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Billet de blog 1 novembre 2008

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Quantum of Solace : Saint-Georges is back in action

Après la quasi-unanimité des critiques pour accueillir avec bienveillance Casino Royale comme un retour aux fondamentaux (réalisme de la violence, moins d'effets spéciaux, de gadgets qui avaient abouti en 2002 à l'impossible Aston Martin invisible de Meurs un autre jour), les critiques se sont divisés sur Quantum of Solace, le dernier James Bond.

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Après la quasi-unanimité des critiques pour accueillir avec bienveillance Casino Royale comme un retour aux fondamentaux (réalisme de la violence, moins d'effets spéciaux, de gadgets qui avaient abouti en 2002 à l'impossible Aston Martin invisible de Meurs un autre jour), les critiques se sont divisés sur Quantum of Solace, le dernier James Bond. Les reproches se fondent sur la perte de l'identité bondienne par la disparition des attributs de l'espion, et l'indigence du scénario: le film étant une suite de scènes d'action. Examinons ces différents points.
Quantum of Solace redonne un peu d'érotisme par rapport à Casino Royale. Les bacchantes qui peuplaient les génériques fantasmatiques depuis le premier film Docteur No avaient disparu avec Casino Royale. Elles réapparaissent dans Quantum of Solace. Et si, pour la seconde fois, James Bond ne finit pas son aventure dans les bras et le lit de la Bond girl, la scène érotique qui a lieu au milieu du film entre Bond et sa collègue du MI6 est largement plus dénudée que les scènes d'amour de Casino Royale.
Il existe sans doute une difficulté pour les producteurs de James Bond d'aller plus loin en revenant à l'érotisme d'avant Daniel Craig. Car associer violence, surtout violence réaliste, et érotisme constitue une menace de faire interdire le film aux adolescents sur le marché américain. Or une grosse production comme Quantum of Solace ne peut se permettre une telle impasse.
La baisse de l'érotisme depuis Casino Royale ne saurait expliquer la disparition du personnage de Miss Moneypenny, la secrétaire du chef des services secrets. Moneypenny incarnait les scènes galantes qui n'allaient pas plus loin. Quantum of solace n'a pas rétabli sur ce point ce que Casino Royale, ce classique des classiques, a défait. Le personnage de Moneypenny était hiérarchiquement inférieur à James Bond et il représentait ces femmes amoureuses des agents secrets qui ne concrétisaient pas pour ne pas se retrouver veuves de bonne heure. Depuis les débuts de la série les rôles de femmes ont évolué et Bond en croise davantage d'égales ou de supérieures (M bien entendu mais aussi l'industrielle Elektra King interprétée par Sophie Marceau dans Le monde ne suffit pas). Quand elles ne sont pas des femmes de tête (Vesper Lynd) ce sont des femmes d'action (Jinx). Dans un tel univers un personnage tel que Monneypenny risque la désuétude.
Quantum of Solace ne fait pas réapparaître Q, le magicien technicien qui affublait James Bond de ses gadgets. Personne ne s'était ému de sa disparition dans Casino Royale. La production avait annoncé qu'elle se dirigeait vers une série de thrillers plus réalistes d'où les fantaisies seraient exclues. Quantum of Solace poursuit cette logique, nous ne devrions pas en être surpris. Mais voilà nous sommes habitués depuis quarante ans à une recette dont la technologie fait partie des ingrédients.
Une production James Bond se fonde toujours sur un paradoxe: on doit y retrouver les mêmes ingrédients tout en étant une autre histoire, un autre film. James Bond se trouve donc sous la menace de se voir reprocher un manque de surprise, d'invention, si le film est prévisible ou de déviationnisme, de perte d'identité s'il innove. 007 depuis ses origines navigue entre le réalisme et l'imaginaire, le tragique et la fantaisie selon les périodes géopolitiques, le contexte technologique, l'esthétique cinématographique. La période Pierce Brosnan par exemple fut marquée par la fin de la guerre froide, la croyance en la fin de l'histoire, et du point de vue de l'audiovisuel par la montée de l'image de synthèse et le développement culturel des jeux vidéo. Les méchants qu'affronte James Bond venaient donc soit des médias (Demain ne meurt jamais) soit il s'agissait d'ennemis de la Grande-Bretagne issus du passé (des Cosaques qui reprochent aux Anglais de les avoir abandonnés aux mains des soviétiques à la fin de la Seconde Guerre mondiale dans Goldeneye, la fille d'un industriel britannique victime du syndrome de Stockholm dans Le monde ne suffit pas). La violence y est caractérisée par le grand nombre des explosions ou des coups de mitraillette, formes de violences particulièrement présentes alors dans les jeux vidéo. Pierce Brosnan lui-même avec sa plastique parfaite y semblait une créature numérique, mais non dénuée d'âme.
