Aujourd'hui, à 17 heures, on va lire des textes de Jean-Marie Gleize. Il pleuvra peut-être. Cela se passera à Peyrelevade, bourg voisin de Tarnac, plateau de Millevaches, où l'on arrive d'un peu partout, de France et bien sûr d'ailleurs. Là, pendant trois jours et trois nuits, en hommage à cette nuit du 4 août et à l'abolition des privilèges «que la Révolution proclama, et qu'il nous reste à réaliser», dit le texte du programme.

Ainsi donc, sous tente ou abri, va-t-on lire Jean-Marie Gleize, son Tarnac,un acte préparatoire. Et ce sera, sans doute, très bien : « Un mouvementrévolutionnaire ne se répand pas par contamination
Mais par résonance ». C'est l'une des phrases qui vous reste en tête, parmi d'autres, dans les fougères.
Sans doute yaura-t'il résonances multiples, - « la pluie continuera plusieurs heures, plusieurs jours et plusieurs nuits. Elle continue après, longtemps après. Elle ne peut effacer la poussière ».
Ceux qui sont familiers de l'œuvre de Jean-Marie Gleize, poète, essayiste, sauront déjà que ce Tarnac là est forcément très loin des « réutilisations » de l'actualité, supports de promotion, avec vide intérieur. Le livre est dédié à Julien Coupat et sescamarades, mais il est à l'inverse inspiré,nourri de trois pôles, qui se succèdent, par strates et rapprochements, sans hiérarchie, parcours qui a la force d'une rêverie éveillée, phrases qui tendent vers le nécessaire, intime du politique, au plus près de la phrase finale, «ne rien mentir». Les fragments autobiographiques sont essentiels, mais pas lissés: «Je trace un mot à la craie sur gris ardoise de l'ardoise. Cette phrase est friable».
Tarnac, ici centre assombri-approfondidu monde, est d'abord un lieu d'enfance,et même lieu de naissance, un lieu de forêts « fermées » : « Ce que voit l'enfant, ce qui le pénètre sans qu'il le sache ». Jean-MarieGleize a grandi ici. Talus, frondaisons, eau, « par temps d'orage le vent soulève les charpentes comme les feuillets d'un livre, les précipite et les brise ».
Présent, aussi, H.A-G, patriarchemort en 1964 et reçu dans le tiers-ordre franciscain en 1908, dont les cahiers,quelques notes, ont été retrouvées dans une boîte de fer-blanc; un autre parcoursvers la non-propriété.
Et enfin, détonateur du texte, ouverture, source d'autres évocations, le 11 novembre 2008, avec, en ces lieux familiers, l'arrivée massive de la police venue perquisitionner et interpeller ceux qui vivent autrement, présentés immédiatement et avec fracas comme« terroristes »

Enumération des lois successives qui ont forgé l'arsenal antiterroriste « Il est illusoire de demander que ce régime procédural soit appliqué defaçon moins large et moins brutale : il est précisément conçu pour être appliqué comme il l'est ».
Et ainsi le livre tout entier s'inscrit-il dans « l'acte préparatoire », si peu défini par le législateur.
A la trace franciscaine, à l'enfance, répond, comme motif , l'évocation politique. C'est même ce qui apparaît, progressivement, comme dans ces dessins-énigme pour enfants :sauras-tu retrouver la révolution dans ce tableau ?
« Je reprends à partir du mot « communiste ».
« Communiste est ce mot enfermé dans l'eau, ce corps enfermé dans l'eau. Ici à Tarnac le brouillard se couche à la surface de l'eau
Froisse les talus de fougères c'est la nuit »
Enfermé dans l'eau, GillesTautin, militant maoiste de 1968 poursuivi par la police à Flins, noyé dans la Seine. Le temps n'est pas aboli, il estdans une autre continuité. Dans un passionnant entretien avec la revue Poezibao, Jean-Marie Gleize évoque un « présent antérieur » et simultanément un « présent à venir ».
Aujourd'hui donc, non loin des forêts , à Peyrelevade,on lira Jean-Marie Gleize et c'est très bien ( même si son Tarnac est aussi ce genre de livre avec lequel on noue une relation de lecture intime,silencieuse, à laquelle on ajoute son propre désordre, ses prolongations, l'effet de résonance , oui, est puissant). L'affiche des Nuits du 4 août le dit : il faut des lieux,de la musique, les mots adéquats.
Comme , extrait du chapitre 15, en forme dejournal, ces mots très très adéquats :
Le 21 mars- On a
frappé sur un arbre.- Le sol a tremblé, oui. ( c'est
alors que le lac gris du
ciel devient presque noir
puis devient noir et c'est
la nuit, et maintenant la
musique commence ou
recommence, elle vient de
la forêt, la traverse et
c'est tout). Le2 avril.
N'entrez pas en guerre,
Vous y êtes.Vous n'entrez
pas, vous y êtes.
Rimbaud : « je suis
en grève ». Dans cette
Indistinction reconquise,
Alors se
(« je buvais, accroupi
dans quelque bruyère
entourée de bois de
noisetiers Par un
brouillard ») des zones
d'autonomie active zones
d'autonomie provisoires
Des couloirs de
repliement si besoin pour
reprendre ailleurs plus
loin à couvert, la pratique
de « je suis en grève »/
pour une politique
du présent de la présence
d'invention permanente
gestes-regards,
fabrication continue des
cabanes -

Tarnac, un acte préparatoire de Jean-Marie Gleize, 163 pages, éditions du Seuil, collection Fiction et cie,18 euros.
Lire aussi, blog de Corinne N.