différent de son voisin, bien que ce dernier sera toujours vertement moqué en ce que son texte le confinera semble-t-il à un rôle de second rang faisant de lui, un personnage sans couleur, seulement propre à occuper une place disponible sur les planches où chacun n’est que le reflet de son voisin le plus proche et dont chaque ligne au sol délimite une frontière territoriale.
À toi qui viens de trouver cette lettre dans un wagon de train, je ne peux que te souhaiter de quitter ce plancher théâtral, en conservant cette missive comme un caillou dans ta chaussure pour ne pas te rendormir, sinon de la froisser afin de reprendre place dans la comédie humaine jusqu’à ton dernier souffle de vie ou de marijuana.
Il n’est qu’une vie humaine vécue à la fois pour chacun de nous, mais avec le choix de la morceler en mille vie unique afin de ne s’établir dans aucun rôle confortable, voire de sauter hors de scène dans l’obscurité afin de voyager sur l’océan de la vie à bord d’un navire en quête d’une Minerve, sinon d’un Mercure.
Avoir le physique d’un premier rôle et se contenter de celui-ci en se pavanant est aussi inepte que d’être assis sur un trône à lunette et s’imaginer être le souverain en sa demeure. C’est au mieux risible, sinon affligeant pour les observateurs extérieurs qui voyagent sur l’océan de la vie et c’est ainsi que je rie, que je me moque, (régulièrement et fréquemment).
Si de ces quelques mots épars, je parais ici ou là d’une mordante crualité, elle ne reflète qu’une réalité quotidienne qui ne l’est pas moins lorsqu’il s’agit au soir d’une longue vie de feuilleter l’album souvenir de sa propre existence afin d’en tirer un constat de bonheur ou d’une exceptionnelle désolation pour les actes manqués, les paroles qui auront été retenues et les choix incertains abandonnés au profit d’une rencontre avec la grande faucheuse qui, elle, tient dans sa main osseuse une petite carte avec une date de départ.
Post-scriptum,
Depuis que j’ai décidé d’occuper une place à table chaque dimanche au salon Starbucks de la rue Victor Hugo à Lyon afin de t’attendre tout en commençant à rédiger l’article du Domical Day suivant et qu’arrive le moment de rejoindre une galerie d’art privée, là même où je vis, je grignote la distance jusqu’à la gare de Perrache à pas lents et sans casque audio, cheveux au vent afin de m’imprégner de l’atmosphère, tandis que la foule croît au rythme des températures, à l’annonce du printemps qui se rapproche, mais lorsque j’arrive à la gare de Perrache pour occuper une table à la boulangerie Paul, en face des quais, avec suffisamment d’avance pour avoir une heure de temps à occuper en observation, j’entre dans un monde gris, froid, déprimant, d’une rare vilenie, crasseux, plus triste que la mort qui, elle, sait danser sur la vie des trépassés.
Un faux silence haché par les bruits de bagages, d’envolées de pigeons obèses de miettes de pain et de gâteaux, des bribes de conversations, des croustillement de pain industriel au milieu d’une décoration terne, que même le couloir d’un hôpital gériatrique est plus gai en comparaison avec des voyageurs qui patientent l’arrivée d’un train, la mise en place d’un autre, une correspondance, …
Lorsque je descends sur le quai, entre dans le wagon de train, l’ambiance est toujours lourde, pesante, triste que même la joie d’un enfant ne changerait rien.
Cette gare de Perrache est un mouroir ferroviaire et le dimanche en fin d’après-midi d’hiver, c’est l’antichambre de la fin du monde, mais…
Il est un mais en ce jour, 09 mars 2025.
Une Minerve s’est présentée ce jour, au cours de la matinée, au rendez-vous du Dominical Day auquel, je suis présent semaine après semaine.
D’une rare simplicité, d’une rare maturité intellectuelle de ses 24 ans, d’une beauté classique et intemporelle, elle est arrivée avec une enveloppe à la main.
Je m’en suis trouvé ému et décontenancé. Nous avons bavardé, longuement, pas suffisamment à mon goût, puis elle est partie.
La reverrais-je ? Je le souhaite, mais une Minerve ne réalise jamais les souhaits d’un Inconnu, elle réalise les siens.
C’était une première rencontre, peut-être la dernière, sinon uniquement la première, mais peut-être la dernière…
Concernant le contenu de notre échange, il n’appartient qu’à nous deux…
En ai-je été troublé ? Je le suis encore…
De l’abondance littéraire que je prévoyais, le trouble me contraint à plus de frugalité…
En suis-je toujours troublé ? Je le suis toujours…
Une lettre à une Inconnue ne devant plus se refermer sans le passage de mes livres lus au cours de la semaine.
Le tambour
Günter GRASS
Editions du Seuil
1er trimestre 1980
Milieu de la page 352
Quant à Roswitha, elle était couchée près de moi et avait peur. Mais Oscar n’avait pas peur et était près de la Raguna. Sa peur et mon courage unirent nos mains. Je tâtai sa peur, elle tâta mo courage. A la fin, je fus pris d’une certaine inquiétude, mais elle reprit courage. Et quand j’eus pour la première fois chassé sa peur, mon courage viril redressa la tête une seconde fois. Tandis que mon courage comptait dix-huit belles années, elle fut reprise, je ne sais à quel âge, couchée pour je ne sais la quantième fois de cette peur savante qui m’inspirait du courage. Car, à l’égal de son visage, son corps chichement mesuré, mais au complet, ne portait aucune traces des temps révolus. Courageuse hors du temps et anxieuse hors du temps, une Roswitha s’offrait.