Les reproches faits à Quantum of Solace quant à la disparition des attributs sont fort surprenantes car Casino Royale avait supprimé davantage de ces attributs. Le gun barrel, ce canon qui suit James Bond avant que celui-ci ne fasse feu et que le sang coule était intégré à l'histoire dans Casino Royale. Il redevient un signe indépendant comme auparavant même s'il est placé à la fin du film et non au début. Les producteurs jouent avec les attributs pour surprendre les fans. Ainsi dans Quantum of solace, 007 boit six cocktails Vesper. Il dit qu'il ne connaît pas la composition de ce cocktail alors qu'il en a donné lui-même la recette dans Casino Royale.
En fait la technologie est bien présente dans Quantum of Solace, davantage même que dans Casino Royale. Il y a une scène explosive dans une pile à hydrogène et l'on assiste à une démonstration de table ordinateur. Mais il est vrai que depuis Casino Royale, les intrigues sont davantage financières que technologiques (l'actualité leur donne raison). Ce qui a surtout changé, c'est que la technologie n'est plus un jouet. Le premier gadget de la série, la mallette explosive de Bons baisers de Russie fut aussitôt commercialisée comme cadeau jouet. Elle fut suivie par l'Aston Martin DB5 de Goldfinger avec siège éjectable commercialisée par Corgi. Ces jouets et jeux étaient destinés aux plus jeunes. Les producteurs de la série Harry Saltzman et Albert Broccoli souhaitaient faire des films familiaux à partir de romans écrits pour des adultes au sang chaud. Françoise Hache-Bissette a bien montré que James Bond n'était pas une série pour les enfants. Le gadget, jouet utilisé par des grands, était un moyen d'arrimer les plus jeunes à la série. Que faut-il donc en déduire d'une série qui n'a pas renoncé à toucher le jeune public? Serait-ce que ce jeune public est un peu plus adulte?
L'attribut suivant est à même de répondre à la question. Il n'y aurait plus de méchant d'envergure ; plus de mégalomanes comme Stromberg, de monstres comme le Dr No avec ses mains en métal. Il est vrai que depuis deux films James Bond n'a pas affronté le grand chef de l'organisation Quantum, juste des chefs de réseau (Le Chiffre et Dominic Green). Mais ce fut aussi la même chose lorsque James Bond combattit le SPECTRE. Il fallut attendre quatre films avant que 007 se retrouve face au chef du SPECTRE, Ernst Stavro Blofeld. Il affronta avant ses chefs de réseau (le Dr No, Emilio Largo) et même des sous-fifres comme Rosa Klebb et Red Grant dans Bons baisers de Russie, un des James Bond les plus emblématiques. Mathieu Amalric a fait remarquer qu'il joue un méchant qui n'a pas de tare physique comme particularité de ce nouveau méchant. Il n'est pas le premier : Hugo Drax, Eliott Carver, Sophie Marceau n'avaient pas de tare physique prouvant leur monstruosité. Néanmoins l'interprète de Dominic Greene a raison de dire qu'il s'agit de méchants dont on ne se doute pas qu'il sont méchants. Mr White souligne qu'ils sont partout et qu'on ne peut se douter qui ils sont tant ils sont bien infiltrés. Quantum confirme Casino Royale, l'organisation est plus une mosaïque d'organisations terroristes fédérées dont il est difficile ainsi de deviner le visage. Voilà pourquoi nous ne voyons pas le visage du grand chef. C'est une des particularités de ces méchants. On ne découvrait Blofeld qu'en 1967 mais déjà depuis deux films le spectateur pouvait voir la silhouette que Bond ne voyait pas.
La difficulté de cerner l'organisation s'ajoutant à un avion que les terroristes veulent faire exploser et un immeuble qui s'effondre au final donnait à Casino Royale; un imaginaire proche du 11 septembre 2001 et d'Al Qaeda, même si l'action se situait au Montenegro et à Venise. Avec Quantum of Solace, c'est de façon plus évidente l'organisation islamiste qui se cache derrière le nom de Quantum. James Bond affronte Dominic Greene qui dirige une multinationale soit disant écologique (d'où le nom de Greene, vert). En fait Greene est un pollueur qui veut s'approprier des terres en Amérique du Sud pour spéculer sur le prix de l'eau. Tout le monde pense qu'il y a du pétrole parce que Greene veut s'approprier ces terres. Le parallèle entre eau et pétrole sur une terre désertique évoque davantage le Moyen-Orient que l'Amérique du Sud. Et si le vert de Greene signifie écologie c'est aussi la couleur de l'Islam. Mais la particularité du cinéma est de ne jamais faire d'attaque frontale contre un ennemi réel. A l'époque de la Guerre Froide dans les films l'organisation terroriste SPECTRE s'ajoutait pour brouiller les cartes entre l'Ouest et le bloc soviétique. Aujourd'hui le cinéma utilise l'arme de la métaphore face au terrorisme islamique en transposant le conflit sur un autre terrain géographique (le Monténégro dans Casino Royale, la Bolivie dans Quantum of Solace).
