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Cédric Lépine : Pour comprendre le contexte du film, pouvez-vous rappeler le pouvoir de l'Église catholique au Costa Rica ?
Juan Manuel Fernández Escoto : C’est un sujet complexe au Costa Rica, parce que justement l’Église fait partie du gouvernement, ou du moins le gouvernement a une religion qui est catholique. Ainsi, il n’y a pas d’État laïc au Costa Rica même si c’est une discussion en cours qui existe depuis longtemps. L’Église catholique reçoit de l’argent du gouvernement, elle est également exonérée de ses activités économiques, exonérée d’impôts et autres. Aussi, l’Église a un pouvoir très fort ici au Costa Rica, et beaucoup de personnes la suivent, même si ces dernières années cela a changé, parce que les églises évangéliques sont arrivées et ont pris de la place sur le terrain de la foi au Costa Rica.
Le sujet du film est complexe, parce que bien sûr il questionne le pouvoir, avec des responsabilités qui souvent ne sont pas respectées.
Le dernier film que j’ai fait, a été programmé au festival (CRFIC) il y a environ 6 ans. Il est question de pèlerins qui marchent pendant 9 jours d’une localité très lointaine à Cartago, où il y a une vierge qui s’appelle La Negrita, l’un des symboles les plus importants de la foi au Costa Rica. Ensuite, j’ai fait un autre film qui tentait d'approfondir le sujet de la foi chez les catholiques dans des zones rurales du Costa Rica.
C. L. : Le fait que votre personnage principal qui a été victime de l'homme d'Église Mauricio Víquez Lizano doive aller au Mexique réclamer justice est-il le symbole pour vous de la nécessité d'aller chercher des appuis à l'extérieur du pays ?
J. M. F. E. : Le prêtre s’est enfui du Costa Rica quand il a su que l'un de ses crimes n'était pas prescrit par la loi. Il est allé d’abord au Panama puis au Mexique. Il a demandé une permission parce qu’il travaillait à l’université et qu'il n’avait plus de charge, tout en restant en quelque sorte lié à l’Église catholique. Il a continué à faire des messes sans avoir d'églises attitrées. Il était responsable de plusieurs crimes dont certains sont prescrits et d'autres non. Personne ne l’a arrêté parce qu’il était une personne médiatisée profitant de sa célébrité.
C. L. : Comment avez-vous imaginé le procédé pour accompagner les témoignages des victimes dans le film avec pudeur et soutien ?
J. M. F. E. : Quand j'ai fait connaissance d'Anthony, il était déjà engagé dans l’activisme social, après un long processus de travail avec des psychologues, préalable qui lui a permis de raconter son histoire personnelle à partir d’un autre endroit. Avant que je le rencontre, il était déjà dans un processus de guérison.
Nous avons ensemble, lui et moi, décidé d'aller au Mexique, pour aller faire pression sur les autorités là-bas, avant que les crimes commis sur Josué ne soient prescrits. C’était en quelque sorte un travail d’équipe. De son côté, Josué commençait à peine le chemin de la guérison, parce qu’il se rendait à peine compte de ce qui lui était arrivé et avait à peine porté plainte. C’est pour cela que dans le film Josué se trouve ailleurs. Il était encore dans les coulisses, car devant l’opinion publique, personne ne savait encore qui était Josué.
J’ai aimé le raconter ainsi, pour qu’il y ait comme une différence de personnages, l'un dans une démarche de revendication sociale et l'autre incarné par sa voix. C’est comme si les deux témoignages s’appuyaient, parce que Josué ne peut pas se permettre de faire ce chemin jusqu’au Mexique. Aussi, l’initiative d’Anthony est un soutien aussi pour Josué, tout comme le témoignage de Josué est également un soutien pour Anthony. Ce sont deux chemins qui s’appuient, et c’est ainsi que nous avons voulu construire la narration du film.
C. L. : Comment avez-vous imaginé le film avec notamment l'incertitude de ce qui allait se passer au Mexique ?
J. M. F. E. : Je ne savais pas très bien comment cela allait se passer ou ce qui allait se passer, mais j’avais une forte intuition que quelque chose d’important allait arriver, quoi qu’il en soit. C’était comme un pari pour une histoire importante qui doit être racontée, pour faire bouger d’une certaine façon ce pays à divers endroits.
C. L. : Pourquoi avoir décidé de faire un film pour le cinéma plutôt qu'un reportage pour la télévision ?
J. M. F. E. : J’ai d’abord étudié le journalisme et ensuite la production audiovisuelle, dans une carrière où j’ai aussi fait du journalisme. J’ai étudié le cinéma à Cuba, dans l’école de San Antonio de los Baños et plus spécifiquement le montage.
Le journalisme au Costa Rica a aidé à faire de cette affaire un cas médiatique où les gens savaient, comprenaient cette situation. Antony a beaucoup parlé dans les médias. Face à un reportage, un film de cinéma est différent par sa profondeur, à la suite d’un processus de plusieurs années de recherche, de compréhension, de réflexion. Ce qui n'empêche pas que les reportages à la télévision étaient importants pour faire connaître l’affaire.
