La sympathique et souvent pertinente collection « Raisons d’agit » vient de sortir un petit brûlot d’une radicalité réconfortante. L’auteur : Walter Benn Michaels, professeur à l’université d’Illinois. Son propos : aux États-Unis mais parfois en Europe tout autant, les politiques favorables à la promotion des minorités ethniques et à l’égalité des chances — la « diversité » ! —servent pour l’essentiel à occulter la seule et vraie question, à savoir le combat pour l’égalité.
Au long d’un texte argumenté et documenté, Michaels prend acte de ce qu’aujourd’hui le fossé entre riches et pauvres ne s’est aucunement réduit et que, bien au contraire, l’actuelle crise conduit à une paupérisation accrue (avec déclassement de certaines fractions de la middle class) parallèlement à des accroissements de fortune scandaleux. Il montre en contrepoint que les entreprises démocratiques en faveur de la diversité raciale ou culturelle au sein des collectivités sont autant de leurres : elles donnent leur chance à quelques-uns à l’intérieur des minorités (blacks, hispanos, Asiatiques) sans rien changer à la structure sociale profonde et à son inégale répartition des biens. À propos de quoi, Michaels use d’un argument oblique mais percutant : faire croire que la discrimination est la cause essentielle de la misère aux States, c’est omettre que près de la moitiés des pauvres sont blancs. « Dans le cas des Blancs pauvres, écrit-il, ni le discours rassurant de la droite (pour qui la discrimination appartient au passé) ni les promesses de la gauche (qui veut régler son compte une fois pour toutes à la discrimination) n’arrangeront leurs affaires. La discrimination n’est pas leur problème, la diversité n’est pas leur solution. » (p. 70)
Parce qu’il est du sérail, Michaels insiste sur le cas exemplaire des universités amé ricaines qui mènent depuis des années des politiques de diversification ethnique par discrimination positive. Il donne l’exemple de sa propre institution, vaste université d’État particulièrement ouverte aux minorités. Sans doute celles-ci s’y voient-elles surreprésentées mais les conditions d’études qui les accueillent y sont lamentables (locaux délabrés, etc.). Par contraste,il se réfère à un établissement prestigieux comme Harvard, qui a beau multiplier les bourses d’accès aux mieux doués des pauvres mais qui reste essentiellement une université de riches dans laquelle on fait croire que les grades et diplômes s’obtiennent au mérite alors qu’il ne s’agit que d’une vaste machine à reproduire la division des classes. Ici, autre argument oblique : « Près de 90 % des étudiants de Harvard viennent de familles dont le revenu dépasse ce montant (= 54 000 dollars par an). Dans le cadre d’une véritable discrimination positive [en fonction de la classe sociale], la moitié au moins d’entre eux devraient donc quitter l’établissement. » (p. 85)
L’auteur fonde par ailleurs sa démonstration sur l’idée forte selon laquelle les races n’existent pas. Il est vrai, convient-il, que certains groupes humains se signalent par différents traits mais qui ne sont jamais tous partagés par l’ensemble de leurs membres. Cette question ainsi réglée, Walter Benn Michaels repart avec plus de virulence vers la seule exigence qui vaille : celle d’une réduction des inégalités. Et il faut dire que, dénudant les choses avec une fougue implacable et presque joyeuse (sa conclusion est un chef-d’œuvre de drôlerie), il emporte l’adhésion
On a beaucoup redit ces derniers temps et non sans ironie que le désir d’égalité était une passion française. Et il est peut-être vrai que le républicanisme l’emporte chez les Français sur un esprit démocratique enclin au respect des minorités (pour preuve les campagnes anti-immigrés du Front National au temps de sa plus grande audience). Walter Michaels partage sans nul doute cette passion. Le lisant, on a tout de même envie de lui rappeler que l’émancipation des Noirs ou, plus largement, la reconnaissance des minorités représentent des pas considérables dans la conquête d’une dignité humaine qui ne va pas sans reconnaissance, fût-elle symbolique. On a envie de lui demander également si, en France et ailleurs, la lutte contre le racisme ordinaire n’est pas également une priorité. De cela, il conviendrait sans doute mais nous redirait de plus belle que l’injustice fondamentale, celle qui traverse toutes les autres, est de nature économique ; elle est partout le premier et le vrai scandale.
Walter Benn Michaels, La diversité contre l’égalité, Paris, Raisons d’agir éditions, 2009. 7 €.