Nous sommes donc au cœur de l'actualité avec ce nouveau James Bond et non plus dans des histoires héritées du passé comme Goldeneye ou Le monde ne suffit pas. James Bond a vécu plusieurs périodes historiques mais il n'est jamais aussi puissant, car nécessaire, que lorsque la menace est réelle. C'était le cas avec la Guerre Froide ça l'est avec le terrorisme d'Al Qaeda. Ce sont généralement les périodes les plus réalistes sur le plan esthétique et du combat. Ce qui explique donc la disparition des gadgets. L'Occident a pris une conscience adulte avec les attentats du 11 septembre.
Un autre élément rattache Quantum of Solace au terrorisme post-2001 : James Bond a déjà affronté des industriels voyous (Goldfinger, Zorin) ; il a même affronté des industriels soutenus par les gouvernements américains et britanniques tels Hugo Drax dans Moonraker, mais avec Dominic Greene il affronte un industriel voyou que les occidentaux soutiennent alors qu'il s'agit d'une «mauvaise fréquentation». Quantum of Solace montre des ministres américains et britanniques d'un cynisme absolu. Dominic Greene assoiffe peut-être l'Amérique du Sud mais s'il est un soutien de l'Occident voilà l'essentiel, laissons-le faire. Tout cela rappelle les bonnes relations de la famille Bush avec Ben Laden.
James Bond défendra l'Occident mais non de façon cynique, sans faire de compromis avec une Realpolitik quitte à se brouiller avec son propre employeur. Ian Fleming avait plus d'une fois comparé Bond à Saint Georges, dans les romans (Moonraker, Goldfinger) ou dans ses interviews. Jamais dans un des films de la série Bond n'aura ressemblé à Saint-Georges. Saint-Georges avec sa croix en diagonale inspira le drapeau des croisés, et James Bond part en croisade. Mais davantage encore il est le seul à agir, le seul à vouloir arrêter Dominic Greene en train d'assoiffer les populations. Or la Légende dorée veut que Saint-Georges ait terrassé un dragon qui réclamait continuellement des sacrifices humains. Tétanisé par le dragon le royaume acceptait de livrer ses enfants au dragon. Saint-Georges arrêta ça. James Bond fait la même chose. Tout le monde est prêt à accepter la raréfaction de l'eau quitte à faire mourir des populations puisque les intérêts de l'Occident sont, croit-on, préservés. Dominic Greene n'a pas les pinces du Dr No, mais malgré son apparence humaine c'est bien lui le dragon. Pour Fleming la fonction de Bond est de lutter contre l'acédia, ne jamais baisser les bras. Jamais un James Bond au cinéma n'aura été aussi fidèle à ce principe.
Par conséquent, le fait que James Bond puisse enchaîner des scènes d'action en voiture, à pied puis en bateau, en avion, ne traduit pas l'indigence du scénario qui ne serait qu'une suite de situations mises bout à bout, mais l'absence d'abandon de l'agent 007 qui doit courir après les indices. De fait ce n'est pas le premier James Bond à qui on fait ce reproche. Et s'il était assez légitime dans le cas de Demain meurt un autre jour, Opération tonnerre, un des classiques de la série, a subi le même reproche. Les James Bond sont malgré tout des films d'action et si la forme de road movie qu'emprunte le scénario est bien moins originale que la partie de poker de Casino Royale le scénario a un vrai discours sur la situation géopolitique du moment et fait évoluer le personnage de Bond.
Peu de monde s'était ému de voir dans Casino Royale James Bond sous les traits d'une tête brûlée qui tue très facilement. Le James Bond du Casino Royale du roman de Fleming était un homme qui avait acquis son permis de tuer en forçant sa nature. Il avait tué de sang-froid mais en gardait le traumatisme. Quantum of Solace rééquilibre le personnage qui ne tue plus de façon aveugle. Nous retrouvons alors un personnage bien dans la tradition.
Du point de vue de la mise en scène c'est l'art de l'ellipse qui est mis en valeur, particulièrement dans les scènes d'action. Des plans sont coupés de façon à ne garder que le dynamisme et l'aspect cognitif des scènes d'action. L'histoire se répète: c'est en coupant les temps morts des combats que les premiers films de James Bond avaient acquis leur réputation d'originalité et d'efficacité (en fait les James Bond imposaient en Occident des façons de filmer les combats qui avaient cours dans les films de karaté chinois). Appliqué à la traditionnelle poursuite en voiture ce montage syncopé donne une scène d'anthologie. Bond montre ainsi à tous les Bourne et Bauer qu'en matière de force réaliste il est toujours le pionnier.

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