Jacques Dubois (avatar)

Jacques Dubois

Abonné·e de Mediapart

Billet publié dans

Édition

Bookclub

Suivi par 634 abonnés

Billet de blog 6 novembre 2009

Jacques Dubois (avatar)

Jacques Dubois

Abonné·e de Mediapart

N'oublions pas 1848

Longtemps on a pu se scandaliser de l’occultation dont était l’objet la Commune de Paris, énorme événement révolutionnaire comme dénié sans fin. Et puis tout de même justice fut rendue à ceux qui pendant une brève période de l’histoire de France inventèrent de toutes pièces une société fondée sur des rapports fraternels entre les hommes et qui furent pour cette raisonl’objet d’une répression sans pitié.

Jacques Dubois (avatar)

Jacques Dubois

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Longtemps on a pu se scandaliser de l’occultation dont était l’objet la Commune de Paris, énorme événement révolutionnaire comme dénié sans fin. Et puis tout de même justice fut rendue à ceux qui pendant une brève période de l’histoire de France inventèrent de toutes pièces une société fondée sur des rapports fraternels entre les hommes et qui furent pour cette raisonl’objet d’une répression sans pitié. Ainsi cette Commune est entrée vaille que vaille dans les manuels d’histoire.

Aujourd’hui voilà que des historiens s’avisent de ce que le renversement de la monarchie de Juillet fut lui aussi un épisode de grande espérance républicaine et révolutionnaire, assorti d’une insurrection du peuple parisien et, cette fois déjà, d’une répression aveugle et brutale. Or, ces mois de guerre civile que connut la France entre février et juin 1848 sont certes évoqués par l’histoire officielle mais d’une manière qui en occulte le sens véritable et la radicalité. On refuse de voir en particulier que cette soudaine convulsion visait à parachever l’œuvre de la Révolution.

Dans un passionnant 1848, la révolution oubliée, Maurizio Gribaudi et Michèle Riot-Sarcey ont entrepris de réhabiliter ce moment considérable et de le rendre dans toute sa force. Le fait premier est évidemment le renversement du régime de Juillet et l’instauration de la république (deuxième du nom). Il est le fait d’une alliance éphémère entre une partie de la bourgeoisie et le peuple des ouvriers et artisans. Il s’exprime dans unvaste charivari des rues qui conduit à la profanation hautement symbolique du trône royal finalement brûlé place de la Bastille.

Ce qui différencie par ailleurs 48 de la Révolution d’avant et de la Commune d’après, ce sont les deux phases contrastées de février et de juin : la première unit deux classes contre une pouvoir monarchique pourtant pétri d’esprit bourgeois quand la seconde dresse l’une contre l’autre et avec une extrême violence les alliés de la veille. Rage désespérée des prolétaires juchés sur leurs barricades à l’est deParis face à la férocité de la répression menée par Cavaignac conduisant l’armée et les gardes mobiles. Au bilan, des milliers de morts et de déportés. Rarement la lutte des classes aura montré un visage aussi nu.

Les deux auteurs ne cherchent pas trop à expliquer ce revirement spectaculaire qui se produit autour de l’établissement d’une république qui n’a pas le même sens selon que l’on est d’un camp ou de l’autre. Ils préfèrent serrer de près les épisodes et en relater la succession chaotique semaine après semaine. Ainsi par exemple de tout ce qui entoure la mise en place des Ateliers nationaux.

Ceux-ci ont été ouverts pour résorber un important chômage et calmer le peuple. Mais, mal gérés, ils n’offrent pas véritablement de travail et deviennent des lieux de trouble et d’agitation. Par ailleurs, les représentants ouvriers, Louis Blanc en tête, ont été exclus du gouvernement en échange de la création d’une Commission dite du Luxembourg qui reçoit leurs revendications. Tout cela conspire à faire que se cristallise l’antagonisme latent entre bourgeoisie et prolétariat. On voit ainsi la première brandir l’idée d’une menace communiste, alors que, chez le second, les « égalitaristes » sont peu nombreux.

Mais ce qui existe vraiment côté peuple et qui est magnifique, « c’est toute une pratique ouvrière de gestion du quotidien que contient l’idée de République sociale, même si, parmi les ouvriers révoltés, peu d’entre eux se sont préoccupés de la définir. » (p.268) Arrive ainsi ce qui devait arriver : le mouvement républicain se radicalise, le gouvernement s’affole, son armée massacre. « L’insurrection et la répression ne luttent pas à armes égales », observait Victor Hugo.Et il avait pu voir cela de près.

Compte rendu historique de grande qualité, le présent livre excelle aussi par sa forme. C’est qu’il fait largement appel aux témoignages des contemporains, journalistes, écrivains, hommes politiques. Les sources sont nombreuses et vivantes, dont quelques-unes sont citées dans des encadrés. Conçu de la sorte, le livre tient du montage autant que du reportage. Aussi rencontre-t-on au tournant des pages Tocqueville et Blanqui, Lamartine et Flaubert, Sand et Ménard. Le plus cité d’entre eux est une femme, Daniel Stern.Qui la connaît ? Stern dit pourtant les choses avec beaucoup de mesure et de justesse. Et cela donne envie de découvrir son Histoire de la Révolution de1848, publiée en 1862. Mais on commencera par lire — et avec grand profit – le présent volume.

Maurizio Gribaudi et Michèle Riot-Sarcey, 1848, la révolution oubliée, Paris, La Découverte/Poche, 2009. Prix : 12 €. En 2008 chez le même éditeur est parue une première édition illustrée du volume.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.