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Billet de blog 10 février 2012

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Paul Nizan, qui ne laissait dire à personne

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Philosophe et écrivain, polémiste et militant politique de haut rang, Paul Nizan, mort à la guerre à 35 ans (il naquit en 1905), a connu une destinée tourmentée et en fin de compte tragique. Certes, il fréquenta de près les meilleurs (Sartre, Malraux ou Georges Politzer); certes, il occupa des rôles en vue dans le mouvement communiste et au PCF; certes, il écrivit différents livres, dont quelques-uns ont marqué.

Mais, au total, ça n’a pas vraiment marché pour lui et ça s’est terminé de façon malheureuse.

N’a-t-il pas fait les bons choix ou a-t-il fait ceux qui lui convenaient mal? Son humeur sombre lui a-t-elle fait tort, le rendant antipathique à quelques-uns? Paul Nizan eut pourtant en Henriette Alphand une compagne aimante et pleine de vitalité. Il fut porté également par sa foi dans la révolution et dans le marxisme. Mais, encore une fois, cela n’allait pas suffire. Ironie du sort: les livres de celui qui mourut absurdement en 1940 allaient connaître un succès tardif. Réédités par Maspero dans les années 1960, Aden Arabie comme Les Chiens de garde furent enfin lus et beaucoup lus. Ils sont d’un polémiste de tempérament qui, à de certains moments, contient mal une rage très personnelle («J’avais vingt ans. Je ne laisserai dire à personne que c’est le plus bel âge de la vie» est le début d’Aden Arabie).

Illustration 1

À lire la récente et solide biographie qu’Yves Buin consacre à Nizan (et qui fait suite aux ouvrages d’Annie Cohen Solal, d’Alluin et Deguy et de Pascal Ory), on comprend mieux pourquoi les choses se déroulèrent de la sorte, de même que l’on apprend à relativiser les échecs de celui qui fut une étoile montante de la vie intellectuelle de l’entre-deux-guerres. Alors qu’il ne manqua jamais ni de courage ni de volonté de se battre, Nizan donne surtout l’impression, à travers la présente biographie, d’avoir manqué de sens stratégique comme d’entregent dans plusieurs de ses entreprises.

Dès ses années de normalien, il tâtonne pas mal, sans savoir s’il sera philosophe ou écrivain et en faisant un bout de route avec un groupe puis avec un autre. Ayant adhéré au PCF à l’âge de 25 ans sur le conseil d’Henriette, il entend s’imposer mais se fait rarement accepter. Professeur de philo au lycée de Bourg-en-Bresse, il s’engage à fond mais en fait trop au sein d’une cellule communiste fantomatique; candidat aux législatives dans une ville rétive à la gauche, il échoue nettement. Il est chargé par Thorez de déboulonner Henri Barbusse à la direction de la revue Monde : là encore il échoue, Barbusse étant le protégé de… Staline ! En 1934, il fait avec Henriette un séjour d’un an en URSS, circule pas mal dans l’immense pays mais se lie peu sur place et revient avec pas mal de doutes sur l’avenir du « socialisme réel ».

Rentré à Paris, il se retrouve secrétaire général à la rédaction de Ce Soir, ce qui n’est pas peu, mais entretient des relations tendues avec Aragon qui en est le directeur. Dans ses romans teintés de nihilisme et de hantise de la mort (Antoine Bloyé, Le Cheval de Troie), il applique de mauvais gré les consignes du « réalisme socialiste ». Vient alors la signature du pacte germano-soviétique et, assez vite, Nizan rompt avec le Parti. Et ses camarades l’accusent, alors qu’il est mobilisé, d’être un agent du ministère de l’Intérieur. Attaché à l’armée britannique comme interprète, il meurt dès 1940 d’une balle perdue qui le frappe à la tête. Bref un parcours accidenté et parfois irrésolu mais qui trouve sa cohérence en deux aspects au moins : la bataille qu’il a menée sans trêve contre la philosophie humaniste et ses gardiens d’un ordre ; l’amour partagé avec Henriette Alphand («Il est inutile de rappeler, écrit Yves Buin, à quel point Nizan et Henriette tenaient l’un à l’autre», p. 213)

Pour en revenir à la rupture avec le PCF, on ne peut taire de quelle manière désolante Louis Aragon, devenu après guerre tout puissant dans le milieu littéraire, calomnia la mémoire de Nizan, et jusqu’à nier son œuvre. Dans Les Temps Modernes, Sartre répliqua vivement et défendit l’honneur de celui qui avait été son coturne à l’École Normale.

Que serait devenu Nizan s’il avait vécu au-delà de ses 35 ans, se demande Yves Buin dans un dernier chapitre substantiel? Le plus sûr est qu’il fut un intellectuel engagé, avec la part de manichéisme que cela supposait alors, comme il fut un moment non négligeable dans une période de la vie littéraire et politique grosse de contradictions et de violentes incertitudes.

Yves Buin, Paul Nizan. La Révolution éphémère, Paris, Denoël, 2011. 23 €. Avec sa bibliographie imprécise et sans table des matières, le volume nous a semblé peu soigné. 

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