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Billet de blog 4 mai 2009

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Le Brun : Les rois déchus

Avec Sarkozy ou Obama (que je ne confonds certes pas !), l’émergence de styles déconcertants dans la conduite des affaires d’État pose sur nouveaux frais la question du pouvoir. Qu’est-ce que gouverner ? Comment pour un chef s’inscrire dans la durée ? Quel secret se cache sous la légitimité d’un pouvoir ? Ces questions sont abordées par un biais inattendu dans le dernier ouvrage de Jacques Le Brun

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Avec Sarkozy ou Obama (que je ne confonds certes pas !), l’émergence de styles déconcertants dans la conduite des affaires d’État pose sur nouveaux frais la question du pouvoir. Qu’est-ce que gouverner ? Comment pour un chef s’inscrire dans la durée ? Quel secret se cache sous la légitimité d’un pouvoir ? Ces questions sont abordées par un biais inattendu dans le dernier ouvrage de Jacques Le Brun

qui fait le tour de quelques monarques ayant plus ou moins choisi d’abdiquer, de redevenir de simples particuliers. On conçoit que l’abdication fasse davantage question avec des monarques dont le corps royal est comme intemporel qu’avec nos présidents élus de la république, qui savent n’être là que pour un temps. De fait, les renoncements royaux, d’ailleurs peu fréquents, ont suscité les plus vives controverses au cours des temps.

C’est donc à la recherche d’un « impensé » que part Jacques Le Brun dans son récent Le Pouvoir d’abdiquer. Philosophe de l’histoire qui fut aussi l’auteur d’un Pur amour, de Platon à Lacan, Le Brun explore ici le thème de l'abdication royale dans ses moindres recoins en s’appuyant sur cinq cas exemplaires, dont chacun fait découvrir une face de la question.

Cinq personnages donc en quête d’interprète. Voyons lesquels. Venu de l’Empire romain au IIIe siècle de notre ère, le premier se nomme Dioclétien. Il fut un violent persécuteur de chrétiens, mais son abdication n’en fut pas moins longtemps citée en exemple : repu de ses succès, le vieil empereur aurait choisi de se retirer pour aller cultiver son jardin. Au vrai, il fut contraint assez brutalement à s’en aller par son beau-fils et successeur. Vient ensuite le considérable Charles Quint, sur les états duquel, dit-on, le soleil ne se couchait jamais. Lui choisit bien de partir pour faire retraite au monastère de Yuste, passant la main à son fils Philippe. Beau cas, si l’on veut : Charles Quint en avait tout simplement marre. On trouve ensuite Richard II d’Angleterre, non pas exactement celui de l’Histoire mais le héros de Shakespeare. Lui aussi choisit de partir mais avec un vif sentiment de déchéance : il se dépouille de la royauté qu’il livre à son ennemi intime. Autre Anglais, Jacques II Stuart est une figure de monarque mélancolique qui abdique sans admettre qu’il le fait et s’enfuit chez Louis XIV mener une vie toute de spiritualité. Sous Louis XIV encore, l’histoire de son petit-fils devenu Philippe V roi d’Espagne est riche d’intérêt. Elle occupe des années durant des débats politiques et diplomatiques et voit Fénelon, conseiller du Roi Soleil, pousser à l’abdication du petit-fils. Mais le monarque résiste longtemps, fort du don de soi qu’il a fait au peuple d’Espagne.

En fait, Le Brun centrera ses premiers chapitres sur une analyse fine de la notion de « devotio », qui prend deux sens différents selon que l’on est dans la tradition antique ou dans la tradition chrétienne. Chez les Romains, le « dévoué » se sacrifie à son peuple, en se laissant tuer ou en s’en allant. Chez les chrétiens, le même sacrifice s’apparente à celui du Christ et s’offre à Dieu. Toujours est-il que l’idée sacrificielle est toujours là. Et l’on pourrait dire que, quelle que soit sa forme, le grand renoncement a une portée refondatrice : il donne un élan neuf au pouvoir et au peuple au nom duquel ce pouvoir s’exerce.

Il y va donc d’une abnégation suprême, qui se teinte de beaucoup de mélancolie puisqu’elle est comme une mort. « Le sacrifice du roi, écrit Jacques Le Brun, en commentant Fénelon (dont il fut l’éditeur en Pléiade), […] apparaît ainsi comme une forme éminente d’anéantissement : anéantissement dans l’acte volontaire même où l’homme, dans une situation extrême, peut à la fois exercer sa volonté et disparaître dans son acte. » (p. 233-34). Voilà donc le monarque sacrifié porté au rang de victime et s’élevant par là à la grandeur personnelle. Mais, de cette élévation, on peut aussi bien dire qu’elle est un acte d’humilité lucide. Abdiquer est alors tout ensemble pointer la vanité du pouvoir et la part d’imposture sur laquelle ce pouvoir se fonde. Paradoxe très pascalien et qui renvoie aux plus belles pages d’un ouvrage de haute qualité.

Jacques Le Brun, Le Pouvoir d’abdiquer. Essai sur la déchéance volontaire. Paris, Gallimard, « L’esprit de la cité », 2009. 21,50 €.

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