Jacques Dubois (avatar)

Jacques Dubois

Abonné·e de Mediapart

Billet publié dans

Édition

Bookclub

Suivi par 634 abonnés

Billet de blog 4 février 2011

Jacques Dubois (avatar)

Jacques Dubois

Abonné·e de Mediapart

Cher Sollers

Spécialité jadis bien française, les essais sur la littérature n'ont plus la cote. Qu'à cela ne tienne ! Philippe Sollers, critique averti, a choisi d'envelopper le commentaire qu'il consacre à Stendhal dans un roman d'amour à sa façon.

Jacques Dubois (avatar)

Jacques Dubois

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Spécialité jadis bien française, les essais sur la littérature n'ont plus la cote. Qu'à cela ne tienne ! Philippe Sollers, critique averti, a choisi d'envelopper le commentaire qu'il consacre à Stendhal dans un roman d'amour à sa façon.

Le narrateur est à Venise, ville où il a passé la moitié de sa vie, et y a pour amante une belle Italienne possédant un appartement dans la cité des Doges. Entre deux baignades ou deux moments au lit (ces derniers très voilés), les amoureux s'entretiennent de l'auteur de La Chartreuse de Parme. Or, voyez comme cela tombe bien, Minna Viscontini (la trentaine et maman d'une Clélia) enseigne dans une université milanaise l'œuvre du grand Henri Beyle mais en se limitant aux seuls Souvenirs d'égotisme - ce qui est du dernier chic.

Au vrai, Minna donne fort peu la réplique à son illustre amant. C'est lui et lui seul qui raconte Stendhal, commente Stendhal, cite Stendhal. Il le fait avec cette nonchalance inspirée qui n'est que de lui et qui l'entraîne à piquer dans une vie le détail croustillant ou dans une œuvre la phrase qui frappe juste. Et de nous rendre plus aimable encore l'auteur français que l'Italie passionna parce qu'il reconnaissait en elle sa propre vivacité de style. Philippe Sollers, qui doit bien se penser le Stendhal de notre siècle, n'a qu'un regret, c'est que ce dernier, qui se disait volontiers « Milanese », n'ait pratiquement jamais mis les pieds à Venise, ayant surtout aimé Rome après avoir aimé Milan.

Sous l'essai critique ainsi déguisé, Trésor d'amour (quel titre !) est une bluette charmante. Âgée de 35 ans, Minna Viscontini est jolie et de petite taille. Elle comble son amant en venant le voir deux ou trois jours par mois et «c'est amplement suffisant». On flâne, on se promène, on se baigne, on s'en va déjeuner au Linea d'Ombra et l'on goûte le prodigieux silence de l'appartement sis derrière la Salute : «On ne sort pas, écrit Sollers, on ne voit personne, l'eau, les livres, les oiseaux, les arbres, les cloches, le silence, la musique, on est d'accord sur tout ça. Jamais assez de temps, encore, encore» (p. 22). Et, à la même page, cette note si troublante: «Une femme vraiment aimée est brusquement la même qu'une autre, très différente, et qu'on n'oubliera jamais.» Mieux que tout dans le contexte, Minna serait une descendante lointaine de Matilde-Métilde Dembovski, le grand amour insatisfait de Beyle. Ainsi on en revient toujours à Stendhal, dont l'évocation nous rappelle combien Sollers est un fin critique ou, mieux encore, un excellent lecteur, qui sait piquer dans les recoins d'une œuvre multiforme les passages le plus parlants pour nous aujourd'hui. Et tout cela proposé avec une légèreté qu'il faut bien dire toute stendhalienne.

Traversent encore le récit de petits accès de fureur contre notre temps dont Sollers est familier. S'agissant de l'université, Minna vient à la rescousse: «Elle s'ennuie à l'université. Professeurs tarés et faux étudiants, avec qui pourrait-elle parler de Stendhal ? Elle ne fréquente pas ses collègues, petits bourgeois accablés, ni ses élèves, de plus en plus indifférents et illettrés. Colloques ? L'ennui. Thèses ? Bâclées. » (p. 40). Mais, en d'autres cas, ne comptant que sur lui-même, Sollers fustige à tout va, et non sans agacer : la littérature actuelle, l'amour sans passion, l'américanisation de la France et de l'Italie, et l'on en passe. En ce registre, il n'a guère de peine à se réclamer de l'auteur de Lamiel qui, lui également, n'aimait pas son temps « restauré » ou « monarchisé ». Apparemment Sollers n'attend plus rien de la littérature d'aujourd'hui parce qu'il n'attend plus rien de la société qui la produit. Et il précise, en une réflexion qui va loin: « La vérité, c'est que la description de cette société en rotation n'a plus le moindre intérêt, de même que les individus qui l'habitent. Que des milliers de romans s'essoufflent encore n'a plus aucun sens, on sait tout d'avance. En fait les vrais personnages romanesques deviennent les penseurs, les artistes de tous les temps, surtout les écrivains, qui, lorsqu'ils ont été vraiment inspirés, n'en font qu'un. » (p. 117)

Comme pour conclure, Sollers note que, lorsqu'on demande au romancier américain moyen quel est le plus grand romancier français, il cite immanquablement Flaubert, jamais Stendhal. Est-ce à dire que celui-ci, qui avait compris tant de choses et avait une si grande âme, sera bientôt oublié de nos contemporains tristes? On voudrait ne pas le croire mais c'est bien à craindre.

Philippe Sollers, Trésor d'amour, Paris, Gallimard, 2011. 17, 90 €.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.