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Billet de blog 2 janvier 2014

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Pouvoir d'Allah

Islam et islamisme constituent le grand problème de notre temps. Et ce n’est pas seulement une affaire de terrorisme ou de printemps arabes qui ne tiennent pas leurs promesses. C’est bien davantage que le monde musulman est une énorme machine multiforme et désordonnée, sans principe directeur et dont on ne sait pas ce qu’il faut attendre.

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Islam et islamisme constituent le grand problème de notre temps. Et ce n’est pas seulement une affaire de terrorisme ou de printemps arabes qui ne tiennent pas leurs promesses. C’est bien davantage que le monde musulman est une énorme machine multiforme et désordonnée, sans principe directeur et dont on ne sait pas ce qu’il faut attendre. Mais un chiffre avant tout : les musulmans sont actuellement un milliard et demi peuplant la planète et bien plus l’Asie que l’Afrique ou le Moyen Orient. De quoi penser qu’un jour cette énorme foule pourrait bien submerger le monde.
 

Dans un essai intitulé Au nom d’Allah, l’écrivain algérien de langue française Boualem Sansal, auteur de romans connus tels que Le Village de l’Allemand ou Rue Darwin, choisit courageusement de s’exprimer sur cette problématique depuis son pays, où il vit comme en exil. Il ne le fait pas de façon polémique mais en démocrate qu’il est, et qui tente de s’y retrouver dans ce qui est devenu un écheveau gigantesque et chaotique. Qui tente également d’y voir clair sur les distinctions à faire entre Arabes, musulmans et islamistes, ou encore entre les diverses obédiences religieuses nées de l’islam.

De fait, l’Algérie est un bon poste d’observation pour suivre ce qui fut le sort des pays arabes au XXe siècle. Elle en a tant vu ! Elle a connu une colonisation qui se voulut assimilatrice, une guerre de libération qui fut  convulsive et sanguinaire, un pouvoir socialiste qui fit d’Alger la Mecque des révolutionnaires et, par-delà, un courant réformiste inspiré par un penseur comme Ben Badis, mais ne résista pas à l’irruption de ces frères musulmans qui, en fin de siècle, se heurtèrent à l’armée algérienne dans une guerre civile atroce. Tout cela donne un pays meurtri et qui semble compter plus sur la vente de son pétrole que sur ses savants et ses intellectuels – nombreux – pour accéder à quelque révolution des Lumières que le monde musulman n’a pas connue jusqu’à présent.

Où en est ce monde aujourd’hui ? C’est bien la question de Sansal qui commence par rappeler le caractère extrêmement divisé des religions et sectes se réclamant d’Allah ; il en inventorie d’ailleurs la disparité dans une annexe à son ouvrage. Certes, le monde chrétien connaît aussi ses concurrences mais il s’appuie, pour sa part catholique tout au moins, sur le pouvoir temporel du Vatican qui définit et administre une politique. L’islam, lui, attend toujours son grand Calife. A quoi s’ajoute, variant peu d’un courant à l’autre, une orthodoxie dont le rigorisme est d’un autre temps, qui pénalise durement les femmes avides d’autonomie et les jeunes avides de modernité. Et qui, plus encore, n’apporte aucune amélioration de vie aux masses dans une société qui les maintient dans une « économie de bazar », pendant qu’émirs et autres rentabilisent leur pétrole.

L’ouvrage de Sansal connaît son chapitre le plus inspiré et le plus critique lorsqu’il recense les vecteurs de l’islamisme aujourd’hui. Il commence par évoquer les tenants les plus modérés de la vaste mouvance, qu’il tance durement, écrivant : « Ils aspirent au pouvoir, savent l’atteindre par l’entrisme et l’action politique et sociale mais ne savent pas l’exercer pour gouverner » (p. 74). Quant aux partisans de la violence, Sansal désespère de les voir s’arrêter alors qu’ils poursuivent leur tâche aveugle et destructrice.

En fait, que ce soit dans ou hors de l’espace concerné, le débat sur l’islam est bloqué, comme si, à force de censure et d’autocensure, partisans et adversaires, tenants de telle tendance ou de telle autre se paralysaient réciproquement. Si, dans la vaste nébuleuse des courants religieux ou politiques, quantité de militants et de responsables se mobilisent, ils n’agissent que dans la référence religieuse. « La religion et le djihad passent avant tout, déplore Sansal. À cette dose, ils ( = les islamistes) sont pris dans une sorte d’envoûtement macabre qui les rend sourds au monde. » (p.83). Ce qui invite l’auteur à insister sur l’inaction des intellectuels alors même que les islamistes ont su investir les universités et que, par ailleurs, un formidable réseau de maisons d’édition véhiculent livres et opuscules assurant l’endoctrinement. Quant à cette « rue arabe », si éruptive et spontanée en apparence, elle ne fait guère qu’obéir à des consignes venues d’ailleurs.

En terminant, Sansal s’interroge sur l’avenir de l’islamisme, qui, en plus d’un sens, est aussi celui du monde. Au lendemain des « printemps » que l‘on sait, certains Etats musulmans vont-ils prendre la route d’une démocratie peu en accord avec les préceptes du Coran ? Ou bien, tout au moins, suivront-ils l’exemple d’une Turquie qui d’une poigne forte assure au pays prospérité et sécurité ? Mais voici que, comme nous venons de l’apprendre, la corruption des élites compromet cette Turquie-là…

Dans Gouverner au nom d’Allah, Sansal dit des choses que nous savions déjà mais son grand mérite est de les structurer et de les mettre à plat (au meilleur sens du terme) comme de dresser un bilan. Il le fait en conjoignant le pessimisme du citoyen déçu par sa communauté avec l’optimisme modéré d’un romancier fervent de l’esprit d’utopie.

Boualem Sansal, Gouverner au nom d'Allah. Islamisation et soif de pouvoir dans le monde arabe, Gallimard, 2013, 12 € 50.

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