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C. L. : Comment interprétez-vous l'interdiction au moins de 18 ans de votre film lors de sa présentation au CRFIC ?
J. M. F. E. : C’est un sujet complexe et je ne sais pas qui sont les personnes qui portent la censure au Costa Rica mais j’imagine qu’ils prennent des décisions pour des questions de forme, des mots utilisés dans le film. Je suis d’accord avec vous sur le fait que c’est un film qui devrait être vu par les jeunes de moins 15 ans. Je le crois d'autant plus que que c’est justement un film qui peut aider à sensibiliser sur le sujet et à faire prendre conscience de ce problème.
C. L. : Le titre du film sous-entend que l'accès à la parole pour se sentir légitime d'exposer une injustice n'est pas évidente en fonction de la classe sociale.
J. M. F. E. : Une classe sociale en situation de précarité est en effet plus vulnérable aux abus de pouvoir. La maltraitance des enfants est ainsi liées à des conditions de difficultés économiques. Qu'il s'agisse de leur âge et de leur situation économique, les enfants sont d'autant plus vulnérables pour connaître leurs droits. Les institutions ont le pouvoir de contrôle pour savoir si les différents corps sociaux fonctionnent et comment ils fonctionnent. Autrement dit, il y a des lacunes de contrôle dans de nombreuses institutions pour savoir comment les personnes agissent face aux abus et crimes. Je pense que cela se passe dans différentes institutions éducatives, sportives, religieuses.
C’est aussi pour cela qu’il s’agit d’un problème de justice sociale. C’est une question aussi d’exploitation où des personnes peuvent utiliser leur pouvoir dans des espaces qui leur est favorable, en toute impunité.
C. L. : Malgré la lutte contre les injustices, le film est traversé d'une paix intérieure : comment ce choix de ton s'est imposé au montage ?
J. M. F. E. : En effet, je ne souhaitais pas faire un film sur un état de guerre. Pour moi, le changement doit provenir d’une prise de conscience plus profonde et le film était important pour moi afin de refléter ce changement dans la prise de conscience. Face à une situation si compliquée, avoir le calme pour observer et comprendre, était mon objectif dans le partage avec le public. J’ai dû faire un long chemin pour trouver cette version du film : il fallait un mélange entre une prise de conscience profonde sans entrer dans une guerre, mais à la fois déterminé et fort. Je ne voulais pas non plus tomber sur une revictimisation des personnages, mais que ceux-ci puissent raconter leur histoire de l’endroit le plus juste possible.
C. L. : Comment voyez-vous la difficulté de témoigner de crimes subis dans un pays dont l'image de « Pura vida » laisse entendre qu'il s'agit d'un paradis où tout va bien pour tout le monde ?
J. M. F. E. : Bien sûr, le Costa Rica, comme tout autre pays, a des problèmes. Ce discours selon lequel nous n’avons pas de problèmes n’est pas vrai. Il fait partie de l’illusion. Le Costa Rica a des choses belles et intéressantes mais il y a aussi des choses qui sont terribles dont il faut parler.
C’est pourquoi encore ce serait vraiment important d’avoir un soutien, une reconnaissance de la part du Pape sur ce qui s’est passé au Costa Rica. Et pour que cela se produise, l’option serait que le Pape puisse donner au moins son opinion sur ce sujet.
Lors de la première présentation du film au CRFIC, quand le public s'est levé à la fin pour applaudir, c’était très impressionnant et très important aussi pour les gens, pour Anthony et Josué. J’ai l’impression que c’était comme une sorte de guérison, pour eux mais aussi pour beaucoup de gens qui étaient là.
Une jeune fille s’est d'ailleurs approchée de moi et m’a dit : « Je tiens à vous remercier pour ce film parce que vous montrez la justice qui a eu lieu dans cette affaire. Dans mon cas, il n’y a pas eu de justice. Je vous remercie parce que le film me donne de l'espoir. »
Cela donne donc beaucoup d’énergie pour suivre le chemin : construire et encourager l’espoir.
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El monaguillo, el cura y el jardinero
de Juan Manuel Fernández Escoto
Documentaire
87 minutes. Costa Rica, 2025.
Couleur
Langue originale : espagnol
Avec : Anthony Venegas Abarca, Josué Alvarado Quirós
Scénario : Juan Manuel Fernández Escoto
Images : Juan Manuel Fernández Escoto, Laura Ángel
Montage : Juan Manuel Fernández Escoto, Medhin Tewolde, Nitay Jiménez
Musique : Walter Briceño
Design sonore : Erick Vargas
Direction artistique : Juan Manuel Fernández Escoto, Medhin Tewolde, Nitay Jiménez
Production : Juan Manuel Fernández Escoto, Karina Blanco