Au commencement était Toumaï, il y a sept millions d'années. Homo erectus a fait son apparition il y a 1,5 million d'années. Depuis deux cent mille ans, Homo Sapiens creuse son sillon. Entre les uns et les autres, sans que l'on sache encore bien la situer – sinon dans le temps – Australopithecus Sediba vient de se faire une petite place.
Rien de moins qu'une nouvelle espèce, selon les chercheurs qui l'ont découverte, et dont les travaux sont publiés dans la revue «Science» du 9 avril.
Australopithecus Sediba, ce sont deux morceaux de squelettes fossilisés, mis au jour en Afrique du Sud, dans les grottes de Malapa. Ils ont 1,95 à 1,78 million d'années: ce qui les place sur l'échelle du temps un million d'années après Lucy. Mais au moins 1,5 million d'années avant Homo Sapiens. Des contemporains probables d'Homo erectus.
D'ailleurs, eux aussi marchaient debout, estiment les chercheurs, s'appuyant sur les caractéristiques des ossements retrouvés. Et partagent de nombreux traits avec les premières espèces connues du genre Homo, comme par exemple de petites dents et une structure osseuse comparable.

Où les classer? Quels parents, quels descendants? «Il n'est pas possible de déterminer la position phylogénétique précise (c'est-à-dire la place dans l'arbre généalogique) d'Australopithecus sediba par rapport aux autres espèces des premiers Homo», reconnaît Lee Berger, l'un des auteurs principaux de la découverte. Selon lui, Sediba descend d'Australopithecus africanus, mais possède une façon plus efficace de marcher et de courir. Néanmoins, «cette nouvelle espèce partage plus de traits dérivés avec les premiers Homo qu'avec toute autre espèce connue d'australopithèque». Ces deux squelettes pourraient donc bien être «l'ancêtre de ce genre ou un groupe frère d'un ancêtre proche qui a persisté un moment après l'apparition des premiers Homo».
«Ces fossiles nous offrent un aperçu extraordinairement détaillé sur un nouveau chapitre de l'évolution humaine et nous ouvrent une fenêtre sur la période critique où les hominidés sont passés d'une vie dépendante des arbres à celle, différente, vécue au sol», précise Berger. «Australopithecus sediba s'avère présenter une mosaïque de traits montrant un animal à l'aise dans les deux mondes.»
Une nouvelle étape du passage d'une population plus petite et peut-être plus arboricoles à des individus plus grands et pleinement bipèdes.
C'est en janvier 2008 que Lee Berger, de l'Université de Witwatersrand (Afrique du Sud) et Paul Dirks (Université James Cook, Australie) ont commencé à étudier les fossiles dans les grottes du «Berceau de l'Humanité», un site classé au patrimoine mondial de l'Unesco –«sediba» signifie «fontaine» ou «source» en sesotho, langue parlée en Afrique du Sud.

Les deux Australopithecus sediba, une femelle adulte et un jeune mâle, ont été trouvés à peu de distance dans une partie de la grotte qui avait été protégée des charognards et dont les fossiles sont ainsi très bien conservés.
«Nous pensons que le milieu où vivait sediba ressemblait dans une large mesure à l'actuel», note Dirks. «Par exemple, il s'agissait de plaines herbeuses coupées de vallées plus boisées. Les rivières coulaient toutefois dans des directions différentes et le paysage n'était pas statique mais changeait tout le temps», suggère Paul Dirks.
«Les fossiles se trouvent presque intacts dans les sédiments d'un système de grottes érodé en profondeur», poursuit Dirks. «Ils ont été apportés dans une même vague de dépôt, ce qui indique que les décès ont été très rapprochés et se sont produits juste après que les débris furent emportés jusqu'à leur site d'enfouissement.»
Les chercheurs ont identifié les fossiles d'au moins 25 autres espèces d'animaux, dont des tigres à dent de sabre, un chat sauvage, une hyène brune, un chien sauvage et un cheval. Selon eux, les grottes de Malapa avaient plusieurs dizaines de mètres de profondeur à l'époque où les fossiles se sont formés, et elles ont pu se transformer en pièges mortels pour des animaux cherchant de l'eau.
«Une explication possible à leur entrée dans la grotte est qu'ils ont pu rechercher de l'eau», ajoute Dirks. «On peut penser qu'à l'époque, la région subissait une sècheresse sévère... Les animaux ont peut-être senti l'eau, se sont aventurés trop loin et sont tombés dans des cavités peu visibles dans l'obscurité, ou se sont perdus et sont morts.»