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Billet de blog 7 avril 2008

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Le siècle de Freud revisité par un Américain

 Le livre d'Eli Zaretski, Le Siècle de Freud. Une Histoire sociale et culturelle de la psychanalyse, est à la fois passionnant et irritant.

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Le livre d'Eli Zaretski, Le Siècle de Freud. Une Histoire sociale et culturelle de la psychanalyse, est à la fois passionnant et irritant. Passionnant tout d'abord au niveau de son projet: une histoire sociale et culturelle de la psychanalyse conçue dans une perspective interdisciplinaire, en phase avec la tradition américaine desCultural Studies ou du New Historicism. Passionnant ensuite parce que cette perspective débouche sur un fourmillement d'idées, d'informations et de nouvelles pistes pour (re)penser les fonctions sociales et historiques de la psychanalyse ou, si l'on préfère, ses conditions de possibilités comme son efficacité, et ceci d'un point de vue américain plutôt qu'européen ou français, ce qui change pas mal de choses. En même temps, il est irritant parce que trop souvent - charmes discutables du New Historicism - les pistes suivies ou annoncées n'aboutissent pas vraiment, ou laissent l'impression d'une mise en rapport superficielle ou arbitraire.

Le point le plus convaincant du travail de Zaretski, et son véritable fil conducteur, c'est la question de ce que l'auteur appelle la «vie personnelle», dont la possibilité est contemporaine, mais dans le monde occidental seulement, de celle de la psychanalyse. Héritière de l'individualisme et de l'introspection calviniste, la «vie personnelle» s'en distingue cependant par ses coordonnées sociales. Elle émerge avec l'affaiblissement des structures économiques et familiales traditionnelles au cours du XIXe siècle, qui fait que l'individu est de moins en moins déterminé en termes de genre, de rôle familial, social ou ethnique. Cet affaiblissement a donc pour effet une sorte de marge de vie privée favorisant non seulement la psychanalyse, mais également les sexualités «déviantes» (bisexualité, homosexualité, etc.), et bien entendu la prise en compte progressive de la sexualité féminine.

D'où aussi les liens, multiples mais aussi parfois contradictoires, entre la psychanalyse et des courants de pensée «progressistes» qui se sont mis d'une manière ou d'une autre au service de l'émancipation ou de la libération de l'individu. Zaretski évoque même à ce propos un messianisme psychanalytique dans lequel l'individu affranchi de ses refoulements tiendrait lieu de terre promise. Il nous en apprend par exemple énormément sur le rôle joué par la psychanalyse aux Etats-Unis, beaucoup plus contrasté et souvent plus «subversif» que ne le veut une certaine légende lacanienne, mais aussi en Allemagne ou même dans les premières années de la Russie soviétique.

Zaretski est en revanche moins convaincant avec d'autres hypothèses, notamment celles qu'il fait sur le lien entre la psychanalyse et le fordisme, qui tend à fonctionner comme une sorte de sésame expliquant non seulement la totalité de la société américaine, mais également la société européenne. L'idée que le fordisme, en dépit de sa propre intention et du fait qu'il embraie sur un projet de contrôle social, aboutirait à un nouvel individu confronté à ses seuls désirs (de consommation?) laisse quand même un peu songeur. Mais c'est peut-être le prix à payer pour entrer dans cette passionnante perspective américaine…

Eli Zaretski, Le Siècle de Freud. Une Histoire sociale et culturelle de la psychanalyse, préface d'Elisabeth Roudinesco, Albin Michel, 2008.

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