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Billet de blog 2 mai 2012

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La femme assignée

Que subsiste dans nos sociétés toute une violence physique faite aux femmes, on le sait bien mais pas encore assez. Que cette même violence connaisse des expressions symboliques multiples et s’érige en système aliénant exige tout autant d’être pris en compte et dénoncé. Et ce parce que cette violence seconde, souvent insidieuse, prend aujourd’hui des formes particulièrement destructrices.

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Que subsiste dans nos sociétés toute une violence physique faite aux femmes, on le sait bien mais pas encore assez. Que cette même violence connaisse des expressions symboliques multiples et s’érige en système aliénant exige tout autant d’être pris en compte et dénoncé. Et ce parce que cette violence seconde, souvent insidieuse, prend aujourd’hui des formes particulièrement destructrices. C’est à son démontage que s’emploie avec une rare vigueur Mona Chollet, journaliste au Monde diplomatique, dans un livre qui s’attaque aux pratiques de ce qu’elle appelle le « complexe mode-beauté » en société de consommation. Le phénomène social qu’elle décrit ainsi a sans doute été maintes fois mis au jour mais l’auteure choisit de le saisir dans ses manifestations les plus récentes comme dans ses conséquences les plus dévastatrices, en particulier pour le corps des femmes.

Intitulé Beauté fatale, son essai, de tonalité volontiers rageuse, fourmille d’exemples dont beaucoup proviennent d’une culture de masse, d’inspiration américaine, qui n’a jamais été aussi conquérante. Avec Chollet, on voit se déployer un énorme appareil, dont l’offensive pernicieuse et brutale est menée sur plusieurs fronts. Entrent en jeu les journaux de mode, les fabricants de produits de beauté, la publicité alliée au cinéma, la presse people et ses figures fétiches. Ainsi s’étend un vaste filet prédateur qui agit à tel point sur les esprits qu’il est difficile d’y échapper.

Le grand mérite de l’auteure est toutefois de ne pas s’en tenir à un inventaire des illustrations les plus concrètes de cette détestable « culture féminine ». À leur action, elle donne sens en se référant à l’idée de domination masculine, dont on sait qu’elle est transversale à toutes les autres dominations et, à ce titre, ni de droite ni de gauche. Mais elle montre en même temps que nous avons à faire à un avatar néocapitaliste de dispositions bien souvent ancestrales et qui touchent à la place et aux rôles assignés de toujours à la femme, la déterminant encore et toujours à faire valoir son corps et à séduire en toute circonstance. Chollet résume bien les choses en parlant d’« injonction de la féminité » à laquelle les femmes sont soumises sous la houlette des institutions les plus centrales (l’Église, l’État ou l’École) et en appui sur des références biologiques socialement « travaillées ».

Sur ce terrain, les industries actuelles du consumérisme vont plus loin qu’on n‘est jamais allé puisqu’elles transforment en produit ce qu’il y a de plus personnel et de plus intime dans les êtres, à savoir le corps, et par excellence ce corps-pour-autrui qu’est celui des femmes. Mona Chollet va ainsi passer en revue quelques-unes des perversions sociales qui aujourd’hui s’en prennent à la « fabrication » de la réalité physique : elles se nomment féminisation prématurée de la fillette, fascination du it bag en tant que doublet du corps caché de la femme, obsession de la minceur et anorexie concomitante, chirurgie esthétique sans frein, suprématie de la blancheur blonde chez les vedettes de la mode, etc.. Par un effet en retour et en dernière instance est ainsi induite méthodiquement la haine d’un corps qui n’est jamais tenu pour assez parfait et qui ne va jamais assez loin dans la négation de soi et de son autonomie (voir tout ce qui l’entrave, de la jupe aux talons aiguilles).

J’aime qu’en fin de parcours Mona Chollet s’en prenne à des hommes tristement emblématiques quant à leurs rapports aux femmes. Soit une série où se bousculent cyniquement Roman Polanski, Karl Lagerfeld, BHL, DSK et quelques autres. J’aime aussi qu’elle consacre une page au festival de Cannes de 1999, où, sous l’impulsion de David Cronenberg et en rupture avec l’habituelle collusion publicité-cinéma, se voient couronnés les films Rosetta des Dardenne et L’Humanité de Dumont et, avec eux, des comédiennes comme Émilie Dequenne ou Séverine Caneele échappant, par toute leur allure, au « glamour local ». Et j’apprends éberlué qu’aux States des centaines d’enfants sont prénommés aujourd’hui Armani, Chanel ou Porsche pour les raisons que l’on devine !

Cela étant et en dépit de son style bagarreur, Mona Chollet sait aussi faire la part des choses. Comme lorsqu’elle note par exemple que le soin et l’élégance du corps n’ont rien de condamnable en eux-mêmes –chez l’homme autant que chez la femme–, mais qu’ils sont, au sein du complexe mode-beauté, détournés de leur valeur. C’est pour ces nuances aussi que nous lirons le présent ouvrage.

Mona Chollet, Beauté fatale. Les nouveaux visages de l’aliénation féminine, Paris, La Découverte , « Zones », 2012. 18 €.

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