Venus
Ben BOVA
Edition Fleuve Noir
Dépôt légal : novembre 2005
Milieu de la page 141
La vision de ses quartiers fut un choc. Il y avait qu’un compartiment, mais il était assez spacieux pour contenir un vrai lit, un bureau, plusieurs sièges confortables, des armoires et une paroi entièrement occupée par une bibliothèque pleine de livres. Il y avait même à côté des manuels électroniques, d’épais ouvrages anciens en papier, marqués par un long usage. Le plancher était recouvert d’une moquette aux couleurs orientales.
Revêtu d’une longue tunique noire par dessus un pantalon gris foncé, Fuchs se tenait près d’un grand hublot ouvert sur les étoiles. Il s’agissait bien entendu d’un écran.
– L’univers, dit-il en faisant un geste vers le panorama des étoiles. Je ne me lasse pas de contempler le ciel.
Je devais être bouche bée devant les livres car il se tourna vers la bibliothèque en disant :
– Quand votre navire est votre maison, vous emportez avec vous le confort de celle-ci.
– Des livres ? demandai-je stupidement.
– Quoi de mieux ? contra-t-il. La mémoire de la race humaine est là. Toutes les espérances et les peurs, toute la faiblesse et la gloire, tous les amours et toutes les haines.
Il y avait un volume posé sur son bureau, recouvert de cuir qui semblait avoir des siècles. J’essayai d’en distinguer le titre sur la tranche, mais il était devenu illisible.
Lu et déposé dans un wagon de train le 06 mars 2025
Ravel
Jean ECHENOZ
Les éditions de minuit
Dépôt légal : janvier 2006
Page 102 et début de la page suivante
Chapitre 8
Paris, nuit d’octobre, une heure du matin. Devant le Théâtre des Champs-Élysées, le chauffeur Jean Delfini, teint rouge vif et casquette pâle, vient de charger un client à bord de son taxi Delahaye 109. Le client à bord de son taxi lui indique une adresse, Hôtel d’Athènes, 21 rue d’Athènes et le taxi démarre, ce n’est pas une longue course. Monté à l’arrière, le client regarde les rues qui défilent, jette un coup d’œil sur le chauffeur qu’une cloison vitrée sépare de lui puis, s’absorbant dans une idée, cesse de considérer le paysage. On est presque arrivé, on descend la rue d’Amsterdam, on va s’engager à gauche dans la rue d’Athènes quand du carrefour débouche à vive allure un autre taxi, celui-là de modèle Renault Celtaquatre et conduit par le chauffeur Henri Lacep, teint jaunâtre et casquette à carreaux.
Lu et déposé dans un wagon de train le 09 mars 2025
Oh les beaux jours suivi de Pas moi
Samuel BECKETT
Les éditions de minuit
ISBN 2-7073-0055-1
Pièces de théâtre et sans extraits à partager
Oh les beaux jours
Winnie, la cinquantaine
Willie, la soixantaine
Pas moi
BOUCHE
AUDITEUR
Lu et déposé dans un wagon de train le 09 mars 2025
Fin de partie
Samuel BECKETT
Les éditions de minuit
ISBN 2-7073-0071-3
Pièce de théâtre et sans extrait à partager
Nagg
Nell
Hamm
Clov
Lu et déposé dans un wagon de train le 09 mars 2025
Tuez Skripal !
Jean-CLaude BARTOLL
Galimmard
Cet ouvrage a été achevé d’imprimer par Dupliprint à Domont (95) en mars 2023
En cours de lecture et sans extrait à partager ce jour.
Dans l’hypothèse où tu serais également une lectrice assidue et une Minerve, il sera toujours envisageable de se rencontrer par hasard à une table de lecture.
Table de lecture : Leonidas Chocolates Cafés, 693 rue Nationale, Villefranche-sur-Saône
Vendredi 14 mars 2025 : 16H30
Si tu as récupéré une enveloppe coquelicot, nous pourrons nous retrouver là où je t’attendrais désormais chaque Dominical Day avec un Caramel Macchiato Chantilly.
Table d’un Inconnu : Starbucks, 2 rue Victor Hugo, Lyon
Dimanche 16 mars 2025 : 10H30 – 14H30
Egalement disponible sur un banc de lecture : Place des Arts, Villefranche-sur-Saône entre 16H30 et 18H30.
Lundi 24 mars 2025 – Mercredi 26 mars 2025 – Jeudi 27 mars 2025
Les lettres à une Inconnue évoluent également vers une rencontre mensuelle autour d’un Drunch végétarien sur le principe de l’auberge espagnole en une galerie d’art privée au sein de mon lieu de vie, au cœur du centre-ville de Villefranche-sur-Saône. (Coordonnées disponibles sur simple demande)
Dès lors que nous nous serons rencontrés une première fois en l’un des lieux ci-dessus et aurons pris le temps d’une conversation, une place te sera réservée chaque mois.
Vendredi 04 avril 2025 – 18H30
Nombre de lettres coquelicot déposées dans les trains depuis le 09 janvier 2025 : 180