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Billet de blog 4 octobre 2011

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Le ravissement de Britney Spears

 Jean Rolin est écrivain des périphéries, il s'occupe de ce qui ne compte pas. En cadrant l'urbanisme brouillé, il dit le centre vu de l'autour.

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Jean Rolin est écrivain des périphéries, il s'occupe de ce qui ne compte pas. En cadrant l'urbanisme brouillé, il dit le centre vu de l'autour. Un jour, il devait s'intéresser à cet immense autour qu'est Hollywood, ses centres précaires et planétaires. Il devait aussi s'intéresser à cette mégapole de la rumeur qu'est internet. Introduction sérieuse à un livre où l'on rit beaucoup.

Jean Rolin ne s'adonne pas souvent à la fiction - du moins pas ouvertement - mais quand il invente, il ne lésine pas. Soit donc l'agent des services français Rothko, un type sérieux qui, comme son créateur, a le goût de la précision extrême, excelle à rapporter sur le mode impavide les épisodes les plus absurdes, et jouit d'une solide culture cinématographique. Et la fable, d'une immense drôlerie, avec son assemblage d'histoires dans l'histoire, n'a rien d'anecdotique. Le ravissement relève ici moins du crime que du transport de l'âme..

Illustration 2

Rothko se voit assigner une tâche improbable, il en est conscient : approcher ce monument virtuel qu'est Britney Spears, qui serait menacée d'enlèvement, par les islamistes, cela va de soi. « La première fois que j'ai entendu parler de Britney Spears, c'était en 2003, pendant les semaines qui précédèrent l'invasion de l'Irak par les Américains et leurs alliés. Je me trouvais alors à Ramallah, en Palestine (...) » Une gamine de dix ans, fatiguée d'Al Jazeera, profite d'une absence paternelle pour zapper vers un clip de Britney, « se trémoussant sur la selle d'une moto ». L'épisode donne le ton. Dans les sphères où Rothko est amené à évoluer, l'événement historique prend des allures d'irréalité, qui n'est perçue que via des écrans, tandis que la vie de Britney, sur lesécrans également,intègre le quotidien de cinq millions de followers sur Twitter.

81 millions d'entrées sur Google, note consciencieusement l'agent Rothko, qui s'attelle sans crainte, sans jugement, avec pondération, à l'étude de son sujet. Entre autres légers défauts, Rothko ne conduit pas. Son approche de Los Angeles est donc celle des milliers de femmes de ménage, gigantesque périphérie avec ilôts dorés, il voit la ville depuis les lignes 750 ou 161, les entrepôts et pelouses jaunies, un rêve mondial qu'il ne surplombe que depuis l'échangeur ou l'hôtel semi-désaffecté.

Soucieux d'appréhender la vie sociale de la ville, le voici qui étudie les activités de Chi Chi Larue, assiste concentré aux obsèques du grand flic Daryl Gates, se glisse à une fête du Château Marmont, est fidèle spectateur des chaînes people, agence X17, chaîne E ! Il en apprend beaucoup sur la consommation de glaces ou yaourts dans des chaînes populaires, avec photographes et star en caleçon (emblème de vie ordinaire et fraîcheur retrouvée), la liste des marques préférées. Il en apprend beaucoup sur la propagation et l'inflation de la rumeur à partir de faits qu'un esprit étroit considérerait comme anodins, ou totalement inintéressants, s'essaie aux tests de culture générale des chaînes de télévision (« De quelle Spice girl Brooklyn Beckham est-il le fils ? »), collectionne les histoires, la nuée virtuele tournoie autour de centres improbables. Le Los Angeles Times est sa bible (et un vrai bottin) les faits divers le passionnent ( avec penchant pour ceux qui incluent les animaux de compagnie, ou les exécutions de vieillards en maison de retraite luxueuse).

Illustration 3
© DR

Las, nul n'est à l'abri d'un coup de cœur. Rothko, qui a quelque chose de Droopy, s'éprend virtuellement de Lindsay Lohan (people presque pur, son existence étant le seul moteur de sa célébrité), plus bad girl que Britney, dont la vie est de plus en plus rangée, comme l'attestent les paparazzis assez boulot-boulot qu'il fréquente assidûment.

Pendant ce temps, la plate-forme Deep Water Horizon explose dans le Golfe du Mexique, CNN montre le pétrole se répandant dans la mer, on donne des chiffres, mais c'est un peu irréel, quand même.

Tout ceci est narré par le mélancolique agent français depuis le Tadjikistan où le Service mécontent l'a expédié, en compagnie de Shotemur, un agent ex-FSB avide d'en savoir davantage sur Britney ou Lindsay, entre deux actions sanglantes. Car, à la différence de Los Angeles, le Tadjikistan et ses horizons montagneux est plutôt menacé, lui, d'une overdose constante de réel.

Jusqu'auboutiste du flegme, Rothko achève de narrer son histoire à la périphérie du monde, pour ainsi dire, mais l'a-t-on jamais quittée ?

Jean Rolin, Le Ravissement de Britney Spears , POL, 285 p., 17 €

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