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Billet de blog 3 septembre 2010

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La droite, monstre aux yeux doux

Où est passée la gauche ? Qu'est-ce qui fait le succès de la droite aujourd'hui ? Voilà les questions qui se posent plus que jamais dans le monde occidental, alors que s'amenuisent les chances de pouvoir inverser la tendance.

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Où est passée la gauche ? Qu'est-ce qui fait le succès de la droite aujourd'hui ? Voilà les questions qui se posent plus que jamais dans le monde occidental, alors que s'amenuisent les chances de pouvoir inverser la tendance.

Linguiste de formation, Raffaele Simone entreprend de répondre à ces questions dans un bref essai qui, même s'il reprend quelques thèmes rebattus, fait preuve d'une réelle fraicheur de perception à l'égard de ce débat crucial. Peut-être cela tient-il à ce que l'auteur nous vient d'Italie, pays proche et aimé, qui, sous Berlusconi, a touché le fond en matière de basculement ignominieux à droite. En fait, toute la démonstration de Simone tourne autour de ce constat basique : il est une « nouvelle droite » qui, opérant dans la séduction et le trompe-l'œil, offre très peu de prise à la contestation et à la rébellion, une fois qu'elle est au pouvoir - et elle l'est même là où elle ne gouverne pas.

Dans un esprit quelque peu dialectique, l'essai en cause fait alterner de façon alerte commentaire sur l'état de la gauche et point de vue sur l'état de la droite. Premier temps assez prévisible : l'idéal socialiste, qui a permis de réelles conquêtes, s'est progressivement édulcoré et n'est plus à la hauteur du temps. La lutte des classes est devenue un thème obsolète alors que les effets de domination, dans beaucoup de cas, n'ont pourtant pas faibli. De là, une gauche réduite à ce qu'on appelle en Italie le « buonisme » (idéologie de résignation et manière de dire « tout va s'arranger »). Ainsi dans un film de Nanni Moretti, un personnage s'adresse à D'Alema, qui appartint glorieux PCI et a versé dans ce buonisme, pour lui crier : « D'Alema, dis-nous quelque chose de gauche ».

Deuxième temps de la démonstration : la droite nouvelle, gestionnaire d'un ultra-capitalisme, se veut populiste et apolitique. Elle dit en gros : je sais ce que veut le peuple, puis elle prend les mesures qui l'arrangent, elle (les dispositions sécuritaires en France). Mais ce peuple-là n'est plus un peuple de travailleurs mais est devenu une masse de consommateurs, auxquels la droite dit encore : « jouissez de la vie en toute tranquillité, nous nous occupons du reste ». Sa classe de référence est en particulier une bourgeoisie petite et moyenne à laquelle elle promet un bonheur fluide autant que continu.

Troisième temps : il n'est donc plus de prolétariat, ce prolétariat qui fut classe consciente d'elle-même et aspirant à l'universalité, sur laquelle la gauche puisse s'appuyer. Et, plus grave encore, les jeunes, force vive, se sont détournés en bloc du politique. Pour le jeune selon Simone, « il n'est plus nécessaire de s'adresser au vieux pour lui demander des choses que l'on ignore et qu'il sait probablement (...). Chaque génération préfère renaître ex novo, vierge et ignare presque comme au premier jour de la création » (p. 96). Il y a beaucoup de cela, on en conviendra.

Quatrième temps, et le plus original : Raffaele Simone puise dans Alexis de Tocqueville (De le démocratie en Amérique) cette étrange prédiction où s‘annonce la venue d'un despote absolu qui, régnant sur une vaste multitude, ne voudra rien tant qu'assurer la jouissance immédiate de celle-ci : « il aime, imagine Tocqueville, que les citoyens se réjouissent, pourvu qu'ils ne songent qu'à se réjouir. Il travaille volontiers à leur bonheur ; mais il veut en être l'unique agent et le seul arbitre. » (p. 106) Nous y voilà : c'est le « monstre doux » du titre de l'ouvrage. À ce propos, l'auteur développe le thème du « temps captif » dans lequel le monstre attire la masse des « braves » consommateurs et qui consiste en une multiplication des formes de divertissement collectif saturant tout le temps passé hors travail (voyages touristiques, festivals, disneylands, etc.). Où est l'heureuse époque où, jeune, on s'ennuyait en vacances mais aussi rêvait, lisait, méditait en flânant ? Nous avons pleinement basculé dans la société du spectacle décrite par Debord, où la distinction entre réalité et fiction se délite comme à jamais.

Ainsi la droite nouvelle séduit par cela qu'elle produit l'image d'un monde « fluide, divertissant, joyeux ». Comment résister à ses blandices ? La solution provisoire envisagée par Simone consiste à renvoyer l'homme de gauche à sa vocation de toujours : combattre en lui, par un effort « artificiel », l'être de droite qu'il est « naturellement », un être égoïste et porté à l'appropriation abusive. Combattre par cette voie le « monstre doux », dragon à mille têtes séductrices qui, une fois coupées, repoussent, est pour le moins une immense tâche. Mais qui va s'y atteler ? Même la gauche radicale s'y prend assez mal. Et où sont les grands intellectuels de jadis qui inspiraient le mouvement ?

Saluons de toute façon l'effort de réflexion de Raffaele Simone. Son sympathique essai reprend quelques idées communes avec le grand mérite de les revivifier au gré d'aperçus ingénieux.

  • Raffaele Simone, Le Monstre doux. L'Occident vire-t-il à droite ? traduit de l'italien par K. Bienvenu avec le concours de G. Larcher. Paris, Gallimard, « Le Débat », 2010. Sortie le 16 septembre